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Victoria Hislop, La statuette, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Alice Delarbre, Éditions les Escales, 26/10/2023, 1 vol. (491 p.), 23€.

Auteur à succès, Victoria Hislop n’a cessé de séduire son lectorat depuis L’île des oubliés, son premier best-seller qui racontait l’histoire d’une colonie de lépreux. Tous ses romans ont pour cadre la Grèce, et son engagement (elle fait partie du comité qui milite pour la restitution des frises du Parthénon à la Grèce, dont elle évoque le pillage dans La statuette) lui vaut d’être citoyenne d’honneur de ce pays.

Ce dernier opus se déroule essentiellement entre Londres et Athènes. Le récit débute en 1968 et s’ouvre sur une série de mystères. Pourquoi Héléna, une petite fille âgée d’environ huit ans, voyage-t-elle seule, sans ses parents ? Pourquoi sa mère, d’origine grecque, refuse-t-elle de retourner dans son pays natal ? Et pourquoi a-t-elle anglicisé son prénom ? L’explication réside-t-elle uniquement dans son mariage avec un Ecossais, Hamish Mac Cloud ?

Peu à peu, Héléna découvre la vérité sur le départ de sa mère. Si elle passe des vacances heureuses en compagnie de sa giagia, sa grand-mère, elle se heurte à l’antipathie de son grand-père, un général froid et dur, qui a contraint son fils à intégrer l’armée, et a causé sa mort. Son premier mot pour la désigner est Kokinomala, terme signifiant “rousse” en grec, qui sonne ici comme une insulte, la chevelure d’Héléna connotant ses origines écossaises, et non son héritage grec, ce que déplore son grand-père, fervent nationaliste. Il a choisi pour héritier Arsenis, un cousin particulièrement antipathique, qu’Héléna déteste. La gentillesse et la douceur de sa grand-mère et de Dina, la jeune bonne, ne compensent pas la violence du grand-père, qui n’hésite pas à frapper l’enfant quand elle le contrarie. Il s’efforce de lui donner une éducation religieuse, car elle n’est pas baptisée (ses parents sont athées) et la contraint à assister à d’ennuyeuses cérémonies militaires. Après sa mort, Héléna revient en Grèce à plusieurs reprises et découvre peu à peu la vérité sur le passé familial.

Le roman s’ouvre sur le régime des colonels et s’achève alors que la dictature est terminée. Victoria Hislop restitue le climat oppressant de cette époque, évoque les arrestations et les tortures, mais aussi la propagande et le nationalisme forcené. Le récit est parsemé d’évocations de faits historiques, comme l’invasion de Chypre ou la révolte des étudiants de l’école polytechnique, et leur répression, dont subsistent encore des traces. Les communistes sont pourchassés ou emprisonnés sans pitié. Loin d’une vision touristique pleine de clichés, l’écrivain brosse le portrait d’un pays marqué par des événements tragiques

La capitale, Nicosie, était à présent coupée en deux. Ce qui lui rappela Berlin, sur lequel elle venait de rédiger un essai en classe. En lieu et place d’un mur, il y avait des fils de fer barbelés dans la capitale chypriote. Malgré le traité de paix, les complications et les compromis se succédèrent, mais Chypre finit par ne plus faire la une des actualités. Tout le monde espérait un meilleur accord pour les Chypriotes grecs à l’avenir, cependant les combats étaient terminés, et Athènes, du moins, avait retrouvé une normalité fragile. Des élections libres et démocratiques furent organisées en novembre pour la première fois depuis le coup d’Etat de 1967.

Elena grandit, et retourne en Grèce accompagnée de ses parents. Elle découvre les richesses archéologiques de la Grèce. Si la visite du musée d’Athènes en compagnie d’Arsenis avait constitué une épreuve, en raison de l’attitude graveleuse du cousin, celle d’un autre musée, certes moins prestigieux, mais avec sa famille, s’apparente à une révélation. Elle y découvre une idole cycladique, à l’origine d’une profonde émotion esthétique. Cet épisode est l’un de ceux qui donnent son titre au livre.

Une statuette debout, éclairée par le dessus, d’une telle simplicité et d’une telle modernité qu’elle aurait pu passer pour du modernisme. Mesurant moins de trente centimètres de hauteur, elle avait un long cou élégant, une poitrine nue et les bras croisés sur son ventre. Elle semblait réservée, timide même, comparée à l’audacieuse Aphrodite plantureuse dans la grande salle. D’un ocre pâle et d’une texture légèrement granuleuse, elle avait le sommet de la tête aplati, presque en forme de cœur et orienté de sorte qu’elle semblait regarder le ciel.

C’est la rencontre avec une autre statuette du même type qui détermine définitivement la destinée d’Héléna et la conduit à faire des choix, tant personnels que professionnels.
Devenue adulte, elle tombe amoureuse de Nick, un étudiant dont elle a admiré la prestation dans Médée, alors qu’il incarnait Jason. Lui voit en elle un modèle de Dante-Gabriel Rossetti. Elle le rejoint sur une île grecque où il participe bénévolement à des fouilles archéologiques. Elle prend alors conscience de la valeur du patrimoine grec, mais se trouve aussi confrontée à la question du pillage des sites par des individus sans scrupule qui se livrent trafic d’antiquités. Le livre prend alors la forme d’une enquête policière, menée par Héléna et ses amis de l’université, ainsi que deux jeunes antiquaires Grecs, Haris et Anna. Il tend aussi à informer le lecteur de l’énormité de ces trafics, qui s’opéraient déjà à l’époque de la dictature, et dénonce les complicités politiques qui l’ont favorisée, ainsi que les pots-de-vin reçus en échange de faveurs.

Efficace, agréable à lire, le roman de Victoria Hislop contribue à enrichir l’exploration de l’histoire contemporaine par l’auteur. Il montre bien l’évolution d’un pays passant d’un système oppressant à la liberté. Les différents séjours d’Héléna illustrent cette évolution. Le microcosme de l’appartement parental, avec ses meubles étouffants et la figure dominante du grand-père, dont le portrait démultiplié rajoute à l’atmosphère pesante, semble prolonger la dictature au sein même de l’espace intime. Plus jeune que son époux, la grand-mère, sans jamais se rebeller, aspire pourtant à la liberté. Ce n’est qu’après le décès de ce dernier qu’elle s’autorise à porter des jupes plus courtes et à vivre selon son désir. Le général et Arsenis incarnent une masculinité toxique. L’Angleterre, en revanche, représente pour Mary et sa fille un univers sans contraintes. Et même si pour Helena la Grèce a le goût des vacances, elle devra attendre un certain temps pour en jouir avec insouciance.

Une lecture plaisante, mais qui aborde des sujets graves, et met en scène une galerie de personnages attachants. Sans concession, Victoria Hislop traite de questions historiques, parfois encore actuelles. Sa documentation et son sérieux vont de pair avec sa technique d’écriture, qui entraîne le lecteur dans une aventure entre thriller et romance, de manière bien maîtrisée.

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Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

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