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Considéré à tort comme un phénomène récent, Paul Berman retrace l’histoire ancienne de la Cancel culture dans le dernier numéro de Placard & Libelles : “Le grand lynchage”

L’écrivain et journaliste américain est cosignataire de la lettre ouverte sur “La justice et la liberté d’expression” publiée en juillet 2020 dans le Harper’s Magazine. Ce texte marque une réaction d’intellectuels face à la Cancel culture définie comme “l’intolérance face aux opinions qui lui sont opposées, la dénonciation publique et la mise au ban de ses contradicteurs, la propension à dissoudre la complexité des enjeux politiques dans la cécité des certitudes morales”.

Si l’avènement des réseaux sociaux a permis un développement exponentiel de cette pratique de terreur intellectuelle aux États-Unis d’abord, puis dans tout le monde occidental, Paul Berman rappelle que son origine est à chercher chez les membres du parti communiste américain qui “s’appliquent à empêcher toute critique de l’Union soviétique” par la censure et le boycott dans les années trente, puis de la Nouvelle gauche des années soixante et soixante-dix avec “ces jeunes néo-gauchistes agacés et agaçants, minoritaires mais bassinés par les hystéries révolutionnaires de l’heure”, pour enfin aboutir à l’actuelle gauche Woke c’est-à-dire celle des “éveillés” se réclamant des théories déconstructivistes qui pensent rendre justice en pratiquant la dénonciation et l’humiliation publique de tout individu ne se conformant pas à leur vision de la défense des minorités.

Tout au long de cette histoire, l’effacement par la Cancel culture qu’il soit du fait des communistes, de la Nouvelle gauche ou des Woke, a comme préalable idéologique le fait que : “il est une unique justice et, finalement, une unique injustice, monolithique, terrible, que le gauchisme a pour mission d’identifier afin de parachever sa raison d’être”. Cette “omni-oppression” prétexte au bannissement arbitraire et brutal des idées et des individus, prend diverses formes suivant les époques : du Capitalisme à l’Impérialisme jusqu’à de nos jours l’Universalisme.

En expliquant l’origine communiste et de défense de “l’honneur” de l’URSS, Paul Berman fait un lien entre le nouveau puritanisme des “éveillés” avec des pratiques du Stalinisme. Face à cette folie qui se reproduit de génération en génération, l’auteur signale qu’une résistance au sein même de la gauche a toujours existé : celle du courant Libéral.

Cependant, si Paul Berman reconnaît cette résistance libérale, il admet timidement qu’elle voit le jour “non sans quelques fois un temps de retard”. C’est un euphémisme, car il y a toujours l’ambiguïté de la gauche libérale fascinée par les causes soulevées avec certains combats menés par les éléments les plus radicaux de son bord. Ce reste de la gauche craint surtout en apportant une simple nuance aux éveillés Woke, héritiers du Stalinisme, d’être traités – ce qu’il y a de pire pour eux – “d’être de droite”…

C’est ainsi que le courant de la gauche libérale que Paul Berman défend avec un certain talent dans son texte, a le défaut intrinsèque de toujours vouloir se justifier face à son extrême gauche. Ce qui explique qu’elle s’est souvent tue face aux appels au boycott, au bannissement et à l’effacement des professeurs, des auteurs, des artistes considérés comme n’étant pas de gauche, donc forcément coupables. Aussi, de peur de paraître “fasciste”, malgré sa nuance que loue Paul Berman, la gauche libérale a malheureusement un certain retard à l’allumage pour s’opposer à l’intolérable censure de la Cancel culture qui finit quand même par s’en prendre à elle… “La Révolution est comme Saturne : elle dévore ses propres enfants” (Pierre Victurnien Vergniaud avant d’être décapité en 1793).

Olivier AMIEL
articles@marenostrum.pm

Berman, Paul, “Placards & libelles Volume 7, Le grand lynchage : aux sources de la cancel culture et du woke”, Le Cerf, 24/02/2022, 1 vol. 2,50€

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