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Il y a quelques jours, le macabre décompte des victimes de la Covid 19 atteignait le chiffre de 850 000 morts aux États-Unis, dépassant ainsi celui des tués de la guerre de Sécession. Ce palier, connu de tous les habitants du pays, est supérieur au double des pertes de tous les autres conflits entamés par les Américains.

Après nous avoir captivé par son excellent “Ulysses S. Grant, l’étoile du Nord”, Vincent Bernard, spécialiste de la guerre de sécession, signe là son dernier opus, ouvrage indispensable à ceux qui s’intéressent à cette période dramatique de l’histoire des États-Unis, mais également à qui voudrait connaître les origines, la trajectoire et les implacables conclusions de la guerre civile américaine.

“The Civil War”, c’est donc ainsi que les Américains nomment la lutte fratricide qui va ensanglanter leur pays pendant plus de quatre ans et dont les facettes, il faut bien l’avouer, sont bien éloignées de nos critères européens. En effet, la genèse de l’embrasement, le duel permanent sur ce territoire grand comme cinq fois la France et les conséquences de la victoire des uns et de la défaite des autres n’ont qu’une seule cause : la démocratie dans ce qu’elle a de plus pur. Impossible, direz-vous ! Et pourtant…
“Nord et Sud”, cette série télévisée, au succès planétaire, “Autant en emporte de vent”, ce film aux multiples Oscars, ont idéalisé un affrontement pétri de clichés sur le terrible duel entre Billy Yank et Johnny Reb, icônes de l’affrontement. Tout commence pourtant bien avant le déclenchement du conflit, alors qu’états esclavagistes, majoritairement du Sud, et leurs adversaires du Nord, abolitionnistes, joutent férocement dans l’hémicycle de Washington. Pour les premiers, l’élection de Lincoln signifierait un casus belli irrémédiable, car la menace d’une sécession se fait déjà sentir. Cependant, la traite des noirs a été supprimée depuis 1808, mais le mode de vie des Virginiens, Alabamiens et autres Texans ne s’accommode pas d’une autre existence. Les deux pensées sont au pied du mur lorsque le président est élu. La Caroline du Sud décide donc de reprendre seule le cours de son destin.

D’autres états suivent bientôt son exemple alors que deux d’entre eux, farouchement sudistes et esclavagistes, décident de respecter la constitution. Pour eux, bientôt, ce sera quatre terrifiantes années de guerre civile dans la guerre civile.
Bien qu’ayant fait sécession séparément, les états sudistes se dotent d’une constitution commune et deviennent les états confédérés d’Amérique. Sûrs de leur bon droit, ce sont eux qui ouvrent les hostilités militaires. Les Nordistes, tout d’abord stupéfaits par cette attitude incompréhensible, n’ont plus qu’une idée en tête : faire rendre gorge à “Dixieland”. C’est ainsi que commence une guerre civile !

De toutes parts, les belligérants rejoignent les rangs de ces nouvelles armées qui se forment dans un mélange d’amateurisme et de courage sincère. Les vestes fleurissent, mais nous n’en sommes pas encore, loin de là ! aux “Bleus” et aux “Gris”. Les milices urbaines, celles des états, les volontaires et les élèves des écoles militaires arborent des tenues quelquefois chamarrées de couleur verte, ocre, rouge ou blanche. À l’uniforme que le monde retiendra par la suite, se joignent les bonnets d’ourson ou les pantalons bouffants des zouaves. Au milieu de tout ce fatras, il faut bien nommer des chefs qui, à défaut d’être expérimentés, ont le charisme nécessaire pour faire se battre des Américains entre eux. Des figures émergeront rapidement après les premiers combats particulièrement meurtriers : Lee, Longstreet, Beauregard ou “Stonewall” Jackson pour le Sud, Grant, Sherman et Sheridan au Nord.

Abraham Lincoln, candidat républicain et fervent abolitionniste ne connaîtra de son mandat que la guerre. Il verra ces charges démentes de régiments aux couleurs du “Star and Stripes” ou du “Dixie Flag” s’entretuer avec une rare violence. Il entendra les applaudissements des combattants des deux bords à l’attention de leurs adversaires. Il observera, révulsé, ces photographies albuminées montrant des centaines de corps disloqués, le visage empreint d’horreur que les journalistes prennent après chaque confrontation, car les combats ne sont jamais à fleuret moucheté et aux victimes s’ajoutent d’autres victimes. Les batailles, aux noms apprises par cœur dans les écoles américaines, deviennent synonymes de carnage : Shiloh, Antietam, Chikamauga ou Gettysburg sont autant de cimetières pour ces jeunes générations qui se battent pour leur idéal, fût-il perdu.

Les Sudistes n’ont pas réussi à se faire admettre dans la cour des grands et aucun pays ne les reconnaît. Les effectifs, minés par la mort, la maladie ou la désertion, tendent vertigineusement vers le bas, alors que le Nord recrute à tour de bras dans les territoires et même à l’étranger, avec la promesse, tenue, d’une nationalisation. De succès en défaites, “Dixieland” sombre peu à peu sous les coups de butoir implacables des “Bleus”. Ces derniers, assoiffés de vengeance, mettent en coupe réglée les états “libérés”. Le général Lee, lucide, sait que le rêve sudiste n’est plus. Il se rendra à l’étoile montante du Nord, le général Grant, qui le recevra comme un frère d’armes. Il est temps pour les Sudistes de payer au prix fort leur rébellion. Lincoln n’est plus là pour tempérer ses compatriotes. Il est assassiné par un fanatique sudiste quelques jours après la signature de la fin des hostilités, acte qui va décupler la haine de Billy Yank. L’abolition de l’esclavage est prononcée, la ségrégation va bientôt la remplacer mais pour la Géorgie, le Tennessee ou le Mississippi, une chape de plomb se met en place, qui durera pour certains plusieurs années, avant de recouvrer le droit de faire partie des États-Unis d’Amérique.

Plus de cent cinquante ans après “The Civil War”, on pourrait penser que les tensions s’apaiseraient et que les Américains, au vu de cette tragique expérience, sortiraient grandis et soudés. C’est mal connaître ce peuple, aux multiples paradoxes. On continue à nommer le “Sud” et le “Nord” lorsqu’on parle de la Floride ou du Vermont, le “Dixie Flag” flotte toujours dans les villes et les comtés, lorsqu’il n’est pas tout simplement dessiné sur le drapeau de l’état. Une forte proportion de descendants d’esclaves vit encore dans le Sud où le racisme, aux relents de Ku Klux Klan, agite encore les populations. Mais lorsque vient le moment de défendre leur patrie, “Billy Yank” et “Johnny Reb” oublient leurs différences pour s’unir comme du temps de leur jeune indépendance.

Renaud MARTINEZ
articles@marenostrum.pm

Bernard, Vincent, “La guerre de Sécession : la grande guerre américaine : 1861-1865”, Passés composés, 12/01/2022, 1 vol. (446 p.), 24€

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