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Y a-t-il encore quelque chose à rajouter au sujet de la cancel culture ? Le phénomène d’origine anglo-saxonne qui prône l’effacement des œuvres culturelles, des idées et même des personnes qui contreviendraient à un progressisme autoproclamé, d’inspiration victimaire et considérant à tort défendre seul les minorités et combattre les discriminations, a fait l’objet de nombreuses études malgré la récence de sa conceptualisation.
Pourtant l’essai de l’avocat et auteur prolifique Maître Emmanuel Pierrat vient apporter une touche singulière avec une vision juridique de ce phénomène de cancel culture porté par des wokes (les manichéens prétendus éveillés du camp du Bien) qui s’enferment dans « un discours dogmatique, un politiquement correct, une bien-pensance, un désir de pureté morale qui confinent au terrorisme intellectuel et à la censure ».
C’est à grand renfort d’exemples – voire plutôt de jurisprudences en l’espèce – de « crucifiés de la cancel culture » que Maître Emmanuel Pierrat fait sa démonstration de la campagne de « terreur intellectuelle » qui est menée. Que cela soit contre des artistes, des politiques, des universitaires, tout est prétexte aux offensés de tous poils pour appeler au boycott, au retrait, à l’effacement et à l’annulation, aidés dans cette manœuvre par la puissance de frappe et l’instantanéité des réseaux sociaux et d’une presse qui a glissé « d’un journalisme d’investigation à un journalisme d’accusation ».
Dans la galerie de portraits de victimes de campagnes de cancel culture, Maître Emmanuel Pierrat évoque une tentative d’effacement contre lui-même, avec l’épisode d’un appel virulent au boycott de son intervention en tant que membre élu du Conseil National des Barreaux lors d’une réunion publique d’organisations LGBT par la militante féminisme Alice Coffin. Au prétexte qu’il a osé défendre un élu accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles (curieuse conception qui conduit un avocat à être responsable des actes des clients qu’il défend…). Cette anecdote rappelle celle de l’écrivain Bret Easton Ellis (« White », Robert Laffont, 2019) black-listé du gala de la puissante association GLAAD (Gay and Lesbian Alliance Against Defamation) pour d’anodins tweets jugés offensants pour la communauté LGBT…
Si le juridisme – sans aucun sens péjoratif – des réflexions de Maître Emmanuel Pierrat à propos de la Cancel culture est si important dans le débat sur ce sujet de société, c’est essentiellement par le rappel des principes fondamentaux du droit : la « prescription » et surtout la « présomption d’innocence ».
En effet, pour l’auteur, si le combat des « éveillés » peut souvent être considéré comme juste et allant dans le sens de l’Histoire, ce sont les moyens non respectueux du droit utilisés qui ne le sont pas.
Des œuvres, des artistes, des personnes peuvent contrevenir à certaines lois et doivent évidemment être condamnés pour de tels faits, mais en respectant une formule évidente et bien connue : Laisser la justice faire son travail.
Dans le livre de Maître Emmanuel Pierrat on apprend que dans la plupart des cas, les impatients « Procureurs du tribunal populaire » ne veulent pas attendre le temps de la justice et condamnent ou plutôt « clouent au pilori » – tant la sentence est immédiate et surtout définitive – des artistes, des professeurs, des politiques non condamnés, parfois même ne faisant l’objet d’aucune procédure judiciaire… Ce qui ne peut que révolter un avocat :

L'auxiliaire de justice que je suis observe là encore – aux premières loges… – la déliquescence d'un État de droit où la vox populi, aidée par quelques meneurs rompus à la démagogie qu'ils affichent comme une bien-pensance, demande en réalité à chacun non plus un comportement juridique irréprochable mais qui serait moralement immaculé .

Au-delà du brillant plaidoyer en faveur du simple respect du droit et de la justice, Maître Emmanuel Pierrat appelle de ses vœux à une certaine pédagogie pour apprendre aux nouvelles générations friandes de la terreur de la cancel culture à « Faire la part des choses. Ne pas juger d’un bloc ». La définition de la nuance qui fait tant défaut à notre époque…

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Olivier Amiel

Pierrat, Emmanuel, Les nouveaux justiciers : réflexions sur la cancel culture, Bouquins, 10/02/2022,1 vol. (249 p.), 18€.

 

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