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Laurent Nespoulous & Pierre-François Souyri, Le Japon : des chasseurs-cueilleurs à Heian : -36.000 à l’an mille, Belin, 27/09/2023, 1 vol. (538 p.), 49€.

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Le Japon : ses magnifiques châteaux, ses sabres finement ouvragés, ses dojos dans lesquels s’affrontent les maîtres d’arts martiaux, ses guerriers samouraïs revêtus d’armures rutilantes. Ce que le pays du Soleil Levant nous renvoie, ce sont ses symboles. Mais pour que la perfection de cette civilisation atteigne son paroxysme, un long chemin a été tracé.
Dans cet ouvrage donc, point de combats titanesques entre adeptes du bushi, qui se massacrent sans beaucoup de finesse à coups de katanas, pas de ninjas tout de noir vêtus lançant avec adresse leurs shuriken pas plus que de jeunes cosplay exhibant leurs tenues bigarrées au plaisir des photographes. Laurent Nespoulous et Pierre François Souyri nous présentent le Japon d’avant.
Disons-le tout de suite : ce livre est une réussite, tant au niveau de la présentation, des sujets abordés, de l’iconographie que de la richesse des informations collectées et exposées. Il doit devenir une référence.

Le Japon d’avant

Il était une fois un archipel composé de milliers d’îles ravagées par la colère des Dieux : tremblements de terre implacables suivis d’éruptions volcaniques aussi brutales que dévastatrices, tsunamis emportant tout sur leur passage. Bref : l’enfer !
Heureusement, aucun être humain n’y vit, contrairement aux régions non insulaires de l’Extrême-Orient. Une période glaciaire fait lentement son apparition, qui culminera 36 000 ans avant notre ère. Timidement, de la péninsule coréenne et de Sibérie, des peuplades primitives abordent l’archipel, y trouvent de quoi survivre et s’y installent. Au cycle glaciaire succède l’holocène, la fonte des glaces isole peu à peu les insulaires, qui font souche.

Du Jommon au Yayoï

Rapidement, les locataires des îles font preuve d’une rare ingéniosité pour faire face au caractère extrême des conditions climatiques et créent des petites communautés vivant de chasse et de cueillette. Les habitations pointent leur nez, tout d’abord sommaires puis de plus en plus élaborées. De la survie, on passe à la vie, tout court. De la pénible transhumance, on forge l’expérience de la vie sédentaire. La fixation sur un sol permet d’avoir le temps de s’adonner à la fabrication d’objets usuels. Ainsi naît la poterie. C’est le début de la période Jommon.
Vases et autres contenants délicatement ouvragés, instruments aratoires confectionnés avec soin, outils d’une étonnante modernité voisinent avec les premières parures de coquillages particulièrement travaillées. Apparaissent bientôt toutes sortes d’armes destinées dans un premier temps à l’art de la chasse pour se perfectionner dans la défense et l’attaque car si la sédentarisation permet aux anciens Japonais de s’élever, le bien d’autrui attise déjà la convoitise.
Si la vie déroule son ruban chez ces premiers habitants de l’archipel nippon, la mort acquiert toute son importance au fur et à mesure de la modernisation de la tribu. Les témoins de cette époque sont encore visibles aujourd’hui. De gigantesques tertres funéraires abritent des personnalités caparaçonnées de bijoux et d’armures. La période Yayoï éclôt.
De hameaux dispersés, les groupements se transforment en villages dûment fortifiés. Faute de ressources minérales suffisantes, les habitations, les greniers et les palissades sont en bois savamment agencé. À l’abri de ces protections, les artisans créent, inventent et perfectionnent outils, armes et vêtements. Les expéditions guerrières ramènent des produits manufacturés d’autres contrées et les conflits font naître des chefs dont les sépultures sont des modèles de magnificence. Les routes commerciales, encore balbutiantes, facilitent les contacts entre les communautés.

Du Wa au Yamato

Les Nippons, de plus en plus structurés et autonomes, prennent conscience du concept de nation. Hiérarchisés en cercle concentrique autour de notables incontournables, ils conçoivent ce que sera plus tard le Japon que nous connaissons. La religion prend une part indispensable dans cette société. Son singularisme venant d’une croyance superstitieuse veut que tout soit déité. Le shintoïsme évolue étroitement et en harmonie avec l’évolution du monde du Soleil Levant. Sanctuaires somptueux côtoient désormais les palais où siègent les seigneurs du monde du Wa.
Pour que perdure cette création originale, il faut chercher le fils – ou la fille – du Soleil. Le Tenno est né. L’Empereur, fils d’Amaterasu, la déesse des déesses, commandera maintenant, du moins en apparence, sur ses sujets. Le Japon est-il né à ce moment ? C’est compter sur les envahissants voisins.

Sinisation et bouddhisme

L’Empire du Milieu, au faîte de sa gloire, règne sur une Chine en avance sur son temps. Depuis longtemps, elle louche sur cet archipel au large de ses côtes où, paraît-il, rayonne un empire qu’on nomme Yamato. Fins négociants, les Chinois abordent les côtes nippones avec des navires remplis à ras bord de produits inconnus. Les Japonais, dont les ressources sont limitées sur leur territoire, s’engagent à fond dans les transactions commerciales, se fournissant en matières premières, en produits alimentaires et autres soieries. Les continentaux apportent dans leurs bagages une autre religion : le bouddhisme.
Dès lors, la société se trouve complètement bouleversée par les croyances de ce voisin. L’élite de la nation, cour impériale en tête, s’entiche pour tout ce qui est chinois. Ces contacts transforment à jamais le Soleil Levant. L’écriture, les coutumes, les parures de cour, tout doit être sinisé. Malheur à celui qui reste fidèle au shintoïsme, qui porte un katana à sa ceinture ou qui vit dans sa demeure en bois typiquement nippone. Il est ostracisé, traité de cul-terreux et relégué aux tâches guerrières. Il saura prendre sa revanche plus tard.
À l’empereur, il faut une ville. Ce sera Nara. Il faut des temples accueillant les innombrables sectes bouddhiques. Enfin, il faut des palais merveilleux où éphèbes et précieux s’adonnent à la poésie et la peinture.

Heian-Kyo

Nara, ville des empereurs et de la cour, grandit de manière archaïque mais toujours magnifique. Les sectes shingon, shonnin, zen et autres rinzaï rivalisent d’ingéniosité et de fourberie pour construire, aux frais de la cour, des temples dédiés plus somptueux les uns que les autres. Le Tenno s’entoure d’artistes imposés par les bonzes qui se disputent ses faveurs. Bientôt, la rivalité se transforme en haine. La ville, qui se voulait centre du monde, est le théâtre d’âpres combats entre moines combattants des différentes tendances d’une religion qui se voulait pacifique.
Il est temps, au bout de soixante-quinze ans, de séparer enfin la noblesse de la religion. Les experts trouvent un site protégé des intempéries, béni des Déités originelles retrouvées. Il est temps de faire sortir de terre la capitale des fils d’Amaterasu. Elle prendra le nom de Heian. Mille ans ne suffiront pas pour la faire disparaître. Elle se nomme aujourd’hui Kyoto qui signifie en japonais “Vraie capitale”.

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Une lecture fascinante

À l’aide d’illustrations originales, grâce à des cartes explicites et à des tableaux d’un vif intérêt, les auteurs ont su rendre leur production accessible à tous, ceux dont le Japon est devenu une passion et ceux qui rêvent d’en savoir plus sur ce mystérieux pays. La suite de l’histoire verra plus de cinq cents ans de guerres civiles, aux mains de ceux qui avaient jadis été rejetés : les samouraïs.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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