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Le chat joue un rôle essentiel dans la culture japonaise. Du maneki neko, ce porte-bonheur que les Chinois se sont approprié, et qui fait l’objet d’une légende mettant en scène un samouraï sauvé par ce félin, au bakeneko, ce terrifiant chat fantôme du folklore nippon, dont le chatbus de « Mon voisin Totoro » de Miyazaki constitue l’une des déclinaisons, les petits félins abondent et se présentent sous diverses formes. Le cinéma ne fait pas exception avec « Le royaume des chats », dont deux des figures prégnantes, Baron et Muta, reviennent dans « Si tu tends l’oreille », ils sont légion. Les romans mettent aussi en scène l’amitié qui unit les félins à leur maître avec « Mémoires d’un chat » et, plus récemment « Elle et son chat », succès de librairie au Japon, récemment publié en France par les éditions Charleston.

Les auteurs du livre travaillent dans l’univers du septième art. Le premier a réalisé de nombreux films, et est aussi graphiste de jeux vidéo. « Elle et son chat » constitue la novellisation de l’un de ses premiers courts métrages films d’animation, lauréat de plusieurs prix prestigieux. Makoto Shinkai est en effet considéré comme le nouveau Miyazaki. Le second est scénariste pour l’animation et le jeu vidéo. Écrit à deux mains, ce roman choral retraduit cette complicité dans la narration, en faisant intervenir quatre duos.

L’action du livre s’avère assez simple, tout comme son écriture, rapide et très cinématographique. Les changements narratifs sont délimités par des silhouettes de chats. Le principe est de coupler un narrateur félin et un narrateur humain qui partagent le même espace. Le roman se décompose en quatre histoires distinctes mais qui se recoupent car les personnages se rencontrent. Il met en scène 4 couples composés d’une femme et d’un chat, et des outsiders, les chats Crochet et Kuro, ou le chien John, qui vivent dans la rue. Certains sont trouvés, recueillis ou donnés. La première rencontre se situe au printemps, « par un jour de pluie ». Le récit à la première personne raconte l’adoption d’un petit chat abandonné par une inconnue, qui s’abrite « sous un grand parapluie de plastique transparent ». Après un échange de regards, c’est le contact physique.

Ses doigts glacés ont effleuré mon corps. Elle m’a pris dans ses bras sans la moindre peine. Le carton, vu d’en haut, était étonnamment petit. Elle m’a glissé contre son pull. La chaleur de son corps était d’une douceur incroyable. J’ai entendu les battements de son cœur. Elle s’est mise en marche et un grondement nous a dépassés. Nos pouls, à elle et à moi, mais aussi celui du monde, battaient à l’unisson. Ce jour-là, elle m’a recueilli. Depuis, je suis son chat à Elle.

C’est par ce pronom personnel que Chobi, le premier chat, désigne sa maîtresse, dont le nom est révélé plus loin. Il s’agit de Miyu, une jeune femme silencieuse, dont la meilleure amie, Tamaki, et le copain, Nobu, avec lequel elle vit une relation à distance, sont d’intarissables bavards, contrairement à elle, qui préfère écouter. Elle vit près d’une voie de chemin de fer travaille dans une école d’art et de design, que fréquente Reina, la seconde héroïne, une plasticienne dont le jeune Masato, à son insu, est éperdument amoureux. Elle est la propriétaire de Mimi, « la chatonne », avec laquelle Chobi se lie d’amitié. Le dernier chapitre qui clôt cette partie, après une ellipse de temps « les saisons ont passé » se situe en hiver.

À chacune de mes respirations, la vitre s’embue et je ne vois plus rien.
La lumière du distributeur automatique de boissons sur le trottoir filtre à travers la buée, c’est très joli.
Le feu tricolore et la boîte aux lettres sont recouverts de flocons tout blancs, on dirait qu’ils viennent de renaître.

