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Joseph O’Connor, Dans la maison de mon père, Rivages, 03/01/2024, 1 vol. (430 p.), 23,90€

C’est une histoire vraie, mais romancée, que Joseph O’Connor raconte dans son thriller poignant, intitulé Dans la maison de mon Père, un titre aux accents évangéliques, citation directe des paroles de Jésus. Il raconte l‘histoire du père Hugh O’ Flaherty, un prêtre irlandais qui, avec un groupe d’amis, a sauvé plus de 5000 Juifs et soldats alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le récit s’ouvre sur un plan de Rome en 1943, où l’on voit bien la frontière qui délimite la ville occupée par les Allemands de l’État du Vatican, seul endroit qui échappe à leur contrôle. L’État, neutre et indépendant, abrite prêtres et diplomates. Le commandant de la Gestapo, Paul Hauptmann, gouverne la ville d’une main de fer. Il multiplie les arrestations et les tortures, qui ont lieu dans les locaux de l’ancien institut culturel allemand. Les résistants étudient ensemble des plans et des routes d’évasion et préparent une mission de la plus haute importance, qu’ils désignent sous le terme de Rendimento, ce qui signifie “Performance”.

Un roman choral

Le livre est construit comme une œuvre théâtrale en trois actes : acte I, Le Chœur, acte II, le Solo, acte III, le Chasseur. Sa dimension chorale apparaît en lien avec la couverture de la filière d’évasion, assez cloisonnée pour des raisons de sécurité, dont les membres ont formé un ensemble musical. Les répétitions de chant, dans un ancien hospice, leur permettent de se retrouver et servent d’alibi à leurs activités clandestines.

Par ailleurs, si Hugh O’Flaherty est véritablement le chef de chœur, et celui du réseau, et si le roman s’articule autour de son personnage exceptionnel, ce sont toutes les voix des choristes que nous entendons ici. Deux sopranos, Delia Kiernan et Marianna de Vries, prennent la parole. Delia Kiernan, épouse d’un diplomate, était chanteuse et collectionneuse de ballades irlandaises. Elle a enregistré plusieurs 78 tours pendant une trentaine d’années. Marianna de Vries bénéficie des avantages de son passeport suisse qui lui permet de circuler partout dans Rome. Cette reporter indépendante a rencontré Hugh O’Flaherty à l’opéra, où l’on jouait Tosca. La comtesse Giovanna Landini, alto, est une riche veuve qui, alors âgée de 30 ans, a perdu son époux et le lendemain de ses obsèques, l’enfant qu’elle attendait. A la déclaration de guerre, elle s’est portée volontaire pour être ambulancière, avant de devenir coursière à moto pour la Croix-Rouge. Les ténors sont sir D’Arcy Osborne, Enzo Angelucci, et le major Sam Derry. La basse, John May. Enzo Angelucci, vit à Rome et travaille comme kiosquiste. Il vend des cierges qu’il a bénis lui-même. Sir d’Arcy d’Osborne, ambassadeur auprès du Saint-Siège, est un noble anglais. Il a pour valet John May, auquel il confie des tâches délicates, avant de finir par l’enrôler dans son réseau. La parole, également donnée à leur chef d’orchestre, revêt une forme testamentaire. Elle nous permet de l’appréhender d’un point de vue personnel, qui complète les témoignages qui lui sont consacrés.

Ainsi, le roman présente un mode d’écriture hétérogène. D’une part, il multiplie les points de vue, en faisant entendre la voix de chacun des choristes. D’autre part, il présente une hétérogénéité de rédaction, en raison de la provenance des témoignages : textes inédits de Hugh O’ Flaherty, lettres, journaux, télégrammes, transcriptions d’entretiens pour la BBC, ou de communications allemandes qui alternent avec le récit proprement dit, s’acheminant vers le Rendimento.

