« Tout d’abord, je tiens à témoigner qu’il n’y a pas de divinité à part Allah et que Mohamed est son messager. » Alors que le président lui demandait de décliner son identité, voici les premiers mots que Salah Abdeslam a prononcé dès le début de son procès devant la cour d’assises spéciale de Paris. Cette phrase est lourde de sens, car elle est la profession de foi (Chahada), qui marque l’entrée du croyant dans la religion musulmane. C’est le principe le plus important de l’Islam, au sein duquel le fidèle exprime – devant deux témoins – sa foi en l’unicité de Dieu, et la véridicité prophétique de son ultime envoyé : Muhammad.
Si la Chahada, premier des cinq piliers de l’islam, n’est pas ad litteram inscrite dans le Coran, elle nécessite de s’y référer afin d’en connaître le sens profond. Mais de quel Coran parlons-nous, lorsque nous sommes face à des fanatiques qui commettent, depuis des siècles, des actes innommables au nom d’Allah, et en premier lieu contre les musulmans eux-mêmes ? De quel évangile se réclame le légat pontifical Arnaud Armaury à qui, le 22 juillet 1209 devant les murailles de Béziers – ville prétendument hérétique – l’on prête cette phrase : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » ? Le protestant Oliver Cromwell s’est-il inspiré des 95 thèses de Luther pour massacrer des milliers de catholiques en Irlande, répondant ainsi à la sinistre Saint-Barthélemy, sommet de la barbarie ?
Depuis des temps immémoriaux, derrière toutes les religions, il y a le même Dieu unique et qui porte un autre nom selon les civilisations dont il est adoré. Il est abominable de se haïr à cause de cultes différents car – à une certaine hauteur – les prières confondues ne font plus qu’un souffle unique pour se perdre dans l’inconnaissable.
C’est tout le sens du manifeste publié par Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris. En humaniste, il lève le voile sur l’ignorance qui anime les zélateurs de la haine – extrêmement minoritaires au sein de la communauté musulmane – et surtout rassure ceux qui demeurent persuadés que l’islam est le paroxysme de la férocité humaine. Cette méconnaissance devient un terreau fertile pour des politiciens ou des polémistes en campagne, aveuglés par l’illusion de leur certitude, et qui distillent la peur au sein de notre société traumatisée. Comme l’a dit le philosophe musulman Ibn Rushd (1126-1198), connu en Occident sous le nom d’Averroès : « l’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence ».
On ne reçoit pas un enseignement comme la fulgurance d’une pluie imprévue. L’islam n’échappe pas à la règle. Les détenteurs de la connaissance – et donc de la transmission – sont les imams dont le rôle est primordial. Au sein du « grand public », ils sont considérés comme les principaux vecteurs de cette haine qui gangrène la République, laquelle – rappelons-le – n’est pas défavorable à l’islam. Depuis des décennies, nos dirigeants ont compris que cette religion, à l’instar des autres, était bien compatible avec les démocraties laïques. En rappelant une Sourate du Coran : « Point de contrainte en religion », Chems-Eddine Hafiz écrit :
Dans un pays musulman, l’imam conduit la prière et s’adresse à un auditoire musulman. En France, la pratique de l’imam évolue vers de nouvelles dimensions, car il s’agit d’expliquer aussi à la société d’accueil la foi musulmane et ses grands principes. Le religieux musulman doit expliquer la notion de miséricorde et doit le faire avec pédagogie en gardant à l’esprit une double contrainte : la méfiance et l’hostilité que sa présence peut susciter par méconnaissance et préjugés. Parfois, l’animosité s’exprime dans sa propre mosquée de la part d’individus qui viennent jeter le discrédit sur sa légitimité. Pourtant, ces hommes courageux poursuivent leur mission et découvrent avec un grand bonheur les similitudes entre les valeurs de l’islam et celles de la république.
Dans ce court manifeste, mais qui ouvre des perspectives infinies, le recteur de la Grande Mosquée de Paris dénonce la lecture erronée des textes sacrés par les islamistes, tant il paraît évident que certains n’ont même pas lu le Coran ! Il n’hésite pas à pointer du doigt les imams autoproclamés – et ils sont très nombreux dans les territoires oubliés de la République – qui sèment volontairement la discorde au sein de notre société, en instrumentalisant les textes religieux. Et il ne craint pas de faire montre d’autocritique :
Même si nous sommes une écrasante majorité de musulmans à désavouer la haine et la violence, alors que nous sommes nombreux à refuser l’extrémisme, nous ne sommes pas suffisamment audibles pour une partie de l’opinion publique internationale, probablement parce que nous n’avons pas su mener à bien, sur le terrain et au quotidien, des actions concrètes pour nous démarquer de l’islamisme.
