Aubrée David-Chapy, Louise de Savoie : régente et mère de roi, Passés composés, 11/10/2023, 1 vol. (301 p.-8 pl.), 23€
Dans cette biographie, Aubrée David Chapy, spécialiste de l’histoire des femmes au XVI et et XVIe siècle, s’attaque à la figure controversée de Louise de Savoie. Modèle privilégié de Catherine de Médicis, elle est la figure fondatrice de la dynastie Valois Angoulême. Première femme à avoir porté officiellement le titre de régente en France, elle a su s’imposer à la tête du royaume et a conféré à la régence une dimension quasi souveraine.
Une éducation humaniste
Louise n’est que la fille d’un cadet de Bresse, mais d’illustre ascendance, ce qui lui permet d’être alliée aux plus grandes lignées princières de son temps. C’est pour cette raison qu’après la mort de sa mère, elle passe son enfance à la cour de France, où sa cousine germaine, Anne de Beaujeu, fille de Louis XI, sans s’ériger en figure maternelle, lui fait donner une éducation soignée, qui accorde une grande place aux livres, et plus particulièrement à ceux de Christine de Pisan. Anne de Beaujeu lui transmet aussi l’art du pouvoir, bien que Louise ne soit qu’une princesse parmi d’autres, et négocie pour elle un mariage politique avec Charles d’Angoulême, plus âgé de 16 ans, pour renforcer l’alliance entre les maisons de Bourbon et de Savoie. A la fin de l’hiver 1488, la jeune femme rejoint son mari au château de Cognac, dont la cour est extrêmement cultivée. Leurs goûts intellectuels rapprochent les deux époux qui enrichissent leur bibliothèque de magnifiques manuscrits. Louise a accès à la littérature italienne et humaniste très en vogue, mais aussi aux voyages de Marco Polo et les auteurs antiques. Elle développe et entretient au sein de la cour des liens de fidélité qu’elle juge essentiels. A 15 ans, elle met au monde une fille, Marguerite, puis deux ans après un fils, François. Mais elle devient veuve le 1er janvier 1496, alors qu’elle n’a que 19 ans. Les dispositions testamentaires prises par son époux s’avèrent très favorables à son égard. Elle refuse de se remarier et se consacre à ses enfants. Le noir des veuves qu’elle adopte revêt une signification politique et permet de la distinguer entre toutes comme mère du dauphin. Lorsque François se retrouve à la 1re place pour l’accession au trône de France, le prestige de Louise s’accroît. Elle se consacre entièrement à l’éducation du futur roi et s’attache à lui transmettre une sagesse faite de savoir et de prudence. François Desmoulins de Rochefort, nommé précepteur du dauphin rédige de nombreux manuscrits à son intention et lui donne un enseignement humaniste. Marguerite, la sœur du roi, bénéficie du même type d’enseignement. Dans un manuscrit intitulé Compas du dauphin, Louise est dépeinte comme « l’actrice de la formation morale et intellectuelle de son fils. » Elle veut être perçue comme une mère irréprochable, dont la principale vertu est la prudence.
