Florence Delay est académicienne et cela se sent à la fois par le style, et par les nombreuses références littéraires qu’elle nous offre. Pourtant ce livre n’est pas « académique », bien au contraire, il nous fait prendre des chemins, et pas que celui de Damas, parfois buissonniers…
Peut-être grâce à l’influence qu’aurait eue – sur son œuvre et particulièrement sur elle-même, son rôle de Jeanne d’Arc dans le merveilleux film de Robert Bresson « Le Procès de Jeanne d’Arc », qui eut le Prix spécial du Jury en 1962 à Cannes. Elle est aussi une traductrice reconnue d’œuvres majeures de la littérature espagnole, dont La Célestine, livre publié en 1499, qui après Don Quichotte fut le plus diffusé dans le monde. Il a été écrit par Fernando de Rojas, un juif converti au christianisme. Un signe.
Certes on peut penser, en accord avec l’histoire, qu’il y a peu de chance que Paul / Saül chevaucha un cheval. Plutôt un âne, dont l’auteure nous fait remarquer que – dans notre langue – un seul jambage nous sépare de l’âne à l’âme. Peu de gens à l’époque se déplaçaient à cheval. C’étaient principalement des militaires. Même Jésus fait son entrée à Jérusalem sur un âne. Alors pourquoi ce cheval ? Peut-être parce que Paul (dont le nom latin Paulus signifie petit) tombant d’un âne, cela ne fait pas bien haut. Rien de notable. Cependant c’est Saül (nom d’un roi hébreu et qui signifie désiré par Dieu), persécuteur de chrétiens qui tombe. Et c’est Paul qui se relève, et qui entend la voix du Seigneur…
Il s’est passé quelque chose, et cela mérite donc un cheval pour tomber de haut. Extraordinaire conversion. Toutes les traditions et les religions expriment une symbolique très forte liée au cheval. Le mythe du Centaure, couplage parfait entre l’instinct et la raison, entre l’intelligence et la force, et même si le psychanalyste s’est penché sur la séparation de l’homme et du cheval, l’auteure veut principalement nous parler de conversion. C’est à cela que les peintres travaillent à partir du XIIe siècle, représentant systématiquement la scène avec un cheval désarçonnant son cavalier.
Florence Delay n’évoque pas seulement la vie des saints, mais aussi celles des conversions soudaines de grands écrivains et poètes. Elle nous montre combien c’est à la portée de tous d’être touché par la grâce en entraînant un processus de conversion. Le mystère habite la porte d’à côté. C’est la flèche de Notre-Dame qui perce le cœur de Claudel, c’est Max Jacob, juif converti, qui meurt à Drancy et son ami Pierre Reverdy – le Narbonnais – qu’il mène sur le chemin de la conversion, bien qu’il soit libre penseur. Mettre un cran d’arrêt à la vérité. Ce sont les époux Maritain qui, à la lecture de Léon Bloy, mettent un cran d’arrêt à la philosophie et deviennent thomistes. C’est le Soleil au soleil sur le Chemin de Damas opposé au « Soleil de Satan » que rencontra l’abbé Donissan dans un froid à pierre fendre. Ce froid qui mord comme mord l’esprit mauvais dit Ignace de Loyola. Florence Delay a l’assurance que cette conversion n’est possible que par une approche de la pauvreté, tout au moins de l’humilité. Un abandon de soi. Claudel l’a formulé d’une façon saisissante : « Oublie-toi toi-même ». Dans la religion catholique, il a toujours fallu se convertir au moins une fois l’an. Le premier jour du Carême, le prêtre dessine une petite croix sur le front des fidèles et disant : « Convertissez-vous ».
Delay, Florence, Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas, Le Seuil, 01/04/2022, 1 vol. (160 p.), 18€.
NOS PARTENAIRES
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.