On connaissait Alexandre Adler comme l’éminent expert en géopolitique et le commentateur avisé des divers conflits internationaux, on savait moins son côté visionnaire qui le fait appréhender l’ordre mondial sous un nouveau jour. Allusion directe au désordre d’appréhension planétaire depuis que la pandémie du Covid a bouleversé toutes les données.
Une crise inédite et aux conséquences multiformes que l’ancien élève de l’ENA, agrégé d’histoire, avait pourtant anticipé il y a plus d’une décennie auparavant. Fouillant les documents d’un rapport de la CIA, Alexandre Adler avait, dans son livre, “Comment sera le monde en 2025” publié chez Robert Laffont, parfaitement émis l’hypothèse d’une pandémie avec les détails annonciateurs de la présente déflagration sanitaire.
Un regard prophétique sur l’actualité qui confère une pleine acuité à sa réflexion sur le basculement du monde, objet de la 5e livraison de “Placards et Libelles”.
“Ce type de mutation aussi déstabilisant soit-il, n’est en soi pas nouveau “, selon l’analyste. Quatre siècles avant notre ère, Thucydide méditant sur la guerre du Péloponnèse, attribuait la paix qui s’ensuivit à deux aléas : le virus qui ravagea Athènes et la lance qui frappa Brasidas à Athènes, privant au même moment Sparte de son chef militaire.
“C’est à une semblable redistribution des cartes que nous assistons”, considère l’auteur de l’ultime libelle de l’année 2021 dès ses premiers chapitres. Outre la pandémie sévissant dans le monde, l’atteinte neurologique, genre de variante de Parkinson, dont souffrirait Vladimir Poutine, constituerait, à deux millénaires d’intervalle, un étonnant parallèle. Certes, l’information émanant de la Krugovaia Poruka (la direction collective) du gouvernement russe “ne procède encore que de la rumeur”, souligne Alexandre Adler, “mais n’en demeure pas moins tangible au point de provoquer une profonde réorganisation au sein de l’appareil présidentiel. “
Un effacement conséquent qui aurait pour effet de transformer l’actuelle Realpolitik du Maître du Kremlin, tel que s’y emploient en secret trois hommes-clés. Car l’auteur de la publication ne se contente pas d’annoncer les successeurs de Poutine, il en donne les noms et le détail de leurs registres d’intervention.
Ainsi sont évoqués Sergueï Narychine, chef du service des renseignements extérieurs (SVR) ; l’actuel ministre de la défense, Sergueï Choïgou ; et Sergueï Lavrov, ministre en poste de la culture, qui ont tous trois en commun de vouloir restaurer l’aura internationale, et de prôner une réunification apaisée des deux Europe, de l’Atlantique à l’Oural.
Un apport essentiel dans la corbeille d’un mariage avec le Vieux Continent, ayant pour lui l’histoire et la culture qui ne va pas, bien sûr, sans contrepartie. Redevenue pragmatique, la Russie s’efforcerait de rayonner au sein de son étranger proche en y instillant davantage un esprit d’émancipation plutôt que de vouloir régenter par la force.
Après avoir consacré une bonne moitié de cette étude à la Russie, le géo-politologue va s’attarder tout aussi longuement sur l’Empire du Milieu. L’État chinois, en l’occurrence, et plus précisément sur son chef Xi Jinping dont le mandat illimité de président à vie, l’affranchissant des contraintes du système, fait de lui le nouveau “Maître de l’univers”. Un colosse qui n’est pas pour autant assuré de sa légitimité comme on aurait tendance à le penser, précise-t-il. “Car dans les faits, l’État chinois s’avère moins totalitaire que le régime qu’il prétend instituer sous le drapeau du parti unique”, commente notre analyste. “Sa préoccupation première étant de se prémunir, à juste titre, contre le spectre de la guerre civile que faillit réveiller, en 1989, le massacre des étudiants de la place Tian’anmen”, poursuit-il.
Des signaux avant-coureurs d’insoumission dont les effets se font d’ailleurs sentir avec acuité à Hong Kong comme à Taïwan. Quand on y rajoute les difficultés – pour parler par euphémisme – qui opposent Pékin à l’éternel rival Japonais, et celles à l’intérieur de ses propres frontières, dans le Tibet des lamas et le Xinjiang des Ouighours notamment, on perçoit que la marge de manœuvre de Xi Jinping à susciter un sentiment d’unité nationale demeure malaisée. “Seule une Chine réconciliée avec l’État de droit, le pluralisme et le respect des droits fondamentaux pourrait atteindre cet objectif”, commente-t-il.
Après avoir brossé les tensions non moins problématiques agitant l’autre partie du continent, les États-Unis notamment, ainsi que le Canada et le nord de l’Amérique latine, Alexandre Adler clôt son tour d’horizon du basculement des empires par une opportune conclusion.
Le monde consécutif aux attentats du 11 septembre 2001 à New York s’est clos avec le signalement du premier mort du coronavirus le 11 janvier 2020 à Wuhan. Nulle grande puissance n’a échappé à la redécouverte de notre essentielle fragilité, et la Russie, la Chine, l’Amérique non moins que les autres. C’est en se concentrant sur leurs alentours proches que, renonçant aux mirages de l’hégémonie universelle, elles trouveront la clef du rééquilibrage qui leur permettra de maintenir leur identité et leur essor propres au sein d’une planète partagée.
Un augure qui fait de cette étude sur le nouvel ordre international d’après la pandémie, une réflexion de référence…
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Adler, Alexandre, “Placards & libelles Volume 5, Le basculement des empires ou le monde comme il ne va plus : le nouvel ordre international après la pandémie planétaire”, Le Cerf, “Placards & libelles, n° 5”, 09/12/2021, 1 feuille, 2,50€
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