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Ce roman permet de retrouver tout ce qui faisait le charme de l’univers créé il y a vingt-cinq ans au moment de la parution de la première trilogie “À la croisée des mondes”, en lui offrant un nouveau souffle et une dimension philosophique plus assumée.
Le grand public découvre ou redécouvre aujourd’hui Philip Pullman, son héroïne Lyra Belacqua, ses sorcières et autres ours en armures à l’occasion de l’adaptation en série télévisée de son œuvre maîtresse “His Dark Materials” (avec déjà deux saisons diffusées par HBO). Impossible de résumer un univers aussi riche, postulant l’existence de mondes parallèles, en seulement quelques lignes. L’œuvre est pétrie de nombreuses références littéraires – Heinrich von Kleist, William Blake et surtout John Milton dont un vers du fameux poème épique “Le Paradis Perdu” (1667) fournit son titre à la trilogie originale. Dès le premier tome, l’auteur offre une critique sans concession du dogme religieux et de ses dérives.
L’auteur britannique, né en 1946, a toujours revendiqué un athéisme militant, à l’instar de son compatriote Richard Dawkins. Dans le monde de Lyra, l’Église catholique romaine trouve un sinistre équivalent avec le Magisterium et ses théologiens fanatiques, obsédés par la notion de péché. L’une des grandes originalités du monde parallèle créé par Philip Pullman est l’existence des daemons, créatures à l’apparence animale qui incarnent en quelque sorte l’âme des humains auxquels ils sont indissociablement reliés. Les membres du Magisterium n’hésitent d’ailleurs pas à se livrer à d’atroces expériences pour analyser la nature du lien qui existe entre les individus et leur daemon.
Un des prérequis avant d’entamer “La Communauté des Esprits” est sans doute de commencer par lire la première trilogie afin de se familiariser avec l’univers et ses enjeux. Les événements décrits dans ce nouvel opus se situent en effet dix ans plus tard et Lyra est désormais une jeune femme de vingt-deux ans. La lecture de “La Belle Sauvage”, premier tome de cette seconde “Trilogie de la Poussière” est elle aussi fortement recommandée, car l’on y recroise la plupart des personnages et que l’intrigue fait de nombreuses allusions aux événements qui y sont racontés. Voilà, me direz-vous, beaucoup de lectures préalables ! Mais le jeu en vaut largement la chandelle.
Cette nouvelle trilogie, longuement maturée par l’auteur, qui y travaille depuis plus de quinze ans, répond à toutes ses promesses et enchantera les passionnés de la première heure comme les nouveaux lecteurs. On associe les livres de Philip Pullman à l’Angleterre, et notamment à sa ville natale d’Oxford, qu’il a toujours su admirablement décrire, mais aussi aux “Royaumes du Nord”, territoires glacés, illuminés d’aurores boréales que Lyra explore dans le premier roman.
Contre toute attente, c’est dans le Sud, sur les rives de la Méditerranée que nous entraîne cette fois l’auteur. Le meurtre d’un botaniste, auquel a assisté Pantalaimon, le daemon de Lyra les met sur la piste de mystérieuses roses cultivées en Asie centrale et qui semblent susciter beaucoup de convoitises. Le Conseil de Discipline Consistorial, nouvel avatar de la théocratie au pouvoir, semble s’y intéresser de très près. De même qu’une puissante compagnie industrielle spécialisée dans la fabrication de produits chimiques et pharmaceutiques, Thuringe Potasse. Dans ce roman, la relation entre Lyra et son daemon devient aussi plus tumultueuse, et le départ inopiné de ce dernier l’emmène à entreprendre un grand voyage pour le retrouver.
Philip Pullman a un immense talent de conteur et chaque étape de ce voyage en quête de l’Hôtel Bleu, l’Al-Khan al-Azraq, mystérieuse cité abandonnée où se réfugieraient les daemons séparés de leurs humains, est l’occasion de découvrir des villes et des personnages hauts en couleurs. Le lecteur se laisse ainsi guider dans les faubourgs de Prague à la rencontre d’un étrange “homme-chaudière”, explore les bazars de Constantinople, emprunte le ferry jusqu’à Smyrne où vit une étonnante princesse, puis poursuit son voyage en train en direction d’Alep.
En toile de fond, l’auteur revient sur les thèmes qui lui sont chers : les questionnements philosophiques sur la croyance confrontée à la raison, les dangers de l’obscurantisme religieux et les exactions qui en découlent. Le roman, par sa taille et les sujets abordés désarçonnera sans doute les très jeunes lecteurs. Un roman à réserver plutôt à des adolescents un peu plus aguerris, curieux de questionner, à travers le prisme de la fiction, le monde dans lequel nous vivons. Mais aussi un livre que les adultes pourront lire avec profit, car cet univers, tout sauf manichéen, laisse une grande part à l’interprétation, offrant ainsi de multiples niveaux de lecture, quelque que soit son âge.

Jean-Philippe GUIRADO
contact@marenostrum.pm

Pullman, Philip, “La trilogie de la poussière Volume 2, La communauté des esprits”, traduit de l’anglais par Jean Esch, illustré par Christopher Wormell, Gallimard-Jeunesse, 01/10/2020, 1 vol. (638 p.), 22,00€

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