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Michaël Darmon, Le pape et la matriarche : histoire secrète des relations entre Israël et le Vatican, Passés composés, 03/04/2024, 1 vol. (213 p.), 19€.

Le pape et la matriarche, dernier ouvrage du journaliste Michaël Darmon, spécialiste reconnu de la géopolitique et des relations internationales, offre un éclairage inédit sur l’histoire fascinante et méconnue des relations entre le Vatican et Israël. S’appuyant sur une documentation riche et des sources de première main, l’auteur retrace les coulisses d’une rencontre historique entre deux figures emblématiques : Golda Meir, Première ministre d’Israël, et le pape Paul VI, le 16 janvier 1973 au Vatican.
Au-delà de l’importance symbolique de cette entrevue, la première entre un pape et un dirigeant israélien depuis la création de l’État hébreu, Darmon explore les enjeux diplomatiques, mémoriels et les intrigues qui ont façonné les relations entre le Saint-Siège et Israël. À travers un récit captivant, il dévoile une histoire faite de secrets, d’espionnage et de coopération inattendue, qui s’étend jusqu’à la reconnaissance officielle d’Israël par le Vatican en 1994, et au-delà.

La rencontre historique entre Golda Meir et Paul VI

La rencontre entre Golda Meir, Première ministre d’Israël, et le pape Paul VI, le 16 janvier 1973, marque un tournant dans l’histoire des relations entre le Vatican et l’État hébreu. Michaël Darmon consacre une part importante de son ouvrage à l’analyse de cette entrevue, révélant les enjeux multiples qui se cachent derrière cet événement diplomatique sans précédent.
L’auteur souligne d’emblée le caractère exceptionnel de cette rencontre, la première entre un pape et un dirigeant israélien depuis la création de l’État d’Israël en 1948. Pour Golda Meir, cette visite au Vatican revêt une importance capitale, tant sur le plan symbolique que politique. Elle y voit l’occasion de faire avancer la reconnaissance diplomatique d’Israël par le Saint-Siège, mais aussi de nouer un dialogue constructif avec l’Église catholique.
Cependant, comme le révèle l’auteur, les objectifs de Golda Meir se heurtent rapidement à la réalité des positions du Vatican. Lors de l’audience privée avec Paul VI, le pape exprime ses réserves quant à la politique d’Israël envers les Palestiniens, soulignant “sa difficulté à admettre que «les Juifs, qui entre tous les peuples devraient être capables de charité envers les autres pour avoir si terriblement souffert eux-mêmes, se soient conduits avec tant de brutalité dans leur propre pays»“. Cette remarque provoque une réaction vive de Golda Meir, qui rappelle les souffrances endurées par le peuple juif au cours de l’histoire, notamment pendant la Shoah.
Cet échange tendu met en lumière les divergences profondes entre les deux dirigeants dans leur rapport au temps et à l’histoire. Pour Golda Meir, l’urgence de la situation d’Israël, confronté à des menaces existentielles, exige des actions immédiates et une reconnaissance sans délai de la part de la communauté internationale. À l’inverse, Paul VI s’inscrit dans une temporalité plus longue, celle de l’Église catholique, où les changements s’opèrent de manière progressive et où les considérations théologiques et diplomatiques priment sur l’immédiateté politique.
Malgré ces tensions, la rencontre entre Golda Meir et Paul VI n’en demeure pas moins un moment charnière dans l’histoire des relations entre le Vatican et Israël. Michaël Darmon souligne l’importance des gestes symboliques, comme l’échange de cadeaux entre les deux dirigeants, qui témoignent d’une volonté d’ouverture et de dialogue, malgré les différends.
L’auteur replace également cette rencontre dans le contexte plus large des évolutions de la doctrine de l’Église catholique à l’égard du judaïsme, notamment après le concile Vatican II et la déclaration Nostra Ætate, qui a marqué une rupture avec l’antisémitisme chrétien. Cependant, il montre que ces avancées théologiques ne se traduisent pas immédiatement par une normalisation des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Israël.

