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Isabelle Siac, La belle-mère de Blanche-Neige. La rivalité féminine construite par les hommes. Éd. Reconnaissance, Coll. Mythes au féminin, mai 2024, 112 p., 17 €.

Et si La belle-mère de Blanche Neige, bien que non innocente (car portée sur la chose), était gentille ? Et si sa mauvaise réputation n’était due qu’aux (faux-)frères Grimm, conteurs médisants et accusateurs publics qui ont fait d’elle une affreuse marâtre haïe par des générations de petites filles ? Telle est la trame de ce livre qui réhabilite, avec deux siècles de retard, une femme injustement accusée de sorcellerie et d’empoisonnement. La belle-mère de Blanche Neige est l’histoire d’une trentenaire qui a la tête sur les épaules. Elle est heureuse et profite de la vie et des hommes. Toutefois, une fois mariée, elle devient soucieuse. Elle est une Reine qui veut garder son rang et ses privilèges, une beauté qui angoisse pour rester toujours jeune et désirable, une belle-mère qui aime sa belle-fille et doit la protéger. Mais dans un monde, même féerique, où l’homme règne sur la femme, la Vérité est ailleurs ! La femme, qu’elle soit mère ou fille, est conditionnée dès son plus jeune âge pour servir l’autre sexe. L’homme divise pour mieux régner (encore plus le Roi qui régente sa famille), d’où La rivalité féminine construite par les hommes. Et si la Belle-mère, opposée à sa Belle-fille, n’est pas coupable, le véritable crime, caché, n’est pas du tout celui que l’on croie !

Il était une fois une Reine qui avait tant aimé les hommes…

Tout commence quand Elle épouse le Roi. Elle, car elle n’a ni prénom ni nom. Avant, elle n’est rien et sort de son vide original pour devenir quelqu’un de reconnu. Reine, elle a l’argent, le confort, le pouvoir, mais elle a aussi le côté négatif : être comme un bébé qui attend que l’on vienne le réveiller, lui donner à manger, l’habiller. Elle n’est jamais seule. Elle est devenue esclave de son mari (comme les sujets le sont du Roi). Au début, elle sait allumer et entretenir les étincelles dans le miroir de la prunelle de son époux : ses “seins avaient alors atteint une taille respectable”. Toute jeune déjà, elle est belle et séduit par son corps, ses regards et sourires. Elle enchaîne les hommes sans modération et ne s’attache jamais : “Chaque nouvel homme était plus puissant que le précédent, et en s’abaissant tour à tour à mes pieds, ils m’ont haussée jusqu’au Roi qui, à son tour, est tombé. Je n’étais pas une jeune fille ignorante, une vierge rêveuse, une effarouchée : il aimait ça”. Le roi, autoritaire, veut qu’elle n’ait pas – comme lui – de compassion pour ses sujets : “Il n’avait pas épousé une anesthésiée pour la voir se transformer en femme sensible – il avait assez loué son sang-froid”. La Reine n’est pas amoureuse mais entend “jouir simplement du pouvoir”, utiliser ses charmes naturels et rendre physiquement le Roi dépendant. Elle ne pense pas éliminer sa belle-fille mais désire l’aimer. Elle a 28 ans et Blanche Neige 5 ans quand elle épouse son père (dont l’âge n’est pas précisé et qui pourrait être le double, comme il est coutumier dans les Cours médiévales et modernes) (il a d’ailleurs déjà eu une fille). Le jour du mariage, tous les regards sont fixés sur le Roi qui ne voit qu’elle. Elle est radieuse et pleine de joie pour Blanche Neige, léguée par sa prédécesseuse, qui n’est qu’une petite fille devant elle. Ce mariage fastueux comble autant la Reine que sa propre mère qui accomplit son rêve de mère par un mariage royal et meurt de bonheur quelques jours plus tard, suivi par son mari qui formait avec elle un couple inséparable.

