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Alain Bauer, Alexis Deprau, Gilles Ferragu, Juger les terrorismes. Regards croisés de la criminologie, du droit et de l’histoire. Le Cerf, avril 2024, 336 p., 24 €.

Le terrorisme est une plaie qui touche aujourd’hui tous les États. De Jésus, le terroriste zélote condamné en l’an 30, au fiché S tuant au couteau Dominique Bernard, professeur de français, le 13 octobre 2023, le terrorisme – devenu pluriel et terrorismes – a traversé les siècles et les continents, frappant corps et esprits et semant destruction et horreur. Trois universitaires analysent l’évolution de la Justice et sa faculté à juger les terroristes : Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers (auteur d’un ABC de la criminologie (Cerf, 2024) chroniqué sur Mare Nostrum), Alexis Deprau, docteur en droit de la sécurité et de la défense (auteur de Le droit face à la terreur, Cerf, 2021), Gilles Ferragu, MCF en Histoire contemporaine à l’Université de Paris-Nanterre (auteur d’une Histoire du terrorisme, Perrin, 2014). Le livre suit la chronologie des grandes affaires (attentats et jugements) et si le plan est tripartite, il faut avouer – sans préjuger du contenu – que les parties (non signées) sont inégales : Avant 1793 (21 pages), Juger les régicides (48 pages), Des sections spéciales à nos jours (195 pages).

Du tyrannicide gréco-romain à la Terreur d’État capétienne

Le tyrannicide antique assassine un tyran. Son acte est fêté car il résiste à la tyrannie. Les lois sur la mise à mort des tyrannicides sont simples, si quelqu’un vise à la tyrannie ou l’obtient, il peut être tué sans impunité. Les conspirations contre les empereurs romains étaient courantes même si les auteurs voulant instaurer la République remplaçaient souvent le tyran. Pour son procès, Jésus est d’abord interrogé par les prêtres juifs qui ne pouvaient tolérer qu’il défiât leur autorité, critiquant le Temple, réinterprétant la loi juive, enfreignant le shabbat, se prétendant le Messie, puis par Ponce Pilate, qui, réservé sur sa culpabilité, collaborait avec le Grand Prêtre. Dangereux pour l’ordre établi, Jésus est crucifié. En 1299, les Templiers, chevaliers religieux en Terre sainte, prêtent cinq cent mille livres à Philippe le Bel, roi de France. Les baillis et sénéchaux reçoivent l’ordre d’emprisonner les Templiers en septembre 1307. Le Pape, d’abord irrité (l’Ordre dépend de lui selon le droit canon) mais craignant le roi, émet une bulle ordonnant à tous les monarques chrétiens d’arrêter les Templiers. Jacques de Molay, Grand Maître de l’Ordre, est arrêté. Abandonnés et torturés, les Templiers avouent, générant les preuves des procès. Les dossiers d’accusation d’hérésie, simonie, sodomie et idolâtrie, sont vides, basés sur des rumeurs et suspicions, mais le roi fait vite pour dissoudre l’Ordre dont il veut les richesses et éviter les critiques de ses actions juridiquement douteuses. Comme le Pape, l’inquisition française se range de son côté. La terreur d’État tue donc l’Ordre qui n’était pas terroriste mais devenu plus financier que guerrier.