Un tableau de Rome pendant la guerre

Ainsi, le roman présente un mode d’écriture hétérogène. D’une part, il multiplie les points de vue, en faisant entendre la voix de chacun des choristes. D’autre part, il présente une hétérogénéité de rédaction, en raison de la provenance des témoignages : textes inédits de Hugh O’ Flaherty, lettres, journaux, télégrammes, transcriptions d’entretiens pour la BBC, ou de communications allemandes qui alternent avec le récit proprement dit, s’acheminant vers le Rendimento.

Barbelés, sentinelles cagoulées, fenêtres murées. Les gens qui habitent trois rues plus loin sont réveillés par les cris. Le camion du boulanger apparaît devant le bâtiment chaque matin à l’aube pour ramasser les carcasses de ce qui naguère furent les corps d’étudiants, de partisans, de résistants. On raconte que l’intérieur du véhicule a été imperméabilisé avec du caoutchouc, mais ces précautions n’empêchent pas toujours le sang d’éclabousser les rues qui mènent à la via Tasso jusqu’aux jardins et aux parcs de la ville où Hauptmann exhibe les cadavres massacrés pour que tout le monde les voie. Sur des bancs. Sous des abribus. Pendus à des réverbères.

Ces visions d’horreur et de cruauté permettent d’imaginer le climat de terreur qui pèse sur la Ville éternelle. La description même, qui transforme les corps en carcasse et la réquisition du camion du boulanger, non seulement visent à montrer la déshumanisation, mais présentent le dévoiement d’un véhicule destiné au transport des denrées, ou de corps exhibés comme des morceaux de viande, dans une ville où l’on meurt de faim, ce que montre par ailleurs la description d’un adolescent juif affamé, nourri par Angelucci.

La force du thriller

La description de Rome permet de mesurer le danger qui menace les choristes et leurs protégés. La construction implacable du roman, qui note de façon très précise la progression vers le Rendimento, crée le suspense. Chaque chapitre est précédé d’une date et de notations temporelles scrupuleuses. Ce travail sur le temps évoque celui d’une tragédie annoncée. Comme le dit le prologue, “A Noël, il n’est plus possible de faire marche arrière.”

Le style du récit, qui s’accélère parfois, avec des phrases brèves, adopte un rythme angoissant :

Jeudi 23 décembre. 7 heures. Exactement 40 heures avant le Rendimento. Tchac. Tchoc. Il retire les fléchettes de la cible. Les lance à nouveau. Toujours pas de message.

Dans ces quelques phrases, la brièveté et l’économie de moyens reflètent la tension du personnage, tandis que son action revêt une dimension à la fois sonore et visuelle, quasi-cinématographique. La suite du récit nous permet d’accéder aux pensées du prêtre, de partager son inquiétude, tandis qu’il “lance des fléchettes invisibles à travers la ville en direction d’Angelucci.” La manière dont Paul Hauptman joue au chat et à la souris, ou les menaces que reçoit le prêtre amplifient le climat d’angoisse. Les interruptions du récit par les témoignages apportent une dimension moratoire qui tient en haleine le lecteur, soucieux du destin des personnages.

La figure du chef est présentée de manière aussi héroïque qu’atypique. Hugh O’Flaherty incarne la désobéissance tranquille. Il refuse les injonctions de sa hiérarchie et continue sa mission sans se soucier de la position officielle du Vatican. “Ce fou d’Irlandais”, comme l’appelle Angelucci, n’hésite pas à tenir tête à Hauptmann, s’oppose frontalement au pape, dont il ne partage pas la frilosité, et prend de nombreux risques pour sauver des vies. Il circule à moto, connaît admirablement bien la ville dont les églises lui servent de repère, se montre fanatique de sport et s’expose sans cesse au danger.

Un livre fort et émouvant, qui témoigne de l’action du Schindler irlandais, le père Hugh O’ Flaherty, mais aussi du courage de ceux qui l’ont suivi. Entre réalité et fiction, ce roman, qui met l’accent sur quelques-unes des heures les plus sombres du vingtième siècle nous incite, à travers ces figures d’exception, à garder foi en l’humanité.

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Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

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