Un statut inespéré
Louise négocie le mariage de son fils avec Claude de France. Le testament de Louis XII accorde la régence à Louise de Savoie et Anne de Bretagne. La jeune veuve entame une nouvelle vie. Le sacre de son fils lui confère un statut inespéré. François 1er se montre prodigue pour sa mère en terres et seigneuries, et parvient à convaincre le parlement peu favorable à ses largesses. Le royaume prospère. La perspective des guerres d’Italie permet au roi de nommer Louise régente. Il légitime ce choix en la présentant, à une époque où le pouvoir féminin n’a rien d’évident, comme le « modèle de la princesse chrétienne et humaniste, dans le plus parfait héritage de Christine de Pisan. » Sagesse, prudence, confiance et amour sont les qualités qu’il met en avant afin de légitimer sa mère. Seule à la tête du pouvoir, Louise s’installe à Amboise et doit faire montre d’un « cœur d’homme« , vertueux et supérieur. Si elle ne peut prendre aucune initiative personnelle, elle dispose d’un pouvoir administratif, car le roi, même absent, mais auréolé de la gloire de Marignan, jouit seul du pouvoir décisionnel. Au retour de François sa mère, en restant à ses côtés, devient le second personnage du royaume après lui. Son pouvoir, non matérialisé par des actes officiels, demeure toutefois difficile à cerner. Anne de Bretagne meurt prématurément, ce qui renforce la puissance de Louise dont la présence auprès du roi, fondée sur les liens de sang et l’affection, lui permet d’élaborer une véritable stratégie. « Au-delà des images, la fusion entre la mère et le fils se traduit dans la réalité par un partage du gouvernement, une unité de vue, des conceptions semblables. » Cette unité se résume par la formule « Ce n’est qu’un cœur« . Louise de Savoie s’impose désormais comme la mater regis, elle qui n’est ni de naissance royale, ni reine de France, car le sang qu’elle partage avec son fils la légitime dans la place qu’elle occupe et la fonction qu’elle exerce.
Un lien puissant avec le roi, une influence politique grandissante
Ce lien mère / fils apparaît d’abord charnel et sentimental, mais aussi intellectuel, et finit par revêtir une dimension théologique, voire christique. Plus encore, une sorte de « trinité des Angoulême » se forge entre Louise, François et Marguerite fondée sur l’amour, la caritas chrétienne qui prend la valeur d’un sacrement, mais aussi sur le sang et le sacrifice total au royaume, qui lui confère une dimension sotériologique encore jamais observée. Ce pouvoir au féminin, qui exerce une forte influence sur le roi, grâce à la stratégie politique symbolique mise en place par sa mère, « fait glisser le champ des représentations vers un mysticisme prophétique. » Louise de Savoie se retrouve au conseil du roi, non seulement pendant la régence mais aussi en présence de ce dernier, situation tout à fait inhabituelle pour l’époque. Elle y fait entrer bon nombre de ses fidèles, ce qui atteste son influence, et bénéficie d’importants soutiens. Ses fonctions outrepassent celles d’un chancelier. Conseillée par Duprat, elle devient l’architecte du Concordat présenté à la cour en 1527. Elle tente de tisser des alliances avec les principautés allemandes pour garantir des soutiens à la France, et conçoit une politique étrangère très ambitieuse. Si 1517 est l’année de la paix, la mort de l’empereur d’Autriche en 1519 vient à nouveau menacer celle-ci. Les possessions de Charles Quint encerclent la France. Louise ambitionne pour son fils la couronne impériale. De multiples événements vont conduire au camp du drap d’or, puis à la reprise des guerres en Europe. Dix ans après Marignan, intervient la défaite de Pavie. François 1er tente une offensive avant d’être capturé. Louise se trouve désormais seule à la tête du royaume. En dépit du bouleversement de l’état, elle peut compter sur de fidèles soutiens au conseil et collabore avec le Parlement. Elle renforce son lien avec les cités pour faire face à la crise, se livre à une intense activité épistolaire et mène une politique efficace. Disposant de prérogatives exceptionnelles, elle privilégie les finances, la diplomatie, la religion et la justice. Administrer, pacifier et protéger le royaume constituent ses priorités. Choquée par les propos hérétiques et les actes iconoclastes, alors qu’un lien est souvent établi entre les malheurs du royaume et la propagation de l’hérésie, elle mène une politique religieuse faite de rituels d’expiation, de répression judiciaire et de fermeté politique. Sa régence apparaît comme le miroir du pouvoir royal. Le sien que l’autrice du livre qualifia d’absolu, « rompt la norme pour s’inscrire dans l’extraordinaire. » Dans la lignée de Christine de Pisan et Anne de France, elle parvient à obtenir une paix européenne provisoire. Son fils enfin libéré, elle devient aussi l’une des artisanes de la « Paix des Dames » qui couronne sa carrière politique.
