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Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Les sciences de l’empire du Milieu, Belin, 06/09/2023,1 vol. (223 p.), 26,90€

Écrit par un astrophysicien français, consultant scientifique pour le magazine Ciel et Espace et administrateur de l’Association française d’astronomie, cet ouvrage passionnant met l’accent sur l’histoire des sciences en Chine, en montrant comment l’apport des autres cultures a permis de construire la nôtre. Ainsi, l’imprimerie, la poudre et la boussole, ces découvertes fondamentales, ont été faites dans l’empire du milieu, ainsi qu’un certain nombre d’autres, en particulier la soie, l’étrier, le gouvernail, le sismographe, etc. Tous ces matériaux, dispositifs et machines ont ensuite exercé une influence importante sur l’Europe de la Renaissance, où ils ont joué un rôle essentiel. Le livre, né de la rencontre personnelle de l’auteur avec des scientifiques et historiens chinois, s’efforce de répondre à un certain nombre de questions. Pourquoi la Chine ? Quelle forme de pensée a permis de faire émerger ces inventions ? Comment se sont-elles transmises jusqu’en Europe et comment peut-on mesurer leur impact ? Les traces écrites les plus anciennes et les plus précises concernant les étoiles proviennent de ce pays. Cette constatation a permis à l’auteur de prendre conscience des apports scientifiques précieux venus de la Chine, et de l’enfermement culturel de l’Europe, qui a privilégié le rationalisme au détriment de l’empirisme. Cette distinction artificielle met en évidence les différences entre ces deux cultures, et permet de se demander pourquoi les découvertes faites en Chine ne l’ont été nulle part ailleurs.

De l’invention de la soie…

Jean-Marc Bonnet-Bidaud considère l’invention de la soie comme la plus ancienne et la plus prestigieuse, qui a permis à la Chine d’occuper une position dominante durant des millénaires. Ce textile, dont le prix a parfois dépassé celui de l’or, relevait d’une technique secrète et a fait l’objet pendant des siècles d’un commerce ininterrompu avec l’Eurasie, le nom de la Chine, Serica, se confondant alors pour les Occidentaux avec celui de son produit. Très complexe à fabriquer et travailler, la soie est le résultat d’une ingéniosité et d’une méticulosité considérables, requérant une interaction entre l’homme et l’insecte, et une série d’étapes qui passe très tôt par la mécanisation. Dès le néolithique, elle a constitué une monnaie d’échange et un trésor de guerre, et sa transmission demeure complexe. Selon les chroniques historiques de l’époque des Han, son invention serait attribuée à Leizu, l’épouse du premier empereur mythique chinois Huang Di. Au-delà de cette source légendaire, le processus de fabrication que détaille le livre de Jean-Marc Bonnet-Bidaud s’avère très sophistiqué. Contrairement à la soie grecque, fondée sur l’élevage de cocons divers ou du byssus, produit par certains coquillages, la soie chinoise a été produite de façon massive, en suivant un processus de sélection du bombyx qui en garantissait la qualité. Des fouilles archéologiques ont permis d’exhumer dans la province de Jiangxi plus de vingt pièces de textiles dans une tombe collective, qui confirment non seulement l’excellence de la soie, mais aussi l’usage du tissage et de la teinture à cette époque. Très longtemps, la soie est restée un produit de luxe, dont les machines destinées à sa fabrication représentent une remarquable avancée technique. Le livre évoque aussi deux trésors, la soie trouvée dans la tombe de Mawangdui, près de deux siècles avant notre ère, et les étendards de la bataille de Carrhes (53 avant notre ère).

