Jean-Marie Rouart, La maîtresse italienne, Gallimard, 04/01/2024, 1 vol. (168 p.), 19€.
De tous les grands personnages de l’histoire de France, Napoléon est sans conteste l’un de ceux qui fascinent le plus. Il suffit pour s’en convaincre de considérer la masse d’ouvrages qui lui ont été consacrés depuis deux siècles. En 2014, l’historien Jean Tulard avançait le chiffre colossal bien que difficilement vérifiable de 80000 titres… Sans parler des nombreuses adaptations cinématographiques, d’Abel Gance à Ridley Scott qui, le dernier en date, a coiffé Joaquim Phoenix du célèbre bicorne. Si l’irrésistible ascension politique du petit général corse, son sacre immortalisé par David, ses batailles et sa mort solitaire sur le rocher de Sainte Hélène font partie intégrante de l’imagerie d’Épinal, son premier exil sur l’île d’Elbe en 1814 est souvent remisé au second plan. On retient surtout la fin de cette parenthèse de huit mois, l’évasion maritime, le débarquement en Provence et la spectaculaire reconquête du pouvoir lors des Cent Jours. 1815 avec en point d’orgue la défaite de Waterloo et la restauration de l’autorité monarchique est restée dans toutes les mémoires. L’année qui l’a précédée est beaucoup moins connue. Elle a pourtant été décisive à bien des égards. C’est ce que propose de redécouvrir l’académicien Jean-Marie Rouart dans son dernier roman, La maîtresse italienne.
Un récit polyphonique
La grande force de ce livre est de ne pas enfermer exclusivement le lecteur dans la psyché de l’empereur déchu. Le parti pris adopté est de faire entendre, de chapitres en chapitres, différentes voix qui permettent, en les assemblant, de reconstituer l’ambiance de l’Europe au lendemain de la désastreuse retraite de Russie. Avec un art consommé de portraitiste, et s’appuyant sur son excellente connaissance de la période sans jamais paraître docte, Jean-Marie Rouart campe une savoureuse galerie de personnages. On retrouve au palais des Tuileries, Louis XVIII, « flasque, raidi par les rhumatismes, telle une grosse méduse pleine d’arêtes douloureuses » qui a bien conscience que tant que Napoléon sera en vie, il ne sera jamais tranquille. Il y a aussi, Talleyrand, l’ancien évêque défroqué, « blême de cette pâleur cireuse des cadavres » qui cherche à tirer le meilleur profit de la situation actuelle : « Joueur de toutes les fibres de son être, amateur de tous les jeux, il trouve une particulière jouissance dans cet exercice. Il ne peut se dissimuler sa satisfaction d’être toujours là. Toujours dans la partie, même si c’est avec des partenaires différents ». Il y a également des protagonistes moins connus, comme le consul de France à Livourne, le chevalier Mariotti qui a fait sien l’opportunisme qui caractérise cette époque troublée : « Les girouettes abondent. Dans ces temps incertains, mieux vaut ne pas se prévaloir de convictions trop chevillées au corps ».
Une histoire d’amour et de faux-semblants
Le roman dépeint avec beaucoup de vie l’atmosphère de l’île d’Elbe où Napoléon continue à se comporter en monarque d’un royaume miniature. Le proscrit a une totale liberté de mouvement, donne des réceptions, reçoit même sa maîtresse : « On singe un pouvoir évanoui, on recrée la liturgie d’une cour factice dans un minuscule palais qui paraît en carton-pâte ». Pour le surveiller, il y a toutefois le colonel écossais Neil Campbell. Ce dernier a pour mission d’empêcher toute tentative d’évasion. Le jeune homme est fasciné par Napoléon qui exerce sur tous ceux qu’il côtoie une emprise presque magnétique. Mais il y a aussi sa passion naissante pour l’énigmatique comtesse Miniaci, la nouvelle coqueluche de Florence. Des dizaines de prétendants se disputent ses faveurs mais c’est à ce jeune officier qu’elle a ouvert la porte tant convoitée de ses appartements. Campbell, qui a le privilège de côtoyer chaque jour l’homme le plus célèbre du monde, intrigue. On cherche à obtenir ses confidences. À une époque où les espions pullulent et où l’Empereur réfléchit déjà à son retour sur le devant de la scène, l’amour de cette maîtresse italienne est-il si désintéressé que le trop naïf Campbell voudrait le croire ?
Renouant avec la grande tradition des fresques du XIXe siècle, Jean-Marie Rouart a su trouver le ton juste pour restituer l’ambiance de cette période complexe. Sa langue ciselée ressuscite lieux et personnages avec brio offrant, même aux néophytes de la geste napoléonienne, une passionnante incursion aux côtés du plus romanesque des personnages que l’Histoire ait enfanté.
Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado
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