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Emmanuel Razavi, La face cachée des mollahs : le livre noir de la République islamique d’Iran, Le Cerf, 25/01/2024, 1 vol. (225 p.-8 pl.), 22€.

Dans La Face cachée des mollahs, le journaliste Emmanuel Razavi nous plonge au cœur des arcanes de la République islamique d’Iran. Fruit d’une enquête au long cours, menée au péril de sa vie, cet ouvrage lève le voile sur la dimension profondément mafieuse et criminelle de ce régime, dissimulée depuis 1979 derrière une façade religieuse.

Emmanuel Razavi, grand reporteur aguerri, est à la fois fasciné et révulsé par ce pays qu’il connaît intimement. Entre récits historiques, témoignages poignants et révélations exclusives, il dresse un réquisitoire implacable contre la théocratie iranienne et son bras armé, les Gardiens de la révolution. Au fil des pages, c’est un Iran méconnu qui se dessine, bien loin des clichés orientalistes, où règnent la terreur, la corruption et les trafics les plus sordides. Un cri d’alarme et un appel à la résistance, pour que l’Iran renoue avec la poésie de ses origines et tourne définitivement la page noire de la dictature islamiste.

Les origines de la République islamique d'Iran

Dans une première partie, Razavi revient sur la genèse de la République islamique en 1979. Il montre comment l’ayatollah Khomeini et son entourage ont confisqué la révolution iranienne, portée initialement par une aspiration démocratique, afin d’instaurer une théocratie liberticide.
L’auteur met en lumière l’influence de l’idéologie des Frères musulmans sur la pensée de Khomeini, en particulier via le rôle joué par l’organisation des Fedayins de l’Islam de Navvab Safavi. Cette mouvance prône un islam rigoriste et un État régi par la charia, au service d’un djihad global. Une filiation qui explique la propension du régime à soutenir des groupes extrémistes et terroristes sunnites comme le Hamas palestinien, responsable des monstrueux attentats du 7 octobre contre Israël.
L’auteur expose également les aspirations plus terre-à-terre des mollahs, guidées par la soif de pouvoir et de richesse. La révolution leur permet d’assouvir une revanche sur le régime du Shah qui avait rogné leurs privilèges et confisqué une partie de leurs biens quelques années plus tôt. Une fois aux commandes, ils détournent les richesses du pays pour leur seul profit.
Pour cimenter leur emprise, les religieux mettent en place un implacable régime de terreur, traquant et éliminant leurs opposants. Ils créent les Gardiens de la révolution, une milice paramilitaire fanatisée chargée de défendre le régime contre ses ennemis. Le décor est planté, la mainmise des mollahs sur l’Iran peut commencer.

La mise en place du système mafieux des mollahs

La deuxième partie est consacrée à la dérive mafieuse du régime iranien, orchestrée par les Gardiens de la révolution. D’une milice de choc, ils se transforment rapidement en véritable cartel criminel disposant de sa propre armée, marine et aviation. Ils phagocytent l’économie iranienne dont ils contrôlent aujourd’hui plus de la moitié des richesses.
Leur catalogue d’activités illégales est édifiant : trafic de stupéfiants à une échelle industrielle, contrebande d’or et d’armes, prostitution etc. Emmanuel Razavi documente ainsi leurs liens avec les grands cartels sud-américains de la drogue ou la mafia russe. Des connivences qui leur permettent de blanchir des milliards de dollars à travers des circuits financiers occultes.
La corruption devient endémique, gangrenant toute la société iranienne. Les mollahs et les Gardiens détournent les biens publics, extorquent les entrepreneurs, s’approprient des pans entiers de l’industrie. Protégés par leur statut, ils agissent en toute impunité, réduisant le peuple à la misère pendant qu’ils s’enrichissent de manière éhontée.
Ce pillage en règle plonge l’économie dans une crise profonde dont les Iraniens paient le prix fort. Les caisses de l’État, elles, servent à financer la politique va-t-en-guerre du régime et son prosélytisme islamiste aux quatre coins du Moyen-Orient. Une fuite en avant qui a transformé l’Iran en État-voyou, aux yeux de la communauté internationale.

La stratégie de déstabilisation et de terreur de la République islamique

Emmanuel Razavi consacre une large part de son ouvrage à la stratégie de déstabilisation poursuivie par Téhéran, depuis son avènement. Principale cible : les intérêts occidentaux et israéliens dans la région. Pour les atteindre, l’Iran s’appuie sur une nébuleuse de milices armées, à majorité chiite, qu’elle forme, finance et équipe grassement.
Son fer de lance, c’est le Hezbollah libanais, créé par les Gardiens de la révolution dès 1982 et qui reste inféodé à Téhéran. L’auteur détaille ses nombreux attentats meurtriers perpétrés contre la France et les Etats-Unis au Liban durant les années quatre-vingt, ainsi que son rôle dans la guerre civile syrienne aux côtés de Bachar al-Assad. Au Yémen, en Irak ou en Syrie, l’Iran déstabilise des États fragiles via ses supplétifs pour y imposer son agenda.
Face aux démocraties, les mollahs pratiquent un odieux chantage, n’hésitant pas à prendre leurs ressortissants en otage ou à menacer de représailles terroristes pour obtenir des concessions. Une “diplomatie des voyous” qui paralyse bien souvent les chancelleries occidentales, promptes à fermer les yeux sur les turpitudes de Téhéran.
La République islamique ne cache pas, par ailleurs, ses ambitions nucléaires. Malgré ses dénégations, elle poursuit un programme militaire visant à se doter de l’arme atomique, une perspective qui alarme Israël et les monarchies arabes du Golfe. Le journaliste pointe le risque d’un embrasement régional aux conséquences incalculables si Téhéran atteignait son but.