Du régicide de Henri III au tyrannicide de Louis XVI

Dans un État où le roi est le père et le lieutenant de Dieu, le régicide est le pire crime. Le souverain est visé, d’où la lèse-majesté, mais aussi le père, d’où le parricide. Le lieu du crime détermine la juridiction compétente : la prévôté de l’hôtel si à la Cour, la Grande chambre du Parlement de Paris si hors de la Cour. Jacques Clément, tué sur le coup pour l’assassinat de Henri III en août 1589, est jugé à titre posthume pour lèse-majesté. Pierre-François Damien, échouant à tuer Louis XV en janvier 1757, est accusé de lèse-majesté. Son corps est démembré, brûlé, ses cendres jetées au vent. François Ravaillac, pour parricide sur une personne sacrée avec Henri IV en mai 1610, subit la torture des brodequins et le châtiment public. Avec Louis XVI, le crime sacrilège est légalisé. Les accusations sont les répressions depuis 1789, la fuite de Varennes, l’armoire de fer des Tuileries, la correspondance secrète. Le 15 janvier 1793, les députés votent la culpabilité du roi (642 oui sur 718) et, le 16 la peine de mort (361 pour sur 721). C’est la fin de l’Ancien régime. Le mot terroriste – partisan de la Terreur de 1793 – vient du consul Bonaparte qui, échappant en décembre 1800 à un attentat, rue Saint Nicaise, accuse à tort les Jacobins. Cent trente sont déportés, les comploteurs condamnés à mort (poing droit et tête coupés) pour complot visant le premier magistrat de la République. Immortalisé par Fernandel dans Le Schpountz, l’art. 12 du Code pén. de 1810 édicte : « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». S’ensuivent les tentatives d’assassinat sur Louis-Philippe en 1835, 1836, 1837, 1840, 1846, Napoléon III en 1855, 1858 (toutes punies de mort). L’anarchisme sape la République : attentat à la dynamite de Ravachol au domicile d’un juge en mars 1892, attentat à la bombe d’Émile Henri contre un commissariat en novembre 1892, assassinat de Jean Jaurès par Raoul Villain en juillet 1914, assassinat de Paul Doumer par Paul Gorgulov en mai 1932, tentative d’assassinat de Léon Blum par la Cagoule en février 1936. La guerre fera sombrer l’État français.

Des sections spéciales aux lois antiterroristes

La France des années 1941-2023 subit des attentats terroristes politiques et religieux générant une justice d’exception et une juridiction antiterroriste spécialisée. La période 1941-1963 est celle de Vichy, avec la section spéciale et le tribunal d’État, et celle du conflit algérien et l’OAS, avec des tribunaux militaires d’exception et la Cour de sûreté de l’État. Les années 1970 voient surgir les terrorismes indépendantistes : basques, corses, antillais, bretons. Les années 1980 revoient un terrorisme religieux et islamiste. Le 3 décembre 1986, trois militants d’Action Directe menacent de mort les magistrats et les jurés. Quatre des neuf jurés se désistent avec certificat médical à l’appui. Le procès est ajourné et la loi du 30 décembre 1986 crée la nouvelle Cour d’assises – seule compétente en matière terroriste – désormais sans jurés et uniquement composée de magistrats professionnels. La loi du 22 juillet 1996 durcit la répression antiterroriste avec la notion d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. La loi du 15 novembre 2001 renforce le contrôle des agents de la police judiciaire contre le terrorisme (fouille des véhicules dans les ports et aérodromes) et des agents de sécurité privés (fouilles et palpations en cas de suspicion). La loi du 13 novembre 2014 restreint la restriction de la liberté d’aller et venir, renforce les mesures répressives (apologie des actes terroristes), permet le traitement des données, le blocage des sites internet et l’interdiction administrative du territoire à des étrangers. L’état d’urgence du 13 novembre 2015, suite aux attentats du Bataclan et des rues proches (prorogé jusqu’au 17 novembre 2017), renforce les mesures antiterroristes : perquisitions administratives, contrôle croissant du juge sur les saisies informatiques, assignations à résidence. La loi du 30 juillet 2021 autorise la fermeture des lieux de culte. Cependant, le choc Paty, professeur d’histoire assassiné par arme blanche et décapité à Arras devant son lycée le 16 octobre 2020, rappelle brutalement aux Français que le terrorisme est toujours là, tapi, menaçant et létal.

Pour conclure, la protection des citoyens contre le terrorisme tentaculaire passe non seulement par les législateurs, les juges centralisés et spécialisés, mais aussi par les services de renseignements et les services d’enquêteurs de police et par la collaboration européenne. Il faut lire les utiles annexes sur La lutte antiterroriste au sein de l’Union Européenne, Les dispositions liées aux mesures de renseignement et La chronologie des actes terroristes en France. Les regards croisés de la criminologie, du droit et de l’histoire est un ouvrage magistral, exhaustif et instructif, qui dissèque minutieusement le terrorisme et les extrémismes violents.

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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