Les tentatives d'infiltration du Mossad au Vatican

Dans Le pape et la matriarche, Michaël Darmon lève le voile sur un aspect méconnu des relations entre le Vatican et Israël : les tentatives d’infiltration du Mossad, le service de renseignement israélien, au sein du Saint-Siège. Cette partie de l’ouvrage plonge le lecteur dans les arcanes de l’espionnage international, révélant les stratégies déployées par Israël pour pénétrer l’un des centres de pouvoir les plus secrets et les plus influents au monde.
L’auteur explore en détail les motivations qui ont poussé le Mossad à s’intéresser de près au Vatican. Pour les dirigeants israéliens, l’infiltration du Saint-Siège répond à des objectifs multiples, à la fois stratégiques, diplomatiques et politiques. Il s’agit, d’une part, de recueillir des informations sur les orientations de la diplomatie vaticane, notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient et la question palestinienne. D’autre part, le Mossad cherche à influencer les décisions du pape et de la curie romaine en faveur des intérêts d’Israël, dans un contexte où la reconnaissance de l’État hébreu par le Vatican apparaît comme un enjeu majeur.
Pour parvenir à ses fins, le Mossad déploie un vaste éventail de méthodes, allant de la collecte de renseignements à l’infiltration directe des cercles de pouvoir au Vatican. Michaël Darmon révèle comment les agents israéliens tissent patiemment leur toile, recrutant des informateurs parmi le clergé et les laïcs travaillant pour le Saint-Siège. Il met en lumière le rôle crucial joué par certains prélats, comme Mgr Hilarion Capucci, archevêque melkite de Jérusalem, qui sera arrêté en 1974 par les autorités israéliennes pour avoir fourni des armes à des groupes palestiniens.
L’ouvrage offre également un éclairage passionnant sur les rivalités entre services de renseignement au sein même du Vatican en démontrant comment le Mossad cherche à tirer profit des tensions entre les différentes factions de la curie romaine, notamment entre les partisans d’une ligne diplomatique favorable à Israël et ceux qui défendent une position plus proche des intérêts arabes et palestiniens.
Au fil des pages, le lecteur découvre les succès et les échecs des tentatives d’infiltration du Mossad, ainsi que les réactions du Vatican face à ces ingérences. Si certaines opérations permettent aux Israéliens d’obtenir des informations précieuses, d’autres se soldent par des revers cuisants, comme l’arrestation de Mgr Capucci, qui provoque un incident diplomatique majeur entre le Saint-Siège et Israël.
Au-delà du récit haletant des opérations clandestines, cette partie de l’ouvrage offre une réflexion sur les enjeux éthiques et politiques de l’espionnage dans le contexte des relations entre États. Michaël Darmon interroge la légitimité des méthodes employées par le Mossad, tout en soulignant la complexité des rapports de force qui sous-tendent les relations entre le Vatican et Israël.
Il montre également comment ces tentatives d’infiltration, si elles répondent à des objectifs stratégiques immédiats, s’inscrivent dans une histoire longue, marquée par les traumatismes et les incompréhensions réciproques entre le monde catholique et le peuple juif. En cherchant à pénétrer les secrets du Vatican, le Mossad tente aussi, d’une certaine manière, de conjurer le passé et de façonner l’avenir des relations entre les deux États.

De la coopération inattendue à la reconnaissance officielle

Dans Le pape et la matriarche, Michaël Darmon explore les multiples facettes des relations entre le Vatican et Israël, depuis la rencontre historique entre Golda Meir et Paul VI en 1973 jusqu’à la reconnaissance officielle de l’État hébreu par le Saint-Siège en 1994 et au-delà. Au fil des pages, l’auteur met en lumière les enjeux diplomatiques, mémoriels et sécuritaires qui ont façonné ces rapports complexes, oscillant entre tensions et coopération.
L’un des épisodes les plus marquants de cette histoire est sans nul doute la tentative d’assassinat de Golda Meir en Italie, peu avant sa rencontre avec Paul VI. Michaël Darmon révèle le rôle crucial joué par les services secrets du Vatican dans le dénouement de cet attentat, grâce à une collaboration inattendue avec le Mossad. Cette intervention des services secrets pontificaux marque un tournant dans les relations entre les deux États, ouvrant la voie à une coopération plus étroite dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, malgré les tensions diplomatiques qui persistent.
Au-delà de cet événement spectaculaire, l’ouvrage explore en profondeur les enjeux diplomatiques et mémoriels qui ont influencé les relations entre le Vatican et Israël après 1973. L’auteur analyse l’évolution de ces rapports, marqués par des avancées et des obstacles, comme en témoigne la difficile reconnaissance du mouvement sioniste par le Saint-Siège. Il rappelle notamment les tentatives infructueuses de Théodore Herzl, le fondateur du sionisme politique, pour obtenir le soutien du pape Pie X à la création d’un État juif en Palestine : “Les demandes répétées de Herzl de rencontrer le pape finissent par aboutir ; une audience est fixée. Cependant, Merry Del Val, le cardinal secrétaire d’État, lui déclare au cours d’un entretien quelques jours avant l’audience pontificale : «Nous ne pouvons pas nous prononcer en votre faveur.»

L’auteur souligne le poids de la mémoire et de l’histoire dans les relations entre les deux États, en particulier les traumatismes liés à la Shoah et les tensions autour du statut de Jérusalem et des lieux saints. Il montre comment ces enjeux ont influencé les positions du Vatican et d’Israël, rendant difficile la normalisation de leurs relations diplomatiques. La question de la reconnaissance de l’État hébreu par le Saint-Siège apparaît ainsi comme un processus long et semé d’embûches, qui ne trouve son aboutissement qu’en 1994, près de cinquante ans après la création d’Israël.

Cependant, l’auteur ne manque pas de souligner les défis qui ont subsisté après cette reconnaissance, en particulier les divergences persistantes sur le statut de Jérusalem et la question palestinienne. Il montre comment ces enjeux continuent d’influencer les relations entre le Vatican et Israël, dans un contexte régional marqué par l’instabilité et les conflits.

En conclusion, Le pape et la matriarche offre une analyse approfondie et nuancée de l’évolution des relations entre le Vatican et Israël, de la coopération inattendue née de la tentative d’assassinat de Golda Meir à la reconnaissance officielle de l’État hébreu par le Saint-Siège. En explorant les enjeux diplomatiques, mémoriels et sécuritaires qui ont façonné ces rapports complexes, Michaël Darmon contribue à une meilleure compréhension des dynamiques historiques et contemporaines qui sous-tendent les relations entre ces deux puissances spirituelles et politiques.

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Chroniqueur : Maxime Chevalier

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