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Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les archives sont partiellement ouvertes et les Français semblent enfin en mesure de regarder en face leur passé colonial.
Depuis la fin du conflit – comme si le sujet était inépuisable – de nombreuses publications ont relaté ce qui s’est passé en Algérie. Des faits ou des rumeurs sont rapportés par les acteurs de cette guerre ou leurs descendants, constituant deux mémoires différentes et qui s’opposent encore. Nous savons presque tout sur le début et le déroulement de la guerre, le terrorisme du FLN, les accords d’Évian, le cessez-le-feu, les attentats de l’OAS, l’exode des Français, l’indépendance, le sort des harkis… On a toutefois le sentiment que la France a du mal à regarder son passé algérien. L’ouvrage que nous proposent les éditions du Cerf en partenariat avec le magazine Historia tend à nuancer cette affirmation. En effet, il prouve que, déjà au début des années 1970, un public s’intéressait à l’histoire de l’Algérie. Il rassemble une série d’articles parus dans des numéros spéciaux de la revue Historia consacrés à ce sujet, à partir de 1971.
Le paradoxe est que cette série sur la guerre d’Algérie n’eut – au moment où elle fut publiée – qu’un succès d’estime alors que l’impression dominante, dans la société française, allait à une certaine forme de libération de la parole. Mais le pays semblait être passé à autre chose, après les années 1960 qui avaient été marquées par l’arrivée d’une nouvelle société, d’une nouvelle vague, faisant basculer la France dans la modernité. Comme si nos compatriotes avaient eu besoin d’oublier. L’Algérie était loin des esprits, sauf pour ceux qui avaient été les acteurs de ce drame : Français d’Algérie, soldats, harkis et aussi tous les Algériens musulmans – les « Arabes » comme on les appelait –, même si beaucoup d’entre eux se voyaient d’abord comme des Kabyles.

À partir de 1971 et durant quatre années, la revue Historia a publié une série d’articles, de témoignages, d’interviews, de photos constituant une somme incontournable et précieuse sur l’histoire des « évènements » d’Algérie. Le journaliste et écrivain Yves Courrière était à l’initiative et à la coordination de ce travail gigantesque. Il avait été l’un des premiers à écrire sur cette guerre, publiant une synthèse en quatre volumes, qui racontait l’histoire de tous les protagonistes. Ses livres eurent un succès considérable, le dernier d’entre eux étant même couronné par un prix de l’Académie française.
Aujourd’hui il est quasiment impossible de se procurer ces numéros d’Historia qui sont devenus très prisés par les collectionneurs. C’est tout l’intérêt de ce travail de restitution présenté par Philippe Labro et Tramor Quemeneur. Le premier, jeune appelé en Algérie pendant 36 mois fut marqué à jamais par ce qu’il a vécu. Le second est un historien spécialiste et reconnu de la guerre d’Algérie.

Il ne se passe pas un jour d’une de mes semaines sans que je pense à ces « évènements », que cette indispensable publication va vous permettre de découvrir ou de retrouver.

Ils nous présentent une fresque chronologique dans laquelle de nombreux thèmes sont abordés. Les auteurs des différents articles sont tous des experts de cette période qui était encore peu étudiée à l’époque : historiens, journalistes, intellectuels, partisans de l’Algérie française et aussi des auteurs algériens. Comme l’indique le sous-titre, les évènements, les acteurs, les récits, les images sont rapportés, montrés, analysés. Parmi les thèmes abordés, j’en citerai quelques-uns : les pères historiques de la révolution, les débuts et le déroulement de celle-ci, le mode de vie des uns et des autres, le rôle des intellectuels, les parcours de certaines personnalités de chaque bord, l’engagement dans le FLN ou dans l’OAS. Le contexte, l’ambiance de la société algérienne durant cette période. Tout est admirablement restitué.
Ce qui fait la richesse de ces publications réside dans le fait que ces articles, lorsqu’ils furent publiés, traitaient d’une histoire récente. Les faits étaient donc rapportés par les acteurs ou les témoins. Le temps n’avait pas encore estompé ou trompé les souvenirs.

Cet ouvrage permet de replonger dans une histoire de la guerre d’Algérie en direct, ou plutôt exactement en quasi direct, à la façon d’une histoire immédiate dont le concept n’était même pas inventé. Yves Courrière a de ce point de vue fait de « l’histoire qui fume encore », pour reprendre l’expression de l’historienne et journaliste Barbara W. Tuchman.

Philippe Labro et Tramor Quemeneur nous proposent un véritable atlas de la guerre d’Algérie qui est une source de documentation précieuse. Ils décrivent les évènements sans interprétation partisane. Cet ouvrage participe à la connaissance des faits, étape indispensable à un apaisement des mémoires.

Écrivain, journaliste, cinéaste et observateur capital de notre temps, Philippe Labro présente cet album. En 1959, à l’âge de 22 ans, il est appelé en Algérie où il servira pendant 730 jours. Affecté à la revue Bled puis à la radio F5, il connaît entretemps la violence des combats. En 1967, il publie son deuxième roman, “Des feux mal éteints, bréviaire de toute une génération”. Un récit sans concession de la terreur, de la torture et de la mort. Mais aussi un chant d’amour nostalgique célébrant Alger, la mer, le soleil.

Historien, spécialiste internationalement reconnu de la guerre d’Algérie, Tramor Quemeneur a édité cet album. Enseignant aux universités Paris-VIII et CY-Cergy Paris, il est membre de la Commission mémoires et vérité instaurée à la suite du « Rapport Stora », ainsi que du Conseil d’orientation du Musée national d’histoire de l’immigration. Il est l’auteur entre autres, avec Benjamin Stora, de “Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre” (prix des lectrices de Elle 2011) et, avec Slimane Zeghidour, de “L’Algérie en couleurs. 1954-1962“.

Présenté par Philippe Labro et Tramor Quemeneur, La guerre d’Algérie en direct : les acteurs, les événements, les récits, les images, Le Cerf, 03/03/2022, 1 vol. (502 p.), 39€.

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Robert Mazziotta

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Écrivain, journaliste, cinéaste et observateur capital de notre temps, Philippe Labro présente cet album. En 1959, à l’âge de 22 ans, il est appelé en Algérie où il servira pendant 730 jours. Affecté à la revue Bled puis à la radio F5, il connaît entretemps la violence des combats. En 1967, il publie son deuxième roman, “Des feux mal éteints, bréviaire de toute une génération”. Un récit sans concession de la terreur, de la torture et de la mort. Mais aussi un chant d’amour nostalgique célébrant Alger, la mer, le soleil.

Historien, spécialiste internationalement reconnu de la guerre d’Algérie, Tramor Quemeneur a édité cet album. Enseignant aux universités Paris-VIII et CY-Cergy Paris, il est membre de la Commission mémoires et vérité instaurée à la suite du « Rapport Stora », ainsi que du Conseil d’orientation du Musée national d’histoire de l’immigration. Il est l’auteur entre autres, avec Benjamin Stora, de “Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre” (prix des lectrices de Elle 2011) et, avec Slimane Zeghidour, de “L’Algérie en couleurs. 1954-1962”.

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