Isaac Asimov, L’Empire romain, traduit de l’anglais par Christophe Jaquet, Les Belles Lettres, 07/06/2024, 302p., 19,90€
Célèbre pour ses romans de science-fiction, Isaac Asimov construit, avec l’Empire romain, une ambitieuse étude historique qui succède à la précédente, La République romaine, traduite en français en 1923. Il convie le lecteur à le suivre sur une période de 5 000 ans, qui s’achève avec les invasions barbares. Superbement illustré par Benjamin Van Blancke, un artiste influencé par la peinture classique et les gravures du Siècle d’or hollandais, l’ouvrage s’attache à présenter les figures de cette ample période de l’histoire romaine. Il évoque les différentes lignées impériales, avant d’aborder les sept royaumes germaniques qui se succèdent, signant l’écroulement de ce que fut un empire vaste et brillant.
Les douze Césars
Après un bref rappel du volume précédent, Isaac Asimov rappelle l’établissement du principat d’Octave. Rendu prudent par le sort de Jules César, ce dernier préféra ne pas courir le risque d’établir une monarchie, par peur de devenir impopulaire. Il écarta les étrangers et traita le Sénat avec respect, concentrant tout le pouvoir sénatorial aux mains des Italiens, puis obtint le soutien des chevaliers. Enfin, il s’assura de contrôler totalement l’armée, également composée d’Italiens, dont la partie la plus importante ne se trouvait pas en Italie. Sous son autorité, le commandement militaire et la gestion des finances, marquée par la réforme de la taxation, contribuèrent à maintenir la paix. Il annexa l’Egypte, renforça la position du pays par une législation tant sociale que politique. Sous son règne, la culture s’avéra florissante. Son ami Mécène finança et encouragea les écrivains, dont le plus célèbre était Virgile. On trouve également Horace, Ovide et Tite-Live. Asimov aborde également, tout au long de son étude, la question des Juifs, dont il retrace l’histoire, puis de l’avènement du christianisme, et précise où se situaient les frontières de l’empire.
Il s’attache, avec un chapitre consacré à la lignée d’Auguste, aux épineuses questions de succession. Il retrace les règnes de Tibère, Caligula, Claude, Néron, en se détachant des images ancrées dans l’imaginaire collectif par l’œuvre très critique de Suétone. Il accorde une place importante aux cultes présents à Rome ainsi qu’à la philosophie, en particulier avec le rôle joué par Sénèque ou les cultes grecs à mystères, avant d’aborder l’histoire du christianisme et la fin de Néron, désastreuse pour Rome selon lui. Dans le chapitre suivant, il fait le récit de la lignée de Vespasien, un général autoproclamé empereur, après les gouvernements de Galba, Othon et Vitellius. Bien qu’âgé lui aussi, Vespasien choisit de conserver le principat et s’attela à la réforme. Premier empereur issu de la plèbe, il provincialisa l’armée et réorganisa le Sénat. Il restaura le respect pour les armes romaines et en 77 reprit la conquête de la Grande Bretagne qui avait périclité sous Néron. Titus, précédé d’une réputation de générosité et de clémence, lui succéda sans difficulté. Son règne connut une paix et une prospérité quasi générale, mais il mourut après deux ans d’un règne endeuillé par la catastrophe de l’éruption de Pompéi, où il se rendit pour organiser les secours et aider les survivants. Il fit ouvrir plusieurs établissements de bains et acheva le projet initié par son père, l’érection du Colisée. Domitien, vilipendé par les historiens, eut selon Asimov un règne juste et ferme. Il encouragea la famille et la religion traditionnelles, interdit la fabrication d’eunuques, fit construire des bibliothèques publiques et offrit au peuple de somptueux spectacles. Peu intéressé par les conquêtes, il mit l’accent sur les positions défensives. Il périt assassiné, signant la fin de sa lignée.