Un art de gouverner particulièrement efficace
Les derniers chapitres de l’ouvrage analysent la spécificité de l’art de gouverner de Louise de Savoie. Sur le plan protocolaire, son importance se révèle, comme on peut le constater à travers les descriptions de sacres et d’entrées royales du règne de François 1er, où une place spéciale lui est accordée. Ce qui la justifie c’est la proximité de sang avec le roi, Louise « cherchant à affirmer le caractère exceptionnel de sa personne par son individualisation dans l’espace cérémoniel. » Ce choix est renforcé par les couleurs sombres et les vêtements sobres qui dont elle a l’exclusivité, et qui visent à la présenter « comme modèle de sagesse et de chasteté. » L’efficacité de la politique de Louise et « sa capacité à investir le champ aulique de sa présence et de sa domination symbolique » en font une figure politique à part. Elle s’entoure d’un nombre important de dames et maîtrise à la perfection « l’art de la représentation« . Elle utilise divers symboles pour consolider sa puissance. Sans manichéisme, le livre illustre la complexité du personnage et réhabilite une figure féminine de pouvoir. C’est à l’occasion des cérémonies spécifiques aux reines que Louise met en place un certain nombre de symboles. Ils relèvent de la propagande destinée à adresser un message au peuple au moyen de signes. La reine s’efforce d’apparaître comme un modèle de perfection choisie pour une grande mission. Femme forte et figure salvatrice, destinée à rénover l’Âge d’or, elle entend représenter l’espérance de tout un royaume. Elle se présente aussi sous les traits de Dame Concorde, celle qui restaure l’amour et la paix. Sa quête de légitimation la rend commanditaire d’un certain nombre d’ouvrages ayant pour but d’imprimer l’idée que sa dignité émane de son statut de mère du roi. Elle y fait évoquer ses origines pour se rattacher « à une entreprise politique pluriséculaire » en convoquant l’exemple de la mère de Louis IX dans Les gestes de Blanche de Castille que lui dédie Étienne Le Blanc. L’ouvrage les met toutes deux en parallèle pour ancrer leur légitimité qu’il exalte en se livrant à « un véritable panégyrique de la régence féminine« . Mais ce ne sont pas seulement les livres qui lui permettent d’affirmer sa puissance politique. L’architecture joue également un rôle. Elle possède de nombreux châteaux qu’elle fait agrandir ou transformer. Son goût de la Renaissance italienne l’amène à inviter des architectes comme Pierre de Paule ou Léonard de Vinci qu’elle fait venir à la cour de France.
L’imaginaire symbolique qu’elle crée autour de sa personne se fonde sur un certain nombre d’emblèmes, que l’on retrouve sur des ornements architecturaux mais aussi des tapisseries ou des livres de commande. Parmi ces derniers figurent de façon récurrente la lettre L, parfois associée à des ailes d’oiseau ou de moulin, un bouquet de lys, un oiseau transpercé par une flèche, ou encore une cordelière. Avec ses multiples nœuds, cet emblème qu’elle partage avec Anne de Bretagne s’associe à la cordelière franciscaine. Elle renvoie aux liens indissolubles qui unissent les trois membres de la famille d’Angoulême, et à la notion de Concorde, à savoir la paix. On la retrouve à côté de la salamandre, emblème du roi. Louise apparaît aussi comme une mécène des arts destinés à servir le pouvoir. Quand elle meurt, son fils ordonne des funérailles dignes d’une reine.
L’intérêt de ce livre, extrêmement précis et documenté, qui fait revivre la figure exceptionnelle de Louise de Savoie, réside dans son analyse politique. L’auteur montre comment la régente a réussi à accéder au pouvoir et construire une image particulièrement élaborée de sa personne pour accéder à la légitimité alors qu’elle n’était pas reine. Tout le travail autour de cette figure de mater regis est exploré de manière aussi détaillée que convaincante. Héritière de Blanche de Castille et Anne de Beaujeu. Louise deviendra à son tour le modèle de Catherine de Médicis qui s’en inspirera.
Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne
marion.poirson@gmail.com
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