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À l’heure où dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, la question de la permanence du racisme dans la société française enflamme régulièrement le débat, le récit de Magyd Cherfi tombe à point nommé pour aborder avec hauteur ce sujet épineux.
Dans son précédent livre, “Ma part de Gaulois” (Actes Sud, 2018), Magyd Cherfi racontait comment l’obtention d’un baccalauréat littéraire en 1981, avait fait figure d’événement dans sa cité toulousaine natale, frappée par l’échec scolaire endémique. Ce diplôme qui symbolisait une certaine forme d’allégeance à la France et à sa culture, avait été tout à la fois source de fierté et de défiance dans son entourage.
“La Part du Sarrasin” se présente comme la suite de cette introspection autobiographique. Nous sommes en 1983, Magyd, surnommé “Le Madge”, a fui le domicile familial pour partir en tournée avec les membres de son groupe. Ce qui deviendra quelques années plus tard Zebda n’est alors qu’une bande de potes qui jouent dans les bars, devant des publics souvent clairsemés. Ces débuts difficiles n’en sont pas moins extrêmement stimulants pour ces jeunes gens transcendés par leur passion commune pour la musique et qui se donnent sans compter à chaque nouveau concert. Au moment d’entrer en scène, le Madge se jette sur son micro comme “un sarrasin sur Roland de Roncevaux” désespérant toutefois de ne jamais voir un seul “reubeu” parmi le public. Porté par un style à l’oralité vivifiante, le lecteur est plongé dans l’intimité du jeune groupe, des longs voyages sur les routes de France au volant de l’estafette à certains après-concerts à l’atmosphère très “sex, drugs et rock’n’roll”.
Mais quand il revient à la cité où il a grandi, le jeune homme se retrouve en proie à ce qu’il appelle sa “schizophrénie identitaire”. Déjà, avant qu’il ne claque la porte de chez ses parents, sa mère lui répétait cette injonction contradictoire : “Sois français mais ne le deviens pas”. Avec ses amis d’enfance, Momo et Samir, il se retrouve en bute à ce même conflit de loyauté. On l’accuse d’égoïsme, d’être “passé à l’ennemi” en chantant pour les petits-bourgeois du centre-ville. Il est ainsi cruellement écartelé entre son amour pour la musique et une certaine pensée communautariste qui perçoit l’intégration comme une forme de trahison.
La force du texte est de montrer que les problématiques actuelles de la tentation du repli identitaire et de la montée de l’extrême droite ont à peine évolué depuis les années 1980. Magyd Cherfi évite habilement le manichéisme. Il montre que le racisme n’est pas à sens unique et qu’il ne peut y avoir de réponse simpliste à un sujet aussi complexe. En raison de ses origines kabyles, le Madge est, qu’il le veuille ou non, susceptible d’être renvoyé à tout moment “au bougnoulat séculaire avec [sa] djellaba imaginaire sur l’épaule”. Même ses amis français, qui professent des idées progressistes et universalistes, n’échappent pas aux stéréotypes, à l’instar d’un des musiciens du groupe qui lui propose de chanter en arabe et qui s’étonne lorsqu’il lui répond qu’il ne parle pas un mot de cette langue.
Mais loin d’être l’apanage des blancs, le racisme gangrène aussi les quartiers populaires de l’intérieur. L’auteur porte un regard d’une grande lucidité sur les conséquences de la misère sociale : “Le Noir dénigrait son prochain et le Reubeu dénonçait son voisin. La crise achevait les faibles qui eux-mêmes, s’entredévoraient, je faisais partie de tout ce glauque”. Heureusement, la musique apparaît comme une échappatoire bienvenue qui lui permet de s’évader de cet univers où les violences verbales et physiques font partie du quotidien.
Et puis il y a l’amour : “La Part du Sarrasin”, se lit également comme une délicieuse éducation sentimentale. S’il aborde des sujets graves, Magyd Cherfi ne se dépare jamais de son humour et dépeint avec beaucoup de tendresse et d’autodérision ses jeunes émois.

Jean-Philippe Guirado
contact@marenostrum.pm

Cherfi, Magyd,”La part du Sarrasin : récit”, Actes Sud, 19/08/2020, Disponible, 1 vol. (427 p.), 22,00€.

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