Mariangela Perilli, Le prof de philo fait son cinéma. Sexe, livres et robe de chambre, Lettmotif, 20/02/2025, 220 pages, 25,90€
L’enseignant, avec son pendant l’élève, est un sujet souvent présent dans le cinéma français. On pense au petit instituteur de Topaze de Pagnol et au professeur agrégé d’histoire dans Le plus beau métier du monde de Lauzier. Il fallait, plaçant la barre bien haute, être soi-même prof de philo ou simplement fou pour s’intéresser au prof de philo. De fait, Mariangela Perilli, l’auteure, est agrégée d’italien, a étudié l’histoire médiévale et l’histoire de l’art. Paradoxalement, si le prof de philo est rare au lycée, face aux groupes de profs de français, de maths, d’histoire et d’anglais, le prof de philo est surreprésenté au cinéma. L’auteure s’appuie sur un corpus d’une vingtaine de films (précisément quatorze films et deux séries), d’Amant d’un jour de Garrel à Les voleurs de Téchiné. Le prof de philo est le seul enseignant, d’une part, apprécié de sa hiérarchie et des parents par sa matière prestigieuse, d’autre part, craint des élèves pour ses notes souvent folles et souveraines qui, à fort coefficient, peuvent plomber la moyenne et le moral. Le sous-titre Sexe, livres et robe de chambre donne une première et rapide impression. Le prof de philo qui fait son cinéma aime le sexe et joue à séduire les esprits et les corps. Ses armes sont les livres, les mots et les idées, et il est en robe de chambre des Lumières, dans la continuité des philosophes antiques en toge blanche et barbe noire, pour mieux éblouir. Mais à qu(o)i ressemble aujourd’hui le prof de philo dans l’imaginaire français ? Comment est-il représenté dans les œuvres de fiction ? Philosophie étant, l’auteure part d’un mythe, non pas de la caverne symbolisant d’ailleurs le cinéma, mais du professeur de philosophie avec Bourdieu et Barthes.
De Socrate à Descartes : portraits intemporels du philosophe
La première partie, non cinématographique, dessine les contours du concept du philosophe qui tire sa représentation de l’Antiquité, notamment, dans la peinture : Socrate et ses costumes, sandales et rouleaux chez David, Platon et son doigt levé chez Raphael, Diogène et sa jarre, sa lanterne, ses rouleaux et ses pieds nus chez Waterhouse. Ces philosophes sont sobres, portent la barbe, car forts et virils, et isolés du monde. Quant au philosophe français moderne, Descartes incarne, comme la tour Eiffel, la France. Si la barbe disparaît, le costume perdure : robe de chambre, cabinet ou lieu et table de travail, livres et encre, pour Diderot selon Van Loo, la robe de chambre luxueuse symbolisant le labeur solitaire de celui qui pense et écrit.
Le prof de philo au cinéma : charme et haute tension
La seconde partie s’attache au prof de philo dans le cinéma français. Ma nuit chez Maud de Rohmer est la première occurrence philosophique, de surcroît poétique, qui dévoile les mésaventures amoureuses d’un prof de philo marxiste. Le prof de philo est un HPD (Haut potentiel dramatique) qui, dans Le disciple, roman de Paul Bourget (1889), pousse au suicide Charlotte de Jussat, et dans Les déracinés, roman de Maurice Barrès (1897), motive ses élèves dans leur carrière. La beauté du philosophe est superflue, et exceptés Loïc Corbery dans Pas son genre, Mathieu Almaric dans Comment je me suis disputé … (Ma vie sexuelle) et Richard Berry dans Pour Sacha, les acteurs qui incarnent les profs de philo ne sont pas d’une beauté canonique, héritage de la laideur de Socrate, mais dotés naturellement de super pouvoirs de la maîtrise du langage. La philosophie agit et séduit. Dans La philo selon Philippe, épisode 5, Phil demande à Sophie (car Phil-et-Sophie ?) “- Qu’est-ce que la vraie beauté ? – Ben, vous !”, alors qu’il n’est pas beau, pas viril et pas velu, qu’il est petit, gringalet et même moche, mais sublime à la fois. Dans Noce blanche de Brisseau, le prof de philo parle en classe de passion, d’éthique et d’inconscient, de Descartes, de Spinoza et de Nietzsche, sans savoir qu’il va vivre une relation amoureuse avec une élève. Dans Un beau matin de Hansen-Love, les livres omniprésents accompagnent le prof de philo, ils sont sa vie, son âme et sa personnalité. Ils sont même violence intellectuelle dans P.R.O.F.S. de Schulmann où le prof d’EPS amoureux de la prof de philo, belle à damner le cénobite endurci de Simon du désert de Buñuel, fait éclater sa colère : “La salope ! La salope ! Tout ce que j’ai accepté ! Les expos, les musées, le ciné, le théâtre … Arrabal ! Deux pièces d’Arrabal ! J’ai commencé Proust ! J’ai même fini un roman de Sollers ! Putain, 582 pages de Sollers ! J’ai fait tout ça pour elle … La salope ! La salope !”.
Entre érotisme et austérité : la philosophe sur grand écran
Justement, la prof de philo au cinéma, encore plus rare au lycée que le prof de philo (la philosophie est un bastion d’hommes qui tolèrent une femme intelligente mais ne leur faisant de l’ombre) fait du mal au mâle dans la troisième partie. Les corps sont, soit érotisés (blonde Vénus sexy de Fever de Neal), soit niés (bourgeoise rigide du Péril jeune de Klapisch, habits amples et masculins dans Conte de printemps de Rohmer…). Les livres sont pour elles une passion prenante (Jeanne dans la Critique de la raison pure de Rohmer, Nathalie dans L’avenir de Hansen-Love). Enfin, si le prof de philo traverse une crise dans La grande vie de Salinger, celui de la série La Faute à Rousseau est un extra-terrestre dans la lignée du film L’invasion des profanateurs de sépultures de Siegel. Il a l’apparence d’un prof de philo mais il n’en est pas un, il a peu de livres, il ne fait pas lire ses élèves, il n’est pas indépendant et compte sur sa mère. Ironie du Fatum, s’il apprend à ses élèves à devenir adultes, il a du mal à gérer sa propre vie.
Pour conclure, à l’heure où les tablettes, les ordinateurs et l’IA ont une place grandissante au sein de l’Éducation nationale, la place du professeur de philosophie, éducateur ou philosophe, est plus que jamais nécessaire pour construire l’élève. Le prof de philo fait son cinéma dévoile une thématique novatrice et passionnante qui décrypte le mythe d’un mentor méconnu. L’ouvrage – enrichi d’une centaine de photogrammes en noir et blanc argumentant l’analyse – s’adresse aux cinéphiles, aux passionnés et étudiants de philosophie, aux profs de philo (dans plus de 3 000 lycées en France) qui vont se reconnaître ou non. À lire avec sagesse ou avec amour.

Chroniqueur : Albert Montagne
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