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L’alliance très controversée de la Croix gammée et du Croissant. Il s’agit d’un pan de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale auquel, depuis le début des années 1990, les historiens commencent à s’intéresser. En effet, le pacte entre les nazis et l’islam n’a pas été sans conséquence sur les racines du conflit israélo-arabe, mais également sur les relations qu’entretiennent – aujourd’hui encore – les Serbes et les Bosniaques. L’historien Xavier Bougarel signe un livre remarquable sur la singulière 13e division SS Handschar, qui fut aux Balkans, ce que fut la tristement célèbre “Das Reich” aux Mosellans et aux Alsaciens.

Si nous avons choisi d’illustrer cet article par cette étonnante photographie prise à Sarajevo en 1941, c’est qu’elle met en lumière toute l’ambiguïté des relations entre juifs et musulmans lors de l’occupation nazie, et des conséquences de la Shoah. Elle montre une femme musulmane marchant avec sa voisine juive et couvrant son étoile jaune à l’aide de son voile. Nous savons que la famille juive était hébergée par la famille musulmane après la destruction de leur maison.

Nul n’ignore aujourd’hui qu’un musulman sauva la “Haggadah de Sarajevo”, qui demeure le manuscrit sépharade le plus précieux au monde. Sachant que les Allemands, pilleurs de trésors, la convoitaient, le directeur du Musée et le bibliothécaire ont menti à l’officier venu la récupérer en lui affirmant qu’un autre nazi s’en était déjà emparé deux heures plus tôt. Selon la version la plus communément admise, le bibliothécaire – Servet Korkut – l’aurait cachée chez lui, avant de la confier à un Imam qui l’aurait pieusement conservée au milieu des corans et d’autres livres islamiques. Servet Korkut a également caché une jeune fille juive – Mira Papo – en la faisant passer pour une cousine éloignée et en lui faisait porter le voile.
Ces deux exemples illustrent la question essentielle que pose Xavier Bougarel dans le premier chapitre de son ouvrage particulièrement documenté : Une collaboration sans conviction ?

En avril 1943, le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Hussein leader du mouvement arabe qui prêche la guerre sainte contre les juifs à la radio allemande, affirme que les “nazis sont les meilleurs amis de l’islam. » Tout musulman qui perdrait la vie au combat pour l’Islam et le Reich, serait un “chahîd”, un martyr. En Égypte, l’organisation des “Frères musulmans” ne cache pas sa sympathie pour l’Axe. C’est dans ce contexte qu’Adolf Hitler donne l’ordre de former des légions de volontaires musulmans des Balkans qui seront incorporés dans l’unité combattante la plus prestigieuse, celle de la SS, en affirmant qu’ils sont “à classer parmi les peuples européens de race supérieure”. Les dignitaires nazis, avec le Reicshfürer SS Himmler en tête, prétendent que le Coran annonce la venue de Hitler, non comme un prophète, mais en tant “qu’Issa” (Jésus) dont le retour est prédit dans le livre saint pour rétablir la justice et triompher de l’Antéchrist. Si les dirigeants nazis avaient une fascination pour les musulmans, oubliant au passage qu’ils étaient sémites, c’était parce qu’ils considéraient l’islam comme une religion fanatique et guerrière, dépourvue de “délicatesse chrétienne”.
De nombreux historiens ont établi des liens entre l’islam et le nazisme. Le terrorisme islamique, avec son fondamentalisme haineux qui s’apparente au nazisme, ébranle désormais nos sociétés occidentales. Aujourd’hui, il incline certains penseurs à assimiler islam et nazisme dans une idéologie commune. En 2014, Marine le Pen estime qu’il est légitime de comparer le Coran à “Mein Kampf”. Elle est oublieuse que, parmi les membres fondateurs du parti de son père, on trouvait des anciens de la 33e division SS Charlemagne. Cet amalgame entre l’islam et le nazisme est risqué, car des faits de résistance notables de musulmans envers les nazis, hélas méconnus ou volontairement occultés, nous invitent à la modération. Le sultan du Maroc, Mohammed V, s’est fermement opposé aux lois anti-juives de Vichy et – en Algérie – les juifs n’ont pas été inquiétés par les musulmans. Mais c’est justement de la 13e division SS Handschar – une des trois divisions SS musulmanes – que va provenir l’un des actes les plus singuliers de la Seconde Guerre mondiale.

Un “Handschar” est un cimeterre turc, un sabre à lame recourbée. Pourquoi une division de la Waffen SS arborait-elle cet emblème si étrange ? Parce que précisément il ne s’agissait pas d’une unité allemande. Elle est en effet majoritairement composée de musulmans Bosniaques et Croates, majoritairement recrutés de force, comme la “Das Reich” l’est d’Alsaciens et de Lorrains.