…à celle de l’imprimerie

Le papier, pour sa part, a permis à la Chine de consigner et de conserver pendant 2 000 ans les traces de son histoire et de ses productions scientifiques et culturelles. Peu coûteux, facile à produire massivement, il s’est imposé aisément devant d’autres supports de l’écriture, comme le bambou, la soie, les os ou les briques de terre. Il a joué un rôle dans la vie quotidienne (monnaie, lanternes, ombrelles, cartes à jouer, emballages, etc.). Sa découverte est attribuée en l’an de notre ère à un fonctionnaire impérial du règne des Han, Cai Lun. Mais une découverte lors de fouilles effectuées dans l’oasis de Loulan remet en cause cette version. Le papier existait bien avant et semble avoir été largement été utilisé vers l’an 1 de notre ère. D’autres fouilles font remonter sa datation à des périodes bien plus anciennes, près de trois siècles avant Cai Lun, même si c’est après lui que sa technologie s’est généralisée.
Le livre analyse la technique utilisée, qui nécessitait une dizaine d’actions différentes et a subi des améliorations a cours des siècles pour parvenir à l’excellence. Cette qualité a permis la conservation de documents exceptionnels. Il a fallu mettre en œuvre une filière technologique exemplaire, née d’une démarche scientifique extrêmement rigoureuse. À partir de ces avancées, de nombreux ouvrages ont été composés sur papier. Dès le Ve siècle, la bibliothèque impériale comportait 70 000 ouvrages, dont beaucoup ont été brûlés sur l’ordre de l’empereur Qin Shihuangdi, désireux de museler ses opposants en les privant de sources philosophiques. C’est l’historien Sima Qian qui a reconstitué la plupart de ces savoirs dans la première encyclopédie chinoise connue, le Shiji. Durant les dynasties suivantes la production de papier a connu un essor énorme et permis de développer un marché gigantesque, allant du secteur du livre à celui du bâtiment, en passant, un peu avant la dynastie Tang, par l’utilisation du papier toilette.
Mais c’est l’imprimerie qui a constitué un moteur privilégié de l’évolution. Dès le début de la dynastie Han, les textes fondateurs ont été gravés sur des stèles. Sept siècles avant l’Europe, la Chine a imprimé et diffusé des livres. Les stèles gravées sont considérées par les chercheurs comme l’origine de l’imprimerie en Chine. La pratique de l’estampage à partir des stèles a permis de copier fidèlement des textes. Mais c’est l’émergence du bouddhisme qui a permis celle d’une nouvelle technique d’impression à partir de blocs de bois, la xylographie, inspirée par l’usage des sceaux, qui s’est imposée entre le VIe et le VIIIe siècle. À la fin de la dynastie Tang, l’imprimerie a été érigée au rang d’industrie, avant de culminer au Xe siècle, moment de la période Song, qui a entraîné la naissance de l’imprimerie moderne.

Une quête de l’immortalité : l’invention de la poudre

Invention chinoise ayant eu le plus d’impact direct sur l’histoire du monde, la poudre a bouleversé les opérations militaires et influé sur les changements politiques, même si l’on ignore la plupart du temps ses utilisations pacifiques. L’empereur Qin Shihuangdi, l’unificateur de la Chine, était mû par l’obsession de l’immortalité. Il a mis à contribution l’ensemble de son empire, une foule de savants, devins et magiciens, destiné à lui procurer l’élixir de vie. Ils étaient fascinés par le mercure et plus particulièrement le cinabre, un de ses composés, dont ils fabriquaient des pilules, qui auraient causé la mort par empoisonnement de l’empereur. Cette quête s’est néanmoins poursuivie sous la dynastie Han, porté par l’impulsion taoïste. La “science du fourneau” chinoise s’apparente à la pratique occidentale de l’alchimie. Les savants ont tenté de percer le secret du cinabre dont le pays possède de riches gisements, et tenté de transmuter le mercure en or. Le salpêtre, très courant, faisait partie des matières étudiées et intervenait pour un usage médical. Sa manipulation et son mélange à d’autres substances a abouti, après maintes déconvenues, à la découverte de la poudre noire, que ses capacités destructrices ont d’abord conduit à sa dissimulation. Ce n’est qu’autour de 850 de notre ère que la « drogue de feu » s’est imposée, donnant lieu aux feux d’artifice et à la fabrication d’armes explosives, dont le secret s’est avéré aussi absolu que celui de la soie à son époque.

Riche, brillant, documenté, le livre de Jean-Marc Bonnet-Bidaud nous permet d’accéder à la richesse et à la complexité de la science chinoise, par “ceux qui ont inventé la poudre et la boussole”, pour parodier le célèbre vers d’Aimé Césaire… L’ouvrage se penche aussi sur l’acupuncture et les particularités de la médecine chinoise, le développement de l’astronomie, et le dialogue qu’entretient la science de l’empire du milieu avec la nature. D’une grande clarté, d’une écriture fluide, superbement illustré ce livre, qui permet d’établir un dialogue entre Orient et Occident, peut aussi bien s’adresser aux amateurs qu’aux scientifiques. Il renouvelle notre connaissance de la Chine dont il éclaire les avancées technologiques sur plusieurs millénaires.

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Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

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