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Fidèle à son projet initial d’ajouter ses affiches au mur du débat public, la collection “Placards & Libelles” a confié au directeur de la rédaction de “Franc-Tireur” la tâche de remonter aux origines communes du théâtre et de la démocratie.

Chroniqueur politique dans la presse et sur les plateaux de télévision, on l’identifie moins à son manteau (de Thespis ou non) qu’à son écharpe rouge qu’il arbore comme d’autres leurs costumes de scène. Depuis son “Dictionnaire amoureux du théâtre” et ses propres représentations sur les planches, on connaît le goût de Christophe Barbier pour le théâtre. Le premier acte de “Cyrano de Bergerac” constitue tout autant une défense qu’une mise en abyme de cet art. “Au manteau de Thespis, je ne fais pas de trou” déclamait Cyrano avant d’ouvrir sa bourse à la troupe ; le journaliste taille ses plumes, relève le gant : défendre le théâtre, c’est défendre la démocratie. “L’histoire montre que le théâtre est l’obstétricien de la démocratie” conclut-il, mais il faut remonter avec lui au temps de l’antique Athènes où ces deux “jumeaux batailleurs et complices, alliés et opposés, en tout cas inséparables” sont nés il y a plus de 2 500 ans.

Le parallèle n’est certes pas nouveau, mais le plaidoyer n’en est pas moins sincère. De la vivacité de la démocratie dépend l’impertinence du théâtre. De cette longue histoire qui va de Sophocle à Beckett, de Shakespeare à Molière, la gémellité se rejoue inlassablement, renouant entre les hommes politiques et le peuple un dialogue jamais interrompu, mais parfois plus difficile. Or, dans l’entrave même à l’expression libre, comédiens et dramaturges trouvent des ressources inédites pour qui sait les voir. Le père de Dom Juan avertissait déjà son fils : “La naissance n’est rien où la vertu n’est pas !”. Éloge sans lustre ou critique voilée de l’aristocratie ? Fin connaisseur du répertoire théâtral français, Christophe Barbier rapproche sans mal “la puissante formule de Figaro au dernier acte de son mariage” : “Qu’avez-vous fait pour tant de bien ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus.”

Qu’il permette au peuple de s’exprimer ou qu’il soit le reflet d’un air du temps, “le théâtre est dangereux, il peut contaminer la société avec ses idées nouvelles”. On pourrait reprocher à l’éditorialiste son désir, un peu naïf, l’éducation au théâtre qu’il suggère, afin de former un “électeur-spectateur”, “peu importe, au fond, que cela passe par d’autres canaux, cinématographiques, télévisuels ou numériques”. Spectateur hypnotisé par son poste de télévision ou par les multiples et vaines polémiques quotidiennes relayées par des anonymes sur Twitter, l’électeur est déjà devenu spectateur, mais un électeur passif, miroir des « nouvelles tyrannies, celles du “woke”, de la “cancel culture”, de “l’indigénisme”. “Il s’agit pour elles, non seulement d’abolir ce que nous sommes, mais aussi de détruire ce que nous avons été”. L’éducation seule permettra de libérer l’électeur de l’indignation permanente et particulière qui reproduit les mêmes discriminations qu’il dénonce. Devenir actif dans l’intérêt de la communauté, une et indivisible, de la République française. Tel est le modèle de notre démocratie depuis la Révolution française.

Les élections qui se profilent pourraient être cet instant de communion cathartique où le peuple comme un seul homme confie les rênes du pouvoir à des élus pour les quelques années à venir. Hélas, l’abstention, hélas la division, hélas l’impossible union, hélas la contestation d’un personnel politique désormais mal élu. Les arts, les artistes ont des choses à nous dire ; le théâtre en particulier, principe “du verbe performatif, […] bâtit le pont des phrases pour aller de la rive de l’imaginaire à celle du réel, par-dessus le fleuve du temps présent”. Si semblent pieux les vœux de Christophe Barbier pour la démocratie en général, et la République française en particulier, on ne peut pourtant qu’y souscrire. Et, pourquoi pas ? Du programme théâtral qu’il propose pour nos écoles, d’une génération nouvelle éduquée en “gourmets avides de spectacles” pourrait bien “éclore la cité nouvelle” dont il rêve.

Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm

Barbier, Christophe, “Placards & libelles Volume 6, Le manteau de Thespis : théâtre et démocratie”, Le Cerf, “Placards & libelles, n° 6”, 03/02/2022, 1 feuille, 2,50€

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