L'enquête au cœur des réseaux de l'Iran

Tout au long de son investigation, Emmanuel Razavi a arpenté les zones grises de la nébuleuse iranienne, donnant chair et visage à son système tentaculaire. Il est allé à la rencontre des opposants en exil, comme le prince héritier Reza Pahlavi, qui livrent un témoignage précieux sur les arcanes du pouvoir des mollahs, et leurs rêves d’un Iran démocratique.
Plusieurs responsables de haut niveau passés à l’Ouest dévoilent les rouages du système mafieux mis en place par les Gardiens, levant le voile sur des montages financiers d’une complexité redoutable. Une plongée en eaux troubles qui met à nu la collusion entre l’appareil d’État iranien et le crime organisé international.
L’auteur a aussi donné la parole aux combattants kurdes iraniens, réfugiés dans le nord de l’Irak, d’où ils mènent une lutte sans merci contre les pasdarans. À travers leurs récits, c’est le calvaire d’une communauté opprimée et la résistance désespérée d’une jeunesse sacrifiée qui prennent vie sous nos yeux.
Les victimes de la répression et les transfuges du régime livrent enfin des témoignages glaçants sur l’horreur du quotidien en République islamique. Emprisonnements arbitraires, tortures, exécutions sommaires, violences contre les femmes : la machine de mort des mollahs est à l’œuvre chaque jour pour broyer toute velléité de révolte.

Mettre un terme au régime des mollahs

Depuis septembre 2022, une vague de contestation d’une ampleur inédite ébranle les fondations de la République islamique. Né de la colère suscitée par l’assassinat d’une jeune femme, Mahsa Amini, ce soulèvement porté par la jeunesse et les femmes est porteur d’espoir. Mais il se heurte à la férocité d’un régime aux abois, qui multiplie la répression sanglante.
Face à ce tournant historique, les démocraties occidentales font preuve d’un attentisme coupable, se bornant à des condamnations de façade. Obnubilés par le dossier nucléaire, Européens et Américains pratiquent le dialogue à tout prix avec Téhéran, sans exiger de réelles concessions. Un double jeu qui conforte les durs du régime et décourage les aspirations démocratiques du peuple iranien.
Il est plus que temps d’adopter une ligne de fermeté face à la menace multiforme que fait peser la République islamique sur la sécurité mondiale. Emmanuel Razavi appelle à soutenir sans ambiguïté les forces démocratiques et laïques en Iran, seules à même d’incarner une alternative crédible aux mollahs.
Isoler diplomatiquement et économiquement le régime, sanctionner les responsables des exactions, traduire les criminels en justice : l’auteur esquisse une feuille de route pour que le monde libre se donne enfin les moyens de contrer l’expansionnisme iranien. Et évite ainsi le spectre d’un embrasement régional ou d’un effondrement de l’Iran dans le chaos.

Le temps presse pour éviter le chaos et défendre nos valeurs

En refermant le livre d’Emmanuel Razavi, une évidence s’impose : le régime iranien, vermoulu et honni, vit probablement ses dernières années. Mais comme tout animal blessé, il n’en est que plus dangereux, prêt à entraîner la région dans sa chute. Ne pas réagir face à cette menace serait la pire des options. Ce serait donner carte blanche aux alliés de Téhéran, de Moscou à Pékin en passant par Ankara, dans leur entreprise de déstabilisation, au mépris du droit international. Et prendre le risque de voir l’Iran sombrer dans une guerre civile aux répercussions incalculables.
Il est temps pour les démocraties d’avoir le courage de leurs valeurs, en aidant le peuple iranien dans son combat pour la liberté. Ne pas abandonner ces femmes et ces hommes qui défient l’obscurantisme au péril de leur vie. Les soutenir politiquement, les appuyer matériellement, leur offrir une tribune : chaque geste compte pour faire vaciller la dictature des mollahs.
L’Histoire jugera sévèrement notre aveuglement et notre pusillanimité si nous laissons le “pays des poètes” être défiguré par la haine et la violence. Emmanuel Razavi nous met face à nos responsabilités, dans ce livre urgent et nécessaire. Puisse son cri être entendu, pour que l’Iran retrouve un jour le chemin de la lumière.

Véritable document de référence, La Face cachée des mollahs est bien plus qu’un livre : c’est une arme de vérité massive dans la lutte contre l’obscurantisme, qui restera comme un monument du journalisme d’investigation au service de la liberté. Merci, Emmanuel Razavi, d’avoir pris tous les risques pour lever le voile sur la tragédie iranienne et secouer nos consciences anesthésiées.

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Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu

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