Cette division, composée de paysans analphabètes ne parlant pas l’allemand, est encadrée par un mollah, et un imam SS par bataillon. Dans le cadre d’entraînements, avant de se rendre sur le front de l’Est, un de ces bataillons – le 13e – de la division SS Handschar, sous la coupe d’un imam fanatique et de chefs sanguinaires – des Allemands de souche – est cantonné à Montauban, puis en garnison à Villefranche-de-Rouergue, où les hommes sont victimes de mauvais traitements et de mesures vexatoires, ce qui va indigner la population. C’est dans cette ville de l’Aveyron que va se dérouler l’un des évènements les plus incroyables et mystérieux de la Seconde Guerre mondiale, au point qu’il a été passé sous silence, y compris par les Alliés. Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1943, des sous-officiers SS Bosniaques et Croates vont se révolter contre leurs chefs allemands, qu’ils vont abattre sans autre forme de procès, avant de se rendre maîtres de la ville et de la délivrer de l’occupation allemande. Seul un officier parvient à s’échapper et à donner l’alerte. Très vite, une grande partie des mutins tient la ville. Contrairement à ce que veut bien nous dire l’histoire, la première ville française libérée n’a donc pas été Bayeux le 7 juin 1944, mais symboliquement Villefranche-de-Rouergue 9 mois plus tôt ! Mais ce qui a été le plus incroyable, c’est qu’elle l’a été par des SS, musulmans, et avec le concours actif de la population au sein de laquelle il n’y aura – par la suite – aucune dénonciation ! Une ville française libérée par une unité SS musulmane, quelle symbolique ! On comprend pourquoi cet évènement considérable a été occulté, d’autant qu’il s’agissait de la seule mutinerie notable ayant eu lieu dans l’armée allemande, et précisément au sein de la SS, censée être l’élite des troupes combattantes.
Hélas, les mutins vont commettre l’erreur de ne pas fusiller l’imam, un dangereux fanatique, qui parvient à galvaniser une partie de la troupe restée indécise. Il donne l’ordre – au nom d’Allah – de ne pas se révolter contre l’autorité légitime de Hitler. Des combats font rage entre les SS musulmans fidèles aux nazis ayant reçus les renforts de la Wehrmacht contre d’autres Waffen-SS qui ont choisi le camp de la liberté en tentant de gagner le maquis. La population fournit aux insurgés des vêtements civils et, dès l’arrivée des renforts venus de Rodez, les cachent. C’est une impitoyable chasse à l’homme qui commence dans les rues où les mutins tentent une percée désespérée. De nombreux sont tués, d’autres – toujours grâce à la population – parviennent à s’échapper et à gagner le maquis et les réseaux de résistance alors en formation. Ceux qui vont être capturés connaissent un sort terrible. Quarante seront torturés, mutilés, fusillés sur place, puis ensevelis à la hâte dans le pré de Sainte-Marguerite. Deux cent cinquante seront envoyés en camps d’extermination, d’où seulement quelques-uns reviendront. Voilà pourquoi se trouve à Villefranche-de-Rouergue un mémorial en l’honneur des martyrs Croates musulmans qui se sont révoltés contre l’occupant nazi.
Cet épisode héroïque, qui nous intéresse parce qu’il se déroule sur le sol français, ne doit pas masquer les nombreuses exactions que va commettre par la suite en Bosnie la 13e division SS Handschar – expurgée de ses déserteurs – contre la population serbe et les rares juifs qui ont pu échapper aux rafles et aux massacres des Oustachis. La force de l’ouvrage de Xavier Bougarel – chercheur au CNRS et spécialiste des Balkans – est de nous démontrer que l’engagement dans ces divisions de musulmans ne l’a pas été pour des motifs idéologiques, mais pour des raisons matérielles et anti-communiste. Le “Grand Jihad germano-musulman” rêvé par Himmler fut un échec. La conclusion de l’ouvrage, très documenté et agrémenté d’archives inédites, est édifiante : que sont devenus les combattants de la 13e SS Handschar après la guerre, et en particulier les imams qui étaient les plus fanatiques ?

Quant au grand mufti de Jérusalem, Amin al-Hussein (1895-1974), directement responsable de la mort de milliers de juifs, et réfugié à Berlin à partir de 1941, grassement rémunéré par la SS et la spoliation de biens juifs, on s’étonne qu’il n’ait pas été inculpé de crimes contre l’humanité et traduit devant le Tribunal de Nuremberg. Dès 1933, il déclare : “Les principes de l’islam et ceux du nazisme présentent de remarquables ressemblances, en particulier dans l’affirmation de la valeur du combat et de la fraternité des armes, dans la prééminence du chef, dans l’idéal de l’ordre”.

À la fois recherché par les Britanniques et les Yougoslaves comme criminel de guerre, après que la Suisse a rejeté sa demande d’asile, il trouve refuge en France qui refuse l’extradition aux deux gouvernements. En mai 1946, il parvient sans difficulté à quitter le pays grâce à un faux passeport fourni par le Quai d’Orsay. Il finira ses jours au Liban, toujours actif dans la propagande anti-juive et antisioniste, sans jamais avoir été inquiété.

Jean-Jacques BEDU
contact@marenostrum.pm

Bougarel, Xavier, “La division Handschar : Waffen-SS de Bosnie, 1943-1945”, Passés composés, 10/06/2020, Disponible, 1 vol. (437 p.), 24,00€.

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À consulter également :

  • Roger Falicot et Rémi Kauffer ; “Le Croissant et la croix gammée : les secrets de l’alliance entre l’islam et le nazisme d’Hitler à nos jours” ; Albin Michel ; 02/1990 ; 308 p. ; 12€.
  • Martin Cüppers et Klaus-Maicheal Mallmann ; “Croissant fertile et croix gammée, le IIIe Reich, les Arabes et la Palestine”, traduit de l’allemand par Barbara Fontaine ; Éditions Verdier ; 10/2009. 343 p. ; 19€.
  • Mattias Kuntzel ; “Jihad et haine des juifs” ; L’Artilleur ; Paris, 09/2015 ; 238 p. ; 18€.
  • David Motadel ; “Les Musulmans et la machine de guerre nazie”, traduit de l’anglais par Charlotte Nordmann ; La Découverte ; Paris, 02/2019 ; 440 p. ; 25€.

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