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Mouloud Akkouche, Jardin des oubliés, Gaïa, 23/08/2023, 1 vol. (176 p.), 19,90€

Le Jardin des oubliés, délicate périphrase pour un lieu qui n’est autre qu’un cimetière. Un cimetière un peu particulier cependant, construit sur une île qui n’abrite désormais qu’un unique habitant. Pourtant le cimetière se remplit, année après année, non des corps des insulaires mais des cadavres qui de loin en loin s’échouent sur le rivage. D’où viennent ces naufragés parfois horriblement défigurés, énucléés par les albatros ou dévorés par les crabes ? Nul le sait. Mais tous ont en commun d’avoir sur la nuque un mystérieux tatouage fait de lignes géométriques, de lettres et de chiffres. Une chose est certaine, un bouleversement majeur a dû se produire par-delà l’horizon dont ces corps sont le glaçant témoignage…
C’est le régisseur et dernier habitant de l’île qui se charge de récupérer les dépouilles et de les enterrer dans ce qu’il a nommé le jardin des oubliés. Il ne manque pas de rédiger une épitaphe pour chaque nouveau défunt dont il tient méticuleusement le compte dans son registre. “J’essaie d’être leur famille” a-t-il écrit sur la première page de son cahier.

Le gardien d’une île de milliardaires

Le vieil homme a dépassé les soixante-dix ans et, escorté par ses deux chiens Sud et Nord, il occupe ses journées à arpenter ce caillou perdu au milieu de l’Océan. Cela fait six ans qu’il n’a plus croisé un seul être humain. La Vaurély, île à l’origine uniquement peuplée de quelques familles de pêcheurs a vu un jour l’arrivée d’un jet privé avec à son bord un milliardaire qui avait été forcé à un atterrissage d’urgence. Ce dernier, charmé par ce cadre idyllique, a aussitôt voulu y construire une résidence secondaire. D’autres familles fortunées l’ont imité et des villas luxueuses ont poussé un peu partout : “Nous avons créé un Éden durable” aimaient à répéter ces nouveaux venus. Les autochtones ont progressivement été poussés vers la sortie, les milliardaires, lorsqu’ils venaient, faisant suivre leur propre personnel. Seul le vieil homme, natif de La Vaurély, a été embauché comme régisseur, c’est-à-dire homme à tout faire, chargé de l’entretien et de la surveillance de l’île pendant l’absence des milliardaires qui ne séjournaient sur place que quelques mois par an.

Le gardien d’une île de milliardaires

Mais un jour les nouveaux résidents ont cessé de venir, sans la moindre explication. Et depuis six ans, le vieux régisseur attend leur retour. Un retour qu’au fond de lui il sait des plus improbables. Personnage beckettien, il attend et s’occupe en déblayant les routes et en préservant les villas et les bâtiments publics de la corrosion et de la ruine : “Que deux bras pour contenir la colonisation de la nature. Un travail à plein temps. Et obsédant. Une sorte de mission”. Pour se nourrir, il cultive son potager et va piocher dans les immenses garde-mangers des villas. Alors qu’il pourrait s’installer dans n’importe lequel de ces palaces, il continue à vivre dans son étroite maison de pêcheur et à dormir dans le même lit où il a vu le jour. Si l’apocalypse a eu lieu quelque part, le régisseur, en moderne Sisyphe, survit grâce à la routine qu’il s’impose. Pourtant, une rencontre va venir bouleverser son quotidien. Il s’avère qu’un des naufragés qu’il repêche sur le rivage est encore en vie. Une jeune femme amnésique et incapable de prononcer une parole. D’elle, il n’obtiendra pas de réponses sur les drames qui agitent le reste du monde. Mais il s’agira d’apprendre à cohabiter sur cette île peuplée de fantômes et de silence.

Les phrases concises et factuelles de Mouloud Akkouche refusent toute esbroufe ou pathos. Mais de leur sobriété même se dégage une indéniable poésie. Jardin des Oubliés est une envoûtante parabole qui, à défaut d’éclaircir tous ses mystères, invite le lecteur à se laisser bercer par la nostalgie crépusculaire de la fin d’un monde.

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Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

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