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Sébastien Morlet & Marco Rizzi, Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451, Tome V : Du IVe siècle au concile de Chalcédoine (451). L’Égypte et Cyrène, Les Belles Lettres, juin 2024, 852 pages, 59,00 €.

Cette Histoire de la littérature grecque chrétienne, dirigée par Marco Rizzi, est un ouvrage qui comporte plus six cent dix pages. C’est un ouvrage au sein duquel nous sont présentés les bâtisseurs de la chrétienté : évêques, théologiens, exégètes qui ont participé – de par leurs écrits et leurs enseignements à la structuration d’une Eglise qui ne va plus bouger – ou presque – pendant des siècles. Comme l’exprime Paul Veyne dans son ouvrage Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) : “Le paganisme n’était qu’une religion, le christianisme était aussi une croyance, une spiritualité, une morale et une métaphysique, le tout sous une autorité ecclésiastique. Il occupait tout l’espace.”

Cet ouvrage a été réalisé grâce au concours de onze contributeurs français, italiens, universitaires pour la plupart, qui relient Paris à Rome, Milan à Montréal. Ces contributeurs se sont attachés à présenter les pères du désert que sont Athanase d’Alexandrie, Cyrille d’Alexandrie, Didyme l’aveugle, Antoine l’Egyptien, Evagre le Pontique et d’autres. La vie de ces virtuoses de l’ascétisme s’organise le long du Nil, au sein de vastes zones désertiques, où ils auront tout le loisir d’écrire, loin du clergé urbain. « Les papyrus en provenance d’Egypte constituent une mine gigantesque d’une valeur inestimable. Les lettres aident à reconstituer les routes commerciales sur le Nil, chemins pour des voyages à visée séculière, certes, mais qui devaient aussi permettre la circulation des idées en même temps que des marchandises. » Pour mémoire, les bateaux qui arrivaient à quai en Alexandrie étaient vidés de leurs papyrus, lesquels étaient copiés, et les copies restituées avant que les bateaux ne repartent.

Les écrits des Pères concernant le Nouveau Testament, prenant appui sur les différentes épîtres, et Dieu sait s’ils sont nombreux, font l’enjeu d’une construction théorique qui nous fait passer du texte, de la lettre, à la rédaction d’un texte qui fera Loi. Telle est la tâche à laquelle tous ces hommes vont s’employer leurs vies durant. Alors bien sûr, ils ne seront pas toujours d’accord. Et parfois ils feront appel aux autorités romaines pour trancher. Ce qui importe, ce qui est passionnant avec une telle somme de travail, de recherches, de recensions, d’analyses croisées, c’est de comprendre comment la religion chrétienne, du fait de sa conception particulière, va dominer l’espace européen.

Je vais essayer de vous livrer un tout petit aperçu de ces intellectuels qui parcouraient la Bible et qui, connaissant le grec, vont néanmoins se détacher de la culture gréco-latine.

Prenons Dydime l’Aveugle (313-398 Alexandrie) présenté par Marie-Odile Boulnois. C’était un maître célébré qui attira des auditeurs de régions très différentes. Ses œuvres exégétiques sont considérables. Elles portent sur les Psaumes, Isaïe (18 livres), osée (3 livres) Zacharie (5 livres), un commentaire sur Mathieu, Jean et tant d’autres. Tant de lectures et relectures, d’analyses et de réflexions afin de mettre en place “l’orthodoxie trinitaire”. Le texte donc est central, le Logos, source et médiation divine, prend corps dans chacun de nous et surtout dans cette figure christique. Le corps du Christ jamais mort, empli du verbe de Dieu divin se réincarne à chaque naissance dès lors que nous l’incorporons sous forme allégorique qu’est l’hostie.

Cyrille d’Alexandrie (375- 444), qui sera évêque de 412 à sa mort, soit pendant trente-deux ans, s’emploiera à formaliser cette version trinitaire via une œuvre – conservée dans toute la littérature grecque – qui est l’une des plus volumineuses. Seul le Christ peut dévoiler le véritable sens de la Loi, les actes des apôtres sont des exemples à suivre, le mystère de la Passion figuré à travers deux boucs, l’un épargné (le bouc émissaire), l’autre sacrifié tel le Christ qui a donné sa vie humaine pour éloigner les hommes de la Mort. Tel est le saut herméneutique que propose Cyrille : les nations ne pourront pas recevoir la connaissance de La Trinité si elles n’ont pas pris part à sa chair. En incorporant le corps de la Vie du Christ, le croyant s’unit à Dieu et aux autres croyants, telle une chaîne sans fin au sein des générations. “La chair du Christ reçoit les propriétés du Verbe et devient vivifiante.” Coup de génie du christianisme. On comprend mieux la petite phrase de Veyne. Le corps, notre corps au final n’est jamais premier, mais juste une enveloppe spirituelle que nous devons nourrir de prières, de lectures, d’études.

La vie d’Antoine le Grand ou Antoine d’Egypte présentée par Athanase d’Alexandrie (évêque d’Alexandrie de 328 à 373) aurait été rédigée aux alentours de 357, peu après sa mort. Athanase “a contribué à hisser Antoine au rang de fondateur du nouveau genre de vie chrétien.” Il a porté à notre connaissance de nombreuses lettres qui représentent des traités ascétiques adressés aux communautés monastiques, expression de son autorité. Le texte d’Athanase, La vie d’Antoine / Vita Antonii est lu en Orient où il est traduit en copte, en arménien, en syriaque, en arabe, en éthiopien, et en Géorgie, en Occident aussi, grâce aux traductions latines. Texte fondateur du monachisme chrétien, tous les monastères en avaient une copie. Antoine, au cours de sa retraite dans le désert, vécut d’abord dans un tombeau vide puis dans un fort abandonné par les Romains où il restera une vingtaine d’années. Il sera nourri – entre autres – par les réflexions des Thérapeutes que Philon d’Alexandrie présente au sein de son traité De la vie contemplative. Philon écrit au paragraphe 25 ceci : “Dans chaque maison, il y a un lieu sacré appelé sanctuaire ou monastère, c’est là isolés que les thérapeutes accomplissent les mystères de la vie sainte. Ils n’y introduisent rien, ni boisson, ni nourriture, ni rien de ce qui est nécessaire aux besoins du corps, mais seulement les Lois, les Oracles rendus par les Prophètes, les Hymnes et les autres livres par lesquels ils accroissent la science et la piété.”

Evagre le Pontique (345-399) fut le premier qui systématisa la pensée ascétique chrétienne. Considéré comme un grand docteur en théologie et un saint par l’église syriaque. Mélanie l’ancienne – une noble Romaine de grande culture et de grande autorité spirituelle lui sera d’un grand secours à son arrivée à Jérusalem. Quelque temps après son arrivée, il tombe malade et prête serment. S’il guérit, il revêtira l’habit monastique, ce qu’il fit. “Il partit et se rendit au désert des Cellules. Il y restera seize ans, y pratiquant l’ascèse.” L’essentiel de son œuvre fut redécouverte en 1912 par le théologien et professeur d’Université Hugo Gressmann.

Ainsi de cette somme concernant l’Histoire de la littérature grecque chrétienne en terre d’Egypte, de ce grand livre d’Histoire, qui n’attend qu’une chose : entrer dans notre bibliothèque, gonfler les voiles de ces écrits si nombreux, si importants, si instructifs – et si précieux. Merci pour ce beau travail.

Image de Chroniqueuse : Myriam Mas

Chroniqueuse : Myriam Mas

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