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L’Astronome et les spectres : une quête mystérieuse

Roland Portiche, Les enquêtes de Camille Flammarion Volume 1, L’astronome et les spectres, Flammarion, 10/04/2024, 1 vol. (381 p.), 21€

Depuis des temps immémoriaux, druides, chamans ou griots ont affirmé pouvoir entrer en communication avec l’au-delà, mais le spiritisme tel qu’on le pratique encore aujourd’hui est une invention relativement récente. C’est à deux sœurs américaines, Margaretta et Kate Fox que l’on attribue les premières communications avec des esprits. En 1848, dans l’État de New York, ces dernières firent sensation en affirmant recevoir des messages de défunts, accompagnés de coups frappés sur les tables qui faisaient frissonner d’excitation les membres de la bonne société. En quelques années, les deux sœurs devinrent de véritables stars et l’on se bousculait pour assister à leurs séances de spiritisme. Après les États-Unis, cette épidémie de tables tournantes déferla sur l’Europe. En France, dans les salons du Second Empire, le spiritisme était de toutes les conversations et chacun voulait s’essayer à ces nouvelles expériences paranormales. Même Victor Hugo, dans son exil, ne fut pas épargné par le phénomène et sous l’influence de son amie Delphine de Girardin se mit à faire tourner les guéridons sur l’île de Jersey. C’est à cette époque aussi qu’un instituteur lyonnais du nom d’Hippolyte Rivail rejoignit un groupe spirite que fréquentait déjà le dramaturge Victorien Sardou. Sous le pseudonyme d’Allan Kardec, Rivail publia en 1857, Le Livre des Esprits qui allait devenir une référence incontournable dans le domaine du spiritisme et de la médiumnité. Kardec, qui s’était fixé pour objectif d’apporter la preuve scientifique de la vie après la mort, rallia autour de lui de nombreux disciples, dont l’astronome Camille Flammarion. C’est ce dernier que le réalisateur et prolifique producteur de télévision Roland Portiche a choisi comme héros de sa nouvelle série de romans.

Un habile mélange entre histoire et fiction

Frère de l’éditeur Ernest Flammarion, Camille, né en 1842, est une figure scientifique de premier plan de la seconde moitié du XIXe siècle. Ses ouvrages de vulgarisation lui ont valu une grande célébrité de son vivant et de nombreux admirateurs et admiratrices. C’est notamment le cas d’une certaine Gabrielle Renaudot, dix-neuf ans, qui devient son assistante à l’observatoire de Juvisy-sur-Orge ainsi que sa maîtresse au début du roman. Au prix de quelques distorsions avec la chronologie historique, l’auteur fait de Gabrielle un personnage de premier plan de son intrigue. La jeune femme le seconde dans ses travaux astronomiques mais également dans ses recherches spirites. En 1891, alors que l’antisémitisme gagne du terrain en France, porté par des pamphlétaires tels qu’Édouard Drumont et annonçant l’affaire Dreyfus, Camille Flammarion rend visite à Jules Verne dans sa maison d’Amiens. Le romancier, en présence de son frère Paul, lui présente un jeune archéologue répondant au nom de Nathan Watkins. Ce dernier affirme avoir retrouvé la trace d’une civilisation très avancée qui vivait il y a 7 500 ans dans une vallée située au nord de la Turquie.

À la recherche d’une civilisation disparue

Les habitants de cette région, qu’il a baptisé Pontiques, se seraient retrouvés éloignés de leur terre d’origine à la faveur du Déluge biblique et ils auraient ensuite sillonné le globe jusqu’à l’Amérique du Sud. Watkins est persuadé que les Pontiques existent toujours, vivant cachés dans des galeries souterraines de la Guyane française… Mais là où ses hypothèses rejoignent les recherches de Flammarion, c’est que l’archéologue est convaincu que les Pontiques auraient quelque chose à voir avec les phénomènes spirites observés en Europe. À l’occasion d’une séance de la médium italienne, Eusapia Palladino (qui a réellement existé), une tempête surnaturelle secoue la salle de la coupole de l’observatoire et Gabrielle tombe brusquement dans une muette torpeur. « Ils l’ont enlevée » déclare la médium. Si le corps de la jeune femme est indemne, son esprit semble bel et bien avoir été ravi. Et si ce dernier se trouvait en Guyane, retenu par les mystérieux Pontiques ? Pour tenter de délivrer son assistante, Flammarion va alors entreprendre en compagnie des frères Verne et de Nathan Watkins un trépidant voyage en Amérique du Sud en quête du « pays des esprits ».

Ce premier opus des aventures de Camille Flammarion ravira à n’en pas douter les amateurs d’intrigues ésotériques qui, aux événements et personnages réels, mêlent habilement civilisations disparues, conspirations millénaires sans oublier une bonne dose de surnaturel. Mais au-delà de la trame fictionnelle, Roland Portiche, en bon connaisseur de la période, dresse une peinture historiquement crédible de la France sous la Troisième République. Servi par une plume fluide et didactique et porté par de très nombreux dialogues, L’astronome et les spectres, offrira au lecteur un divertissement de qualité.

jeanphilippeguirado@gmail.com

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