Et Blanche Neige devient femme et la Belle-mère folle…

Le vieillissement surgit avec des ridules sur le front de la Reine qui prennent racine et se répandent tel le gui sur un arbre. Elle a 32 ans, Blanche Neige 12. Celle-ci grandit et devient belle au grand désarroi de la Reine : “Je n’ai pas compris non plus quand j’ai vu ses tétons pointer sous sa chemise de nuit, un soir où je venais lui dire bonne nuit comme tous les soirs depuis sept ans”. Désormais, chaque soir en la bordant, ses tétons l’obsèdent et elle scrute leur essor. Ses bonsoirs sont froids. La Reine pense que si le sexe l’a rendue maîtresse des hommes et hissée au sommet, Blanche Neige en fera de même. Mais le Roi est le Roi, elle est la Reine et n’a pas à craindre sa belle-fille qui exercera ses charmes sur d’autres hommes que son père. Mais l’idée saugrenue germe dans sa tête. Le cauchemar naît avec un miroir magique qui sait qui est la plus belle femme du royaume. Acheté à prix d’or, il prédit : “Reine tu es la plus belle du Royaume et personne ne t’arrive à la cheville”. Rassurée, elle le cache mais le consulte chaque jour et court à sa perte pour rester la plus belle. La folie la gagne. Elle parle toute seule. Elle se voit à la barre dans un procès royal jugé d’avance comme dans Alice au pays des merveilles de Disney. Le Roi l’estime irresponsable mais se dit respectueux de la Justice sous les mercis émus de la présidente du tribunal qu’il a nommée première femme à ce poste. Elle se souvient de leur passion charnelle, des envies matinales qui la comblaient, du désir qui s’émoussa et disparut car il avait la tête ailleurs, à une autre femme, présente ou à venir. Quand elle comprend que Blanche Neige est pour le Roi (nécrophile ?) l’amour ressuscité de sa femme morte : « Ma fille, c’est la femme que j’aurai toujours connue », elle acte sa défaite, le fantôme de sa première épouse a pris forme avec sa fille. Pourtant, elle traitait Blanche Neige comme la fille qu’elle n’eut pas (de peur d’être déformée par la grossesse) et celle-ci l’avait adoptée, elles jouaient ensemble et parlaient de tout comme de vraies amies. Un jour, elle surprend le regard – de désir, qu’elle a tant connu – du Roi sur sa fille en robe d’adulte. Puis le miroir désigne une autre et la Reine se recroqueville, se métamorphose de l’intérieur, se transforme en vieille aux doigts crochus. Le roi fait des cadeaux somptueux à sa fille, dîne tard avec elle, s’inquiète de sa santé. Dans un sursaut de dignité, la Reine, prise de solidarité féminine, décide de sauver la Princesse de l’inceste comme dans Peau d’âne de Jacques Demy. Elle décide de la faire déflorer et mandate le Chasseur non pas pour la tuer le soir au fond des bois mais pour user de son corps. Pour connaître la suite (royale), il faut rencontrer les sept nains, mineurs abrutis de travail et heureux de trouver une belle esclave à domicile, croquer, “happy“, la pomme, d’amour et non empoisonnée, assurant le sommeil dans l’attente du Prince charmant. Mais tout a une fin.
Les soldats arrêtent la Reine. Le Roi, sa fille, le Prince, viennent à son procès politique.

Isabelle Siac est psychologue et sait donner vie et force mentale et psycho-logique à la Reine qui perd la tête au fur et à mesure que le miroir coctalien réfléchit. Il ne reflète que la Beauté, l’unique critère masculin de séduction, et ce n’est pas un hasard si la Reine est Belle-mère et Blanche Neige Belle-fille. L’auteure manie l’humour noir et son récit fourmille de détails ésopiques où les femmes sont poules de luxe, petites dindes et oies blanches d’une (basse-)Cour royale et guettent bêtement le bon vouloir du mâle et ses saillies spirituelles. La symbolique sexuelle des contes de fées est connue (cf Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim, Les Alices aux pays des cauchemars. De Walt Disney à Marilyn Manson d’Albert Montagne) et l’auteure corrobore l’importance du sexe qui régit les sociétés patriarcales. Elle apporte aussi un éclairage féministe sur les mythes écrits par des hommes privilégiant les héros – le mot héroïne n’existe pas chez les Grecs – forgeant les mentalités des garçons et des filles pour des hommes dominants et des femmes obéissantes. La Belle-mère de Blanche Neige prend le contre-pied poétique des contes où tout est beau et merveilleux, le Roi est bon, le Prince charmant. La Reine vit le drame d’une femme qui doit épouser sans amour un homme riche pour la sécurité comme dans Alice au pays des merveilles de Tim Burton. Elle vit aussi le cauchemar d’une seconde épouse qui reste dans l’ombre de la première comme dans Rebecca d’Alfred Hitchcock. Ce livre, qui finit avec la véritable histoire de Blanche Neige racontée par sa Belle-mère, est un dé-conte ensorcelant et prenant, à lire sans attendre.

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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