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L’appel du 18 juin 1940 est dans toutes les mémoires. Il est le plus important de l’histoire de France, mais il est passé inaperçu – plutôt inaudible – pour les millions de Français qui, devant leur poste TSF, avaient entendu la veille, le maréchal Pétain annoncer la capitulation dans un pays en débâcle. Très rares sont les Français qui ont perçu l’appel d’un général alors inconnu sur les ondes de la BBC, et qui ne fut même pas enregistré. Celui que nous connaissons date en réalité du 22 juin. Le général de Gaulle exhorte à combattre au nom de « l’espérance », en appelant déjà de ses vœux que les États-Unis puissent fournir leur technologie afin que lutter contre la barbarie nazie. Le 5 août 1940, exclusivement dans les rues de Londres, est placardée une affiche toute aussi célèbre.  » À tous les Français. La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre ! » C’est tout le sens de cette collection : nous rappeler combien l’affichage est important pour véhiculer les grandes idées. Depuis la nuit des temps, la tradition orale fut primordiale afin de transmettre et de préserver, mais sous toutes ses formes, l’écrit l’a supplanté. Il est des lettres que l’on dit « mortes » parce qu’elles restent sans effet. C’est le cas de « L’appel à la France » du commandant Massoud. Nonobstant, une lettre morte ne l’est jamais vraiment. Rien n’est irréversible et l’on doit à Jean-Marie Montali, grand reporter qui a couvert l’Afghanistan en guerre, d’avoir ressuscité ce texte prophétique du Commandant Massoud. Vingt ans plus tard, il nous laisse sans voix et sa lecture achevée, on se demande si ce dernier n’est pas l’incarnation de ce qu’Ibn Arabi, le grand philosophe arabe du XIIIe siècle, définissait comme « l’Homme parfait », et dont l’un des précédents les plus emblématiques fut l’émir Abdelkader.

Alors s’il n’avait pas été lâchement assassiné le Commandant Massoud aurait-il pu empêcher le 11 septembre ? Pas plus que l’assassinat tout aussi lâche de Jean Jaurès n’aurait pu arrêter la Première Guerre mondiale. Le « Lion du Panshir » est mort le 9 septembre 2001. La stratégie des Talibans était évidente : mettre hors d’état de nuire le seul combattant en mesure de s’opposer à ces « séminaristes du crime » armés et soutenus par le Pakistan, et entraîner les États-Unis dans un bourbier pire que le Vietnam. L’Histoire vient de nous démontrer qu’ils ne sont pas – là non plus – sortis vainqueurs. Vingt ans de guerre auront coûté 2000 milliards de dollars aux États-Unis et surtout tant de vies sacrifiés. « Pour quel résultat ? Nul ! », s’interroge Jean-Marie Montali. C’est avec précision, et faisant montre d’un remarquable esprit de synthèse, que ce dernier analyse ce qui a amené les Talibans – des blasphémateurs de l’islam et des fossoyeurs de la liberté – au pouvoir, transformant ce pays, plaque tournante du trafic d’opium, en califat du meurtre et la plus grande base terroriste du monde. Émaillé d’anecdotes touchantes, il peint le commandant Massoud comme il l’a connu : un véritable combattant de la liberté, un saint qui pratiquait un islam qui n’était pas archaïque et sanguinaire, un islam qui entendait donner aux femmes le droit de porter – ou non – le voile, la liberté de s’instruire, de penser, de s’exprimer, et surtout d’appliquer enfin la démocratie :

Le principe de désignation d’un gouvernement décrit dans le Coran est donc la consultation populaire. J’ai toujours dit que notre conflit ne se résoudra pas sans le peuple, auquel appartiennent les femmes afghanes. Si le peuple veut des Taliban, pourquoi pas ? Je suis prêt à accepter le verdict du peuple. Mais les Taliban ne veulent pas d’élections. Ils pensent que la démocratie est une invention occidentale diabolique. Vous savez, il y a une différence énorme entre l’islam et ce que pensent les Taliban. Ils mélangent tout ! Leurs coutumes tribales ancestrales et la religion, ce n’est pas un bon mélange.

« L’appel à la France « , la lettre du commandant Massoud a été publiée le 5 décembre 1998 dans le Figaro Magazine. En avril 2001, il a été reçu au Parlement européen afin d’alerter l’opinion publique du réel danger représenté par les Talibans. Il répéta mot pour mot ce qu’il avait écrit trois ans plus tôt. Mais l’Europe, et surtout les États-Unis avaient d’autres intérêts… Vingt ans après, nous sommes saisis par la redoutable actualité de cette lettre qui est judicieusement annotée par Jean-Marie Montali. Nous savons qu’elle est, hélas, restée sans écho, et que le peuple afghan a connu le conflit le plus long de l’histoire de l’humanité. Le « Lion du Panshir » a dû ressentir la même solitude que l’émir Abdelkader, qui avait prononcé cette parole : « Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, j’aurais fait cesser leurs querelles ; ils seraient devenus, extérieurement et intérieurement des frères. »

Jean-Jacques BEDU
articles@marenostrum.pm

Montali, Jean-Marie & Massoud, Ahmad Shah, « Placards & libelles Volume 4, L’appel à la France », Le Cerf, « Placards & libelles, 18/11/2021, 1 feuille, 2,50€

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