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L’année terrible », c’est par ces mots lugubres de Victor Hugo qu’a été qualifiée la guerre franco-prussienne de 1870, reléguée depuis aux confins de la mémoire collective, si tant est qu’elle puisse aujourd’hui signifier quelque chose auprès des jeunes générations.
Pour ceux qui, heureusement encore nombreux, en connaissent un rayon sur cette confrontation, les archétypes se bousculent au gré des lectures et des documents à leur disposition. On y retiendra le manque de sang-froid de l’empereur Napoléon III, déclarant inconsidérément la guerre à une Prusse qui n’attendait que cela, les batailles à la gloire de la France de Sedan, de Strasbourg ou de Richthofen, la défense sauvage des Marsouins à Bazeilles ou des fantassins à Belfort, le tout clairsemé de multiples duels immortalisés par Alphonse de Neuville dans ses tableaux d’une rare intensité et d’un courage dans son acception la plus pure. Bref : l’héroïsme de la défaite !
Au carrefour de notre histoire, s’entrechoquent bientôt des faits dont la portée perdure aujourd’hui : l’abolition de l’empire et la proclamation de la République, l’investissement de Paris par l’ennemi, l’armée de cette nouvelle France qui refuse le joug allemand et se bat vêtue d’oripeaux à un contre trois. Enfin, le voile de la guerre civile durant les évènements de la Commune.
Thibault Montbazet, historien, signe là son premier ouvrage. Il a entre ses mains une riche correspondance et le recueil de souvenirs d’un Français qui a vécu tous ces dramatiques évènements, sinon comme acteur, du moins comme spectateur. Léon Lescoeur, inspecteur de l’éducation nationale, a en effet traversé toutes les épreuves que notre pays a connues de 1870 à 1871, sous le prisme souvent déformant de sa personnalité.
En effet, l’écrivain ne tente pas d’enjoliver son « héros » par des paraphrases ou des situations vécues dans le sens du poil mais au contraire, il livre stricto sensu ce rare témoignage d’un notable, pris au piège de la guerre et qui va tenter de s’en escamoter, autant que faire se peut, par tout moyen à sa disposition.
Mais qui est ce Léon Lescoeur qui se retrouve dans le traquenard d’une capitale peu à peu assiégée par les Teutons ? Comme nous l’avons vu plus haut, il a choisi l’enseignement et se dirige peu à peu vers l’inspection, au gré des mutations lui servant lorsqu’il le peut à asseoir sa position sociale, quand ce n’est pas une décision disciplinaire à peine voilée qui le contraint à déménager. Peu à peu, il gravit cependant les échelons de la hiérarchie, tout en confortant son statut dans la « gentry ». Une belle maison de famille, quelques biens immobiliers, un appartement dans la capitale et un aréopage de gens de maison lui procurent un sentiment de réussite.
C’est compter sans le conflit, qui prend rapidement une importance dramatique. Ayant envoyé sa famille vers l’arrière et lui procurant de quoi ne pas trop souffrir de la situation, l’inspecteur reste à Paris, comme s’il s’était dévoué au suprême sacrifice, accompagné néanmoins de quelques employés. Les lettres envoyées à son épouse et ses connaissances, et que l’auteur va éplucher en détail, vont vite démontrer le caractère dual de notre homme. Tout en stigmatisant l’héroïsme auquel doit se conformer la nation, il met tout en œuvre pour que ses deux aînés échappent au port de l’uniforme. Lui-même se dit prêt à verser son sang jusqu’à la dernière goutte dans la garde nationale mobilisée, mais à la condition d’avoir un poste « loin des balles ».
Les Allemands tiennent maintenant toutes les issues de la ville. Il devient désormais extrêmement difficile de la quitter et encore moins d’y rentrer, ce qui va poser rapidement de graves problèmes d’approvisionnement. Les courriers partent en ballon, mais à quel prix ! Sans espoir de réponses. Les denrées alimentaires se raréfient et la famine guette, sous l’œil implacable des assiégeants. Malgré les difficultés sans cesse augmentées, Lescoeur ne souffre pas trop de la situation, aidé en cela par sa bonne et cuisinière « toujours prompte à geindre ». Il va toutefois se muer en témoin privilégié de la souffrance des Parisiens, arrivés à de sombres extrémités pour ne pas mourir de faim et de froid, se nourrissant de rats d’égouts et désossant leurs pauvres meubles pour les transformer en un maigre foyer fumant.
Par un concours de circonstances, et alors que s’annoncent les prémices des prochains bains de sang de la Commune, Lescoeur réussit à quitter la prison en plein air et à rejoindre sa famille, installée dans un confort enviable. Il n’en laisse pas moins sa fidèle cuisinière dans l’appartement, à charge de surveiller ses biens !
Plus de trente ans après, il vient à notre désormais retraité de l’Inspection générale l’idée de coucher sur papier son expérience. Tente-t-il de se dédouaner ? Peut-être de rassembler ses souvenirs pour la postérité ? Dans tous les cas, il livre alors des mémoires indispensables sur cette époque malheureuse. Thibault Montbazet a restitué, au terme d’un travail d’une grande rigueur, la vision personnelle d’un contemporain, ajoutant une belle pierre à l’édifice de la riche histoire de France.

Thibault Montbazet, Une année terrible : histoire biographique du siège de Paris : 1870-1871, Passés composés, 16/03/2022, 1 vol. (283 p.), 20€.

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Renaud Martinez

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