Esther Benbassa, Indocile, Éditions du Cerf, 27/03/2025, 308 pages, 22€
Ancienne sénatrice écologiste et directrice de recherche au CNRS, Esther Benbassa est une autrice prolixe. Seule, ou dans le cadre de collectifs, elle a publié une quarantaine d’ouvrages ayant trait à l’histoire du judaïsme moderne. Notamment, à l’étude des Juifs levantins, ces communautés ayant évolué à la croisée de l’Orient et de l’Occident.
Ainsi, a-t-elle abordé le parcours des Juifs sépharades, des Juifs de France et l’histoire du sionisme en Orient. Tout un travail en quelque sorte synthétisé par la parution en 2007, de La souffrance comme identité, démontrant comment dans l’univers juif depuis les fondations bibliques, ses représentations et sa ritualisation ont façonné au fil des siècles l’histoire d’un peuple et d’une religion.
Une thèse remarquablement construite et saluée par la critique, qui une fois ce long chapitre clos sur l’identité juive, l’a incité à mieux dévoiler son itinéraire personnel.
C’est tout l’objectif d’Indocile, le récit d’un destin aussi singulier que tumultueux, guidé par l’attachement à l’héritage des générations comme par le goût de l’avenir. Comme si le temps était venu de faire de l’égo-histoire pour mettre de l’ordre dans ses idées et ses souvenirs.
Née en 1950 à Istanbul dans une famille juive de la moyenne bourgeoisie, Esther Benbassa a appris très tôt à ne pas accepter les conditions difficiles qui lui étaient imposées et choisi de s’émanciper.
Quand on était une petite fille, il fallait que les parents vous choisissent un mari. On vous préparait un trousseau à sept ans et tout ou presque était interdit au plan culturel, y compris plus tard dans les collèges, la lecture des romans de Simone de Beauvoir.
La France, modèle de civilisation
Pour nous Levantins, la France était un modèle de civilisation et la revue Jours de France était notre bible. Elle trônait dans les maisons des amies de ma mère, qui se réunissaient pour prendre le café et jouer aux cartes. Nous aussi, nous finîmes par avoir notre « bible » que ma mère feuilletait chaque semaine sans pouvoir la lire, se contentant des photos qu’elle me montrait régulièrement pour que je puisse devenir une Européenne. Elle rêvait de la France.
Mais avant que ce rêve n’éclose, Esther connaîtra un tout autre univers, celui d’Israël, en l’occurrence, où ses parents divorcés avaient décidé d’émigrer. Dans un univers Ashkénaze qui constituait l’aristocratie du jeune État, parce qu’il avait été pionnier, sioniste et fondateur de ce pays, l’étiquette Séfarade qu’arboraient les juifs de Turquie n’était pas des plus aisées à porter.
Ça ne l’empêchera pas pour autant de faire de belles études et nantie d’une bourse de les parfaire à Paris. Une énième quête qui n’est pas sans déchirement, comme elle l’explique dans le chapitre Nouveau départ.
Les jeunes sont ambitieux et c’est leur force. Ils sacrifient parfois les leurs pour surmonter les obstacles qui pourraient les retenir de faire ce saut dans le vide qu’est l’émigration. Plus de famille, de protection, d’affection, mais une lutte au quotidien que vous devez mener pour franchir une à une les étapes sans regarder derrière vous. Je suis moi-même étonnée de constater combien de fois j’ai essayé d’effacer mes souvenirs, bons et mauvais, même s’ils reviennent toujours au galop. Un émigré doit se tourner vers cet inconnu qui l’attend.
Fidèle et généreuse
La suite, mue par toute une vie de conquête du savoir comme d’enrichissement intellectuel et humain sera comme historienne ou sénatrice du Val-de-Marne, entièrement dédié à son dévouement à la cause publique. Aussi bien dans son implication politique qu’en qualité de spécialiste du monde Sépharade d’Orient.
Un mode d’action généreux et réservé dont on retrouve le creuset tant dans sa façon d’écrire, tel qu’elle le souligne comme dans sa fidélité.
J’aime la clarté et la beauté dans une langue sans trop d’ornements. Je n’ai pas choisi un style d’écriture. Les froufrous linguistiques éloignent le lecteur de l’essence du livre et empêchent le dialogue. Je ne dirai pas que la langue que j’ai utilisée est nue ; elle est pudique. La fidélité, par ailleurs, est ce qui me tient debout. Je suis fidèle à mes convictions, à ma liberté, aux amis, aux proches, comme Jean-François Colosimo, directeur des Éditions du Cerf. Pour une historienne, la fidélité commence par la fidélité aux documents, aux archives. L’oubli efface. La fidélité peut devenir une éthique mais pour cela encore faut-il reconnaître qu’elle ne s’achète pas mais relève d’un « éternel » métissage, d’un travail de dentelle.

Chroniqueur : Michel Bolasell
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