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Héla Saïdi est une jeune scientifique qui a notamment travaillé sur l’étude du virus du sida. Comme elle le confie dans un entretien accordé au magazine « Gazelle » en mai 2021, ce sont les attentats de 2015 qui l’ont poussée à prendre la plume. Frappée par la violence d’un islam radical qui n’a pas grand-chose en commun avec la religion qu’elle connaît, l’auteure a souhaité fournir en réponse à la barbarie des terroristes un « message d’amour, de tolérance et d’acceptation de l’autre, aussi différent soit-il ». Sous la forme d’une confession à la première personne, le roman raconte l’éducation sentimentale d’une jeune femme élevée de façon traditionnelle dans une famille d’origine tunisienne. Dans ce contexte, l’affirmation de son homosexualité n’est pas une chose aisée, d’autant plus lorsque la religion la considère comme un sujet tabou. Mais la rencontre avec Stéphanie, une ancienne camarade de lycée va l’obliger la narratrice à reprendre sa vie en main et à tenter d’imposer ses choix de vie.

Un retour aux sources

La formation de chercheuse de l’auteure transparaît dans la construction même de l’ouvrage. Comme dans une investigation scientifique ou une enquête sociologique, la narratrice décide de remonter aux sources pour tenter de mieux cerner la femme adulte qu’elle est devenue. Toute la première parte du roman est ainsi consacrée à sa famille dont elle brosse un vivant et minutieux portrait. Sa mère, coiffeuse à Tunis, quitte son pays natal après son mariage, pour suivre son époux Mohammed à Paris. La vie de rêve promise n’est pas au rendez-vous : le climat est rude, le studio qu’ils louent vétuste et son mari ne tarde pas à révéler son vrai visage. Mohamed est un homme jaloux et violent qui lui interdit de travailler dans un salon de coiffure mixte comme elle le faisait autrefois en Tunisie : « Ici, c’est la France, c’est différent ! On est dans le pays des ‘Kouffar’- mécréants ! Tu crois que je vais te laisser travailler avec hommes comme ça, hein ? ». Même si renoncer à sa passion est un crève-cœur, la mère obéit, devient femme de ménage et travaille sans relâche pour subvenir aux besoins de sa famille. La narratrice grandit en ne voyant guère d’amour entre ses parents régulièrement confrontée à la violence paternelle qui finit par déborder sur le reste de la famille. Devenue adulte, une question la taraude : « La violence de Mohamed vis-à-vis de ma mère, a-t-elle orienté ma sexualité et ma préférence pour les femmes ? ».

Un art consommé de la digression

En parallèle de cette histoire familiale, Héla Saidi aborde de nombreux sujets qui, sous forme de passionnantes digressions viennent enrichir la trame narrative. Avec beaucoup de pédagogie, elle parle notamment de l’islam et de la place que la femme y occupe. Revenant à la lettre des textes sacrés, et s’appuyant sur des extraits de sourates et de hadiths, elle s’attelle à déconstruire certains préjugés et défend une vision humaniste et progressiste de sa religion, dans la lignée de l’imame Kahina Bahloul (lauréate du Prix Mare Nostrum 2021 pour son essai Mon islam, ma liberté ). Ce qui frappe est la grande générosité de l’auteure qui souhaite faire partager ses goûts et ses découvertes. Les nombreuses références sur l’art, l’histoire l’interprétation des rêves ou encore le fonctionnement de la recherche scientifique brouillent parfois la frontière entre essai et fiction. Ce mélange des genres, surprenant de prime abord, finit cependant par constituer l’un des attraits de ce premier roman plein de caractère qui, on l’espère, sera suivi par d’autres.

Saïdi, Héla, Vie rêvée, Elion Editions, 05/03/2021,1 vol. (277 p.), 20€.

 

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Jean-Philippe Guirado

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