Le second épisode se focalise sur le duo formé par Reina et Mimi et débute en été. Reina incarne la force aux yeux de la fragile Mimi, par la puissance d’illusion de sa peinture. Le chat croit à la réalité d’un faucon qu’elle a peint sur la toile, et pourtant, la plasticienne manque de confiance en soi.

Reina et les autres artistes peintres luttent sans cesse pour un petit domaine ; ils éliminent plein de concurrents, seuls les plus forts survivent. Reina est très forte, elle n’a jamais perdu jusqu’à présent. Autre bizarrerie chez les humains, c’est qu’au fil du temps ils sont forcés de se battre pour un autre territoire.

Le regard félin sur la condition humaine permet de dédramatiser les rapports et d’ajouter une touche d’humour. Puis à l’été succède l’automne, ponctué des deux côtés de chagrins et de déception, et si l’hiver est passé cette fois sous silence, le printemps termine la seconde partie. La troisième s’ouvre sur la figure d’Aoi, devenue claustrophobe depuis le décès de son amie Mari, son alter ego, avec qui elle écrivait des mangas. Ses parents lui offrent Cookie, le bébé de Mimi, dont la présence câline lui permet de retrouver le goût de la vie.

Elle a arrêté de pleurer pour me regarder puis, les fils et le grelot dans la main, elle s’est mise à sangloter de plus belle.
Je n’y comprenais rien.
– Merci ! Merci de l’avoir trouvé !
Elle m’a prise dans ses bras et, lentement, elle a battu des paupières. Ça m’a rassurée.
– Cookie !
J’ai répondu d’un miaulement.
Cookie, moi c’est Aoi. Enchantée.

Quant à la dernière héroïne, Shino, elle se retrouve seule après avoir soigné ses beaux-parents, et héberge son neveu Ryôta en difficulté, et accueille volontiers Kuro, le chat de gouttière vagabond, qu’elle nourrit et soigne.

Certaines de ces femmes sont quittées par leurs compagnons, tandis que d’autres commencent une vie de couples, mais les chats se montrent toujours constants et affectueux. La parole est donnée alternativement aux unes et aux autres, le chat ayant, au même titre que l’humain, le statut de narrateur. Certains animaux se mettent parfois à philosopher, comme le chien John, qui livre à Kuro sa version, simplifiée, de la création du monde, avec l’apparition d’une « forme de vie ni végétale ni animale, qui ressemblait en gros à une feuille et qui avait prospéré jusqu’à recouvrir la terre entière… Cette existence feuille décomposait les substances contenues dans l’eau de mer, où elle puisait ses forces ; la chaîne alimentaire où l’un mange l’autre n’existait pas. » Ainsi, les bêtes du récit ont elle aussi leur âge d’or, ou leur paradis perdu, une ère d’innocence, de vie primitive, sans péché originel.

D’une écriture simple et fluide, le livre met l’accent sur des vies ordinaires, embellies par la présence d’un animal familier. Les chats domestiques y côtoient ceux des rues, et même un chien, John, étrangement omniscient ; ils composent des figures attachantes et familières. La plupart des personnages gravitent dans le monde de l’art, que connaissent bien les auteurs. D’une plume légère, le livre,  » à mettre entre toutes les pattes » selon le Japan Magazine, suit le rythme des saisons. Cette chronique délicate dresse le portrait d’un Japon urbain, où les chats permettent de rompre la solitude des grandes villes. La fragilité de la vie, les apparences, les peurs, le désir constituent les thèmes majeurs du récit. Les personnages y apparaissent avec leurs failles, leurs fêlures, leurs déceptions, leur douleur parfois et mettent en évidence le pouvoir réparateur des chats. Ce roman feel good célèbre la complicité qui s’établit entre l’humain et l’animal.

Un joli livre, publié dans une maison d’édition en direction des femmes, qui ravira les amoureux du Japon et des chats.

Marion POIRSON-DECHONNE
articles@marenostrum.pm

Shinkai, Makoto & Nagakawa, Naruki, »Elle et son chat », traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako, Charleston, 12/10/2021, 1 vol. (195 p.), 18€

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