Dès lors, Chems-Eddine Hafiz n’élude aucun sujet : la formation des imams dans un cadre théologique et digital ; les conséquences du 11 septembre 2001 ; le principe du djihad ; le séparatisme islamique ; le discours victimaire de certains musulmans ; pas de conciliation avec l’islam politique ; le danger de parler aux Talibans ; Mila, qu’il a reçu à la Grande Mosquée de Paris, et un chapitre essentiel : « La femme est l’avenir de l’islam ».
On ne pourra plus reprocher aux dirigeants musulmans d’être taisants face à la violence perpétrée par des décervelés qui se prennent pour de lointains sectateurs d’Hassan Sabbah. Ce courageux manifeste en est la preuve. Ce n’est pas un hasard si Chems-Eddine Hafiz, homme de conviction, a écrit sur la couverture, au sein d’un bandeau rouge, l’injonction : « Écoutez-moi ! » Comme la majorité silencieuse des musulmans qu’il représente, il est l’incarnation d’un « islam apaisé, serein et fraternel ». Cet ouvrage devrait être étudié dans chaque école, lycée ou université. Il devrait être en main de tous les hommes politiques, et surtout des futurs candidats à l’élection présidentielle, ou de leurs conseillers.
Le procès des attentats du 13 novembre va être un sujet majeur et concomitant aux prochaines élections présidentielles. Les propos de Salah Abdeslam, seul membre encore en vie du commando terroriste, sont relayés presque en direct par les 141 médias accrédités. Comme l’a souligné Yann Bouchez dans « Le Monde« , à l’heure où les réseaux sociaux font l’opinion, il appartiendra aux journalistes de bien contextualiser leurs propos, et surtout de s’interroger sur la place à accorder à la parole de l’accusé ; à la parole d’un criminel… Il y a le danger de l’amalgame ; ce procès est celui de l’islamisme et nom de l’islam. Il nous paraît évident que cette réplique du procès Eichmann, dont le verdict interviendra 50 ans après celui du criminel de guerre nazi, va – une fois de plus – donner raison à Hannah Arendt…
Dans son précieux manifeste, Chems-Eddine Hafiz a cité l’émir Abdelkader. En guise de conclusion, il nous paraît important de rappeler dans quelle circonstance il avait clamé : « Les chrétiens, vous ne les aurez pas, car ils sont mes hôtes. » En juillet 1860, des musulmans fanatiques et des Druzes attaquent le quartier chrétien de Damas, en faisant près de trois mille morts en moins d’une semaine. Sans l’intervention de l’émir Abdelkader, le génocide aurait pu être encore plus sanglant. Avec une poignée de fidèles, sans arme, il s’est mis en travers de la route d’une foule en furie, et a ouvert toutes ses maisons aux réfugiés chrétiens qui fuyaient le carnage à venir. Il va même payer des mercenaires pour qu’on lui ramène les chrétiens qui n’ont pu s’enfuir. C’est près de quinze mille âmes que l’émir – dans un acte héroïque – va sauver d’une mort certaine, et les plus jeunes femmes d’un châtiment bien pire que la mort. Il s’adresse alors à ses frères musulmans :
Oh ! Mes frères, votre conduite est impie. Sommes-nous dans un jour de poudre, pour que vous ayez le droit de tuer des hommes ? À quel degré d’abaissement êtes-vous descendus, puisque je vois des musulmans se couvrir du sang de femmes et d’enfants. Dieu n’a-t-il pas dit : celui qui aura tué un homme sans que celui-ci ait commis un meurtre ou des désordres dans le pays sera regardé comme meurtrier du genre humain tout entier ?
Jean-Jacques BEDU
articles@marenostrum.pm
Hafiz, Chems-Eddine, « Le manifeste contre le terrorisme islamiste : 20 ans après le 11 septembre des imams s’expriment : écoutez-moi ! », Éditions Erick Bonnier, « Encre d’Orient », 16/09/2021, 1 vol. (80 p.), 9€.
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Chems-eddine Hafiz, avocat au barreau de Paris, est recteur de la Grande Mosquée de Paris depuis janvier 2020. Dès son arrivée à la tête de cette prestigieuse institution, plusieurs décisions majeures ont montré son ancrage dans la République et son adhésion à ses principes. Il encourage les musulmans à se libérer du diktat islamiste en portant une parole à la fois forte et courageuse. C’est autour de lui que les imams de la Grande Mosquée de Paris se prononceront avec force et sans ambiguïté contre toute violence perpétrée au nom de l’islam.
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