Laïdi, Ali, Histoire mondiale du protectionnisme, Passés composés, 07/09/2022, 1 vol. (445 p.), 24€
Le 24 août 2022, jour de la rentrée politique, le Président Français Emmanuel Macron sonne la « fin de l’abondance et du temps de l’insouciance ». Quelques jours plus tard, sa première ministre Élizabeth Borne renforce cette prédiction en annonçant que des coupures d’électricités pourraient se produire cet hiver afin de limiter la surconsommation. Suite à la guerre en Ukraine, l’Europe veut pouvoir boycotter le gaz russe, alors que la Russie représente 45 % des importations en Europe en 2021. Cette action très concrète est-elle réalisable sans que les populations ne se trouvent dans l’incapacité partielle de se chauffer cet hiver ? En raison de ces conditions géopolitiques conjuguées à la menace grandissante du réchauffement climatique, l’imminence d’une crise économique est inévitable. La politique libérale serait-elle arrivée au bout de son modèle économique de croissance infinie ? Fils des empires coloniaux et de la révolution industrielle, il semblerait que la pandémie de Covid-19 ait mis le libéralisme à genoux. L’heure serait-elle à la décroissance économique ? Après avoir survécu à la crise financière de 2008, l’élection de Donald Trump aux présidentielles américaines en 2017, et le Brexit le libéralisme semble avoir atteint ses limites. La guerre en Ukraine ne fera que renforcer le sentiment de protectionnisme. En désirant rendre à l’Amérique sa gloire (“Make America Great Again”), cette dernière, emblème du capitalisme à outrance se referme toujours plus sur elle-même.
Aujourd’hui, posons-nous la question : dans un monde qui n’a jamais été aussi ouvert au commerce, est-ce que le protectionnisme ou les rivalités économiques, notamment sino-américaine risquent de nous entraîner vers un conflit ? Rien ne démontre le lien entre protectionnisme et guerre, pourtant le concept est rejeté par la plupart des économistes… Pour les libéraux, il n’existe qu’une attitude face au protectionnisme : la condamnation. Quant à savoir pourquoi et comment des hommes, des entreprises, des États se protègent, et surtout pour quels résultats, ils n’en ont cure.
Rétrospectivement, il apparaît que notre histoire est composée de vagues alternantes entre protectionnisme et libéralisme. Cette Histoire mondiale du protectionnisme est donc une entreprise novatrice et salutaire. Ali Laïdi, Docteur en Science Politique, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, et co-fondateur de l’École de la pensée sur la Guerre Économique a réussi cette prouesse que nous saluons avec enthousiasme. Dans son ouvrage, l’auteur analyse à la fois l’influence de l’histoire sur l’économie, mais se concentre également sur les produits indispensables sur le marché économique mondial, comme le sucre – qu’il soit produit à partir de canne ou de betterave –, le textile ou encore le sel, cause de manigances politiques, et dans certains cas de guerres. Ce qu’Ali Laïdi démontre dans cet ouvrage, c’est que les politiques économiques prises par nos dirigeants sont à la fois les conséquences et les causes de notre passé. Il est indéniable que la guerre affecte l’économie, qu’elle la ralentisse ou au contraire qu’elle impose le libéralisme comme un pansement, une manière de rapprocher les peuples après qu’ils se soient déchirés sur les champs de bataille. Aujourd’hui, les États-Unis se referment sur eux-mêmes, privilégiant la politique du protectionnisme, taxant en particulier les produits importés des pays asiatiques. Après un siècle de protectionnisme dû au communisme, c’est désormais l’économie qui écrit l’avenir de la Chine. Son ouverture aux marchés internationaux vers la fin des années 1970, à l’initiative de Deng Xiaoping, a formé la Chine d’aujourd’hui, une puissance économique et industrielle, qui domine le marché de la technologie, et demain celui de la médecine.
L’économie n’est jamais figée dans un camp, celui du libre-échange, ou dans un autre, celui du protectionnisme. Tous les individus, les groupes, les tribus, les nations et parfois même les empires commencent par protéger leurs moyens de production. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’ils décident de s’ouvrir au monde. L’erreur des élites et des dirigeants est de vouloir enfermer l’économie dans un schéma réducteur : soit complètement ouverte, soit totalement fermée. Or, la réalité renverse toujours les dogmes. De la Préhistoire jusqu’au XIX° siècle, l’homme se protège. Puis alternent des périodes d’ouverture et de fermeture. Parfois même, les deux cohabitent. Et lorsque l’un prétend prendre définitivement le dessus, il échoue et donne l’occasion à l’autre de revenir en force. Chassez le protectionnisme par la porte, il revient par la fenêtre. Et vice-versa.
L’ouvrage d’Ali Laïdi nous pousse à nous interroger sur nos habitudes de consommations. Quelle est aujourd’hui la marche à suivre ? Alors que la Guerre en Ukraine faire s’envoler l’inflation, il est temps de se demander si l’ouverture des marchés demeure la solution indéboulonnable, ou si elle n’est pas au bout de ses limites. Après plus d’un demi-siècle de libéralisme acharné, le protectionnisme se profilerait-il à l’horizon ? Il est clair que nous ne pouvons plus continuer notre surconsommation gargantuesque, mais cela entraîne-t-il forcément un repli sur soi, une peur de tout ce qui vient de l’extérieur ? Si l’on applique la théorie d’Ali Laïdi, l’heure serait à la mesure et au compromis. Si l’histoire nous a appris une chose, c’est que l’adoption totale du protectionnisme ou du libéralisme n’est jamais durable. Une alliance de ces deux politiques pourtant contraires serait la clé de notre avenir. L’Histoire Mondiale du Protectionnisme trouve sa place à un moment décisif de notre histoire. Alors que notre civilisation se trouve à un carrefour, le dernier ouvrage d’Ali Laïdi nous offre la solution à un avenir meilleur. Une lecture indispensable en ces temps si incertains.
Chroniqueuse : Éliane Bedu
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