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L’auteur, linguiste de formation, s’intéresse depuis quelques années à la crise de confiance politique que rencontrent de nombreux pays occidentaux, sujet qu’il a minutieusement analysé dans ses précédents ouvrages “Le Monstre Doux” (Gallimard, 2008) au sein duquel il s’interrogeait sur la décomposition des idéaux de gauche, et plus récemment “Si la démocratie fait faillite” (Gallimard 2016). Dans son nouvel essai, publié lui aussi dans la prestigieuse collection “le Débat”, il s’attaque à un sujet complexe et propre à exciter les passions : celui des vagues migratoires à destination de l’Europe, et notamment l’accélération du phénomène au cours des dernières années.
Comme l’explique Raffaele Simone en introduction, le sujet est si tabou que le simple fait de se questionner sur les conséquences à moyen et long terme d’une immigration massive et non contrôlée, expose presque immédiatement à toutes sortes d’anathèmes, à commencer par celui du racisme. Reprenant les mots de Paul Collier, auteur de “Exodus” (L’Artilleur, 2019), il démontre que “la Grande Migration fut politisée avant même d’être analysée”. En conséquence, tout le dossier a été confisqué par les partis de droite et plus encore d’extrême droite, la gauche refusant de s’engager dans le débat au nom du “politiquement correct”.
Pourtant les faits sont bien là, et il devient urgent de dépasser les œillères idéologiques pour réfléchir à des solutions concrètes :

Être pour ou contre la Grande Migration n’a pas de sens : c’est comme si on était pour ou contre une inondation ou une tempête de neige qui engloutit nos maisons. Il est beaucoup plus sensé de chercher à comprendre ce qu’elle est, ce qu’elle signifie et ce qu’elle entraînera, et ainsi d’organiser des réponses adéquates avant que ce ne soient les faits qui se chargent de les apporter.

L’ouvrage, loin d’être un pamphlet, se veut au contraire une étude factuelle la plus objective possible sur la question. De manière claire et synthétique, l’auteur revient sur les “vagues” migratoires successives à partir de la Seconde Guerre mondiale. C’est la troisième vague, observée à partir de 2015, qu’il appelle “la Grande Migration”. Un phénomène plus massif que les précédents, car il concerne au moins deux millions de personnes, mais aussi plus dramatique car accompagné de son lot de victimes lors de la dangereuse traversée de la Méditerranée. Nous avons tous en tête les images de ces migrants syriens ou afghans dérivant sur des embarcations de fortune, ou encore la photo du petit Aylan Kurdi, trois ans, retrouvé mort sur une plage de Turquie. Pourtant la crise migratoire ne doit pas être analysée à travers le seul prisme de l’émotion. Raffaele Simone renvoie ainsi dos à dos les théories exagérément alarmistes du “Grand Remplacement” professées à l’extrême droite, et celles à gauche d’un “sans-frontiérisme” angélique prêt à accueillir tous ceux qui le souhaitent, sans distinction, au nom de la culpabilité postcoloniale.
Afin de mieux cerner notre rapport souvent complexe à “l’étranger”, fait d’un mélange de distance et de proximité, le troisième chapitre dissèque les “figures du xénos”, en remontant aux textes les plus anciens, la Bible ou les écrits des auteurs grecs. Il en ressort que l’hospitalité est protéiforme mais que l’étranger est d’autant mieux reçu qu’il est culturellement proche de son hôte. La cohabitation entre les natifs et les nouveaux venus peut se mettre en place de différentes manières : si le multiculturalisme, qui consiste en une juxtaposition de communautés n’entretenant que peu de contacts entre elle, est le plus répandu en Europe, d’autres formes de vivre-ensemble, tendant vers davantage de syncrétisme, peuvent être envisagées. Pour cela, les points de friction (à commencer par la question de la religion) ne doivent pas être éludés.
À l’heure ou le projet de loi “séparatisme” continue de susciter des remous en France, “La Grande Migration et l’Europe” permet de faire le point sur un sujet épineux dans lequel les émotions et les partis pris prennent trop souvent le pas sur les arguments rationnels. L’objectif de l’ouvrage n’est pas de proposer des solutions mais de synthétiser au mieux les termes d’un débat qui n’a été que trop longtemps différé.

Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm

Simone, Raffaele, “La Grande Migration et l’Europe”, traduit de l’italien par Gérald Larché, Gallimard, “Le Débat”, 13/05/2021, 1 vol. (287 p.), 21€

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