Camille Yolaine, J’aime, Albin Michel, 02/05/2024, 1 vol. (166 p.), 17,90€
Avec les nouvelles technologies, des couples qui ne devaient jamais se connaître tombent amoureux. Dans Vous avez un message de Nora Ephron (1978), Joe, un magnat du livre, et Kathleen, une petite libraire indépendante, deviennent amoureux en échangeant des courriels. Il en est de même avec les réseaux sociaux qui séduisent les jeunes générations et qui facilitent les rencontres. J’aime, vu son intitulé, peut paraître une énième histoire d’amour, qui plus est à Paris, mais le roman fascine en dévoilant l’Autre côté du miroir, le monde mirobolant des youtubeuses, instagrameuses, influenceuses (on peut aussi ajouter les facebookeuses et leurs ami(e)s). Il faut souligner que J’aime – clé occultée – traduit le je Like qui est l’expression consacrée du fan qui approuve le contenu parcouru : on surfe donc dès le titre dans le monde numérique. Lou Trenet – sans lien de parenté, à son grand regret, avec Charles Trenet, le fou chantant – est une star du web. Elle « mesure un mètre soixante-sept, porte du 36, ne met jamais de soutien-gorge ni de talons de moins de cinq centimètres, a des taches de rousseur mais les cheveux blonds. Sur Instagram elle est suivie par sept cent trente mille personnes ». Petite précision, pour elle, « Vingt mille » J’aime, c’est vraiment la honte ! ».
Diane la chasseresse Vs Lou l’influenceuse
Diane, une photographe qui connaît par cœur Lou par ses vidéos, est une follower – une disciple aussi en anglais – qui la porte aux nues. Voulant la voir en chair et en os, elle devient chasseresse et, forte des indices disséminés sur le Net, repère sa proie. Connaissant tous ses lieux préférés, elle l’attend des heures à la terrasse d’un café qu’elle fréquente pour être récompensée « quand la musique de deux petites mules couleur mandarine avait claqué au loin, accompagnée d’un timbre claironnant – déjà entendu en interview et plutôt reconnaissable – en train de vociférer des ordres au téléphone« . Lou passe comme un éclair – à la vanille – parfumant au passage l’esprit de Diane. Recoupant les recommandations d’adresses de Lou et les photos de son balcon et de la vue depuis sa chambre, Diane établit un périmètre restreint du VIe arrondissement et après moult passages trouve Lou, cachée sous un énorme bouquet de mimosa. Elle la suit et trouve son immeuble, le balcon, l’olivier et les géraniums postés sur son site. Une autre fois, Diane à un concert de piano de Philippe, le frère de Lou, voit surgir Lou qui cherche sa place et lui demande où est le côté impair. Mais c’est le hasard qui met Lou dans ses bras. Cléo, une amie perdue de Diane, partage un jour sur son blog une photo d’elle avec Lou. Toutes deux sont amies et font du théâtre. La suite n’est qu’un jeu d’enfants. Diane ruse pour revoir Cléo et rencontrer Lou et sympathiser avec elle. Le suspense renaît, le chat devenant la souris et on pense au Limier (Sleuth) de Joseph L. Mankiewicz (1973). Diane, entrant avec Lou dans la bergerie et partageant sa vie privée et professionnelle et ses ami(e)s, plonge dans un monde inconnu. Elle perd pied et la tête et le piège qu’elle avait tendu se referme sur elle. Mais des deux séductrices – celle qui se montre en photos et celle qui les prend – qui s’observent, se jaugent et se partagent les journées et les amours, qui va l’emporter ? Qui va se brûler les ailes ?
Un thriller alicien au pays des grandes marques
J’aime est une histoire (sur)prenante et réaliste comme l’autrice, Camille Yolaine, est « elle-m’aime » une influenceuse suivie par un bon demi-million d’abonnés sur son compte Instagram (cinq cent trente-six mille fans exactement). Une rapide recherche sur le web apprend qu’elle est née le 4 juin 1994, a 30 ans, fait 1,58 mètre, est gémeau, comédienne (elle a joué dans l’épisode Grand Hôtel de Capitaine Marleau en 2023), mannequin, créatrice de contenu en ligne, entrepreneuse avec la marque de cosmétiques Yolaine, personnalité des réseaux sociaux, influenceuse, artiste connue pour son style parisien résolument vintage. Elle connaît donc bien le monde des réseaux et sait le reconstituer à merveille(s), parsemant son roman d’une foule de détails vrais qui attisent et satisfont la curiosité. Lou (Camille ?) n’a que des vêtements et des objets de grandes marques et son petit chez-soi est une véritable boutique de mode. Elle porte notamment des mules Repetto, un pull Courrèges, un sac Céline. Son appartement, qui regorge de cartons éventrés Gucci, Dior, Sisley, Lancel, est un capharnaüm, un mélange à la Prévert de foulard Hermes, de panier de plage Céline, de bougies Diptyque, de calendrier Dammann frères… Une fan enthousiaste et habillée vulgairement la rencontrant lui demande d’être prise en photo avec elle et poste un commentaire désobligeant qui restera sans réponse pour éviter tout buzz. Il faut saluer deux trouvailles littéraires de l’autrice. La personne qui écrit est Diane qui, obsédée et méticuleuse, raconte l’histoire datée de mai à septembre. De courts dialogues (en italiques) ouvrant des chapitres scénarisent Diane en incessante discussion avec une personne qui s’avère être son médecin thérapeute. Diane est donc malade et confie à son psy ses troubles et perpétuelles remises en question. On pourrait aussi penser qu’elle s’invente un personnage, se dédouble et se parle à elle-même, ce qui, alimenterait et dénoncerait bel et mal la confusion mentale d’une Diane éperdue se noyant dans une atmosphère étrange et délétère, persistante et de plus en plus étouffante.
En conclusion, on pourrait être jaloux ou se méfier d’une instagrameuse qui prend la plume – de marque Mont Blanc, Caran d’Ache, Graf Von Faber Castell ou Namiki, faut-il le préciser ? – mais son premier roman est réussi (il pourrait même inspirer un (télé)film). Il est prenant dès les premières lignes et s’avère être un bon thriller. La trame finement construite tient constamment en haleine le lecteur qui sent un malaise et une folie s’installer et grandir et qui se demande comment va finir l’histoire. En fermant la dernière page, on reste ébaubi et ému et on se dit que le métier d’influenceuse a aussi ses risques et périls. L’actualité dénonce des voleurs profitant des vidéos postées pour repérer des objets de valeur et savoir où et quand agir. Le monde de Lou y es-tu ? est un monde à part, un conte de fées qui fait rêver et fantasmer de l’autre côté luxueux du mirage numérique et qui peut être un véritable cauchemar. Pour ma part, tout compte (internet ou non) fait, je Like J’aime.
Chroniqueur : Albert Montagne
NOS PARTENAIRES
Faire un don
Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.