Les Antonins, ou la lignée de Nerva
Nerva s’efforça de dissiper l’hostilité entre l’empereur et le Sénat. Il rappela les exilés politiques, institua un service postal, créa des institutions charitables pour les enfants déshérités, mais l’empire commençait déjà à se déliter. Ne pouvant contrôler l’armée, et n’ayant pas d’enfant, il choisit Trajan pour successeur, ouvrant la voie à une série d’empereurs par adoption.
Cette période fut appelée l’âge d’argent et connut un certain nombre d’historiens dont le plus important était Tacite. On recense également Suétone et Flavius Josèphe, auteur de La Guerre des Juifs, auquel on attribue la première mention de Jésus de Nazareth, jugée apocryphe par les spécialistes. On dénombre également de grands satiristes, Perse, Martial et Juvénal. D’autres auteurs, comme Lucain et Quintilien, appartiennent à l’époque espagnole. On trouve aussi des scientifiques comme Pline, et des vulgarisateurs comme Celse, ou des architectes comme Vitruve.
Le règne de Trajan est marqué par ses actions militaires, représentées dans la colonne Trajane qu’il fit ériger, et l’extension maximale de l’Empire romain. Son successeur, Hadrien, s’attacha à repousser les attaques barbares, à continuer et accroître les efforts humanitaires de ses prédécesseurs, mais l’économie romaine continuait à souffrir. Grand intellectuel, passionné d’histoire, il protégea Plutarque et il s’intéressa à la totalité de l’empire. Antonin, puis Marc Aurèle lui succédèrent. La lignée de Nerva marque une époque paradoxale, durant laquelle la paix et le repos trahissent l’épuisement. L’empire dut supporter une série de catastrophes et amorça son lent déclin. La seule figure littéraire importante de cette fin de règne fut Apulée. On trouve aussi Ptolémée et Galien, malgré la régression de la science. Commode, le fils de marc Aurèle, ruina l’état par ses extravagances et mit fin à la lignée de Nerva.
Vers la fin de l’empire
À la mort de Nerva on vit arriver un certain nombre de prétendants à l’empire, mais Septime Sévère fut le plus rapide. Une fois empereur, il s’attacha à éliminer tous ses adversaires. Sous son règne, l’Empire romain s’apaisa comme à l’époque de Vespasien, mais la cité affaiblie avait subi les ravages de l’épidémie, une forte baisse démographique et les retombées psychologiques de la guerre civile. Une restauration du principat sur le modèle augustéen s’avérait impossible. Il privilégia l’armée, au détriment de la garde prétorienne, coupable d’avoir vendu l’empire, pour la remplacer par une de ses légions du Danube. Il consolida la centralisation étatique, réforma le droit et les finances, tandis que son épouse, Julia Domna, encourageait les philosophes. Il mourut en Grande-Bretagne. Caracalla lui succéda. Mauvais empereur, il ne régna que six ans. On lui doit les luxueux thermes éponymes. Il étendit aussi le droit à la citoyenneté romaine pour percevoir davantage d’impôts. Après lui, les empereurs comme Héliogabale ou Alexandre Sévère, qui se montrèrent incapables de gouverner. Le déclin commençait. C’est cette déliquescence qui fait l’objet des chapitres suivants. Isaac Asimov met en parallèle l’anarchie politique et le développement du christianisme, avant l’arrivée de Dioclétien, puis la lignée de Constantin, en évoquant des faits marquants comme le concile de Nicée, ou la question épineuse de la capitale de l’empire. Constantin choisit Byzance pour sa position stratégique et en fit le siège de sa cour. Les derniers chapitres traitent de la lignée de Valentinien et des royaumes germaniques, après la rupture du Limes.
D’une grande érudition, le livre d’Isaac Asimov, qui manifeste une autre facette de son talent d’écrivain, revisite certaines idées reçues sur l’Empire romain, dont il synthétise les grandes lignes avec une clarté remarquable. Bien que très chronologique, le texte n’en contient pas moins des pages d’analyse et de réflexion, qui permettent de porter un autre regard sur cet auteur de science-fiction, et sur sa vision de l’histoire antique.
Chroniqueuse : Marion Poirson
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