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Le Rêve de l’assimilation. De la Grèce antique à nos jours – Raphaël Doan

Depuis le succès de son premier livre, « Quand Rome inventait le populisme » (Editions du Cerf, 2019), Raphaël Doan a pris l’habitude de bousculer le monde des idées, en particulier ces concepts sur lesquels l’actualité se déchaîne. Après la notion de populisme, il nous offre une étude, aux éditions Passés Composés, aussi intéressante que dense sur l’assimilation : « Le Rêve de l’assimilation. De la Grèce antique à nos jours ».

Par une étude diachronique des différentes formes qu’a pu, en pratique, prendre l’assimilation, Raphaël Doan propose un travail indispensable dont on s’étonne naïvement qu’il n’ait pas été plus tôt entrepris. Pour cela, il a choisi de considérer la société hellénistique, le monde romain, l’empire arabo-musulman, le Japon au tournant du XXe siècle, les États-Unis et bien entendu la France.
Un livre qui en appelle, dès les premières pages, à l’intelligence du lecteur (« au lecteur de se forger un avis », p. 13), ne peut qu’attirer notre bienveillance. Comprendre une notion permet indiscutablement, sinon de savoir où l’on va, au moins d’ouvrir des perspectives. Qu’entend-on par assimilation ? : « On désignera par-là […] les pratiques culturelles, politiques et juridiques issues d’une volonté de changer les mœurs d’une population pour transformer des étrangers en semblables. » (p. 15.) L’auteur s’amuse à juste titre : les politiques d’assimilation menées sous la IIIe République étaient souvent soutenues par la gauche, alors qu’aujourd’hui, à quelques notables exceptions près, elles nous semblent l’apanage de la droite, voire de l’extrême droite. C’est bien la preuve que nous avons peut-être oubliée d’où nous venons car, comme il le souligne (p. 27) : « L’assimilation ne fonctionne qu’en l’absence de racisme, et le racisme interdit l’assimilation ».

Dans l’Antiquité, les cités grecques entretenaient peu de relations avec les civilisations, dites barbares, autour d’elles. La question de l’assimilation (avant la lettre) ne s’est posée qu’après les conquêtes d’Alexandre le Grand, mais elle était réalisable pour plusieurs raisons. D’abord, une proximité culturelle entre la culture hellénique et une partie des peuples soumis : ils étaient donc assimilables, adoptant rapidement l’alphabet, la langue, les mœurs et une certaine philosophie universaliste. Il en est allé de même pour les Romains plus tard. L’étranger n’est pas moins homme qu’eux ; il peut donc être élevé à leur culture qui représente un modèle. D’ailleurs, la culture grecque a aussi été une référence pour le conquérant romain. Les difficultés d’assimilation ne se sont vraiment posées que lorsque la pression démographique aux frontières de l’empire gréco-latin a été trop forte. Avec l’extension de la citoyenneté à tout l’empire au IIIe siècle avec l’édit de Caracalla, Rome, dépassée, ne proposait plus un modèle à imiter pour les immigrés.

On le voit, l’assimilation constitue autant un rapport d’une société à une autre que le rapport d’une société à elle-même. Si l’analyse est captivante, d’un point de vue historique (notamment les deux chapitres centraux consacrés aux « dilemmes de l’Empire français » et à « la France métropolitaine »), ce brillant travail de synthèse trouve son sens dans la dernière partie « Repenser le problème français ». Au terme « d’assimilation », le vocabulaire de la Ve République a, petit à petit, préféré celui « d’intégration », jugé plus respectueux des différentes cultures et valorisant la diversité. Pourtant, « l’universalisme, concept souvent accusé d’être vide ou illusoire, n’a finalement trouvé d’incarnation concrète – quoique partielle – que dans l’assimilation », puisqu’elle « est justement ce qui permet de concilier diversité des origines et unité culturelle » conclut l’auteur (p. 298 et p. 300).

Disons-le, ces observations font du bien, parce qu’elles ne suivent aucune doctrine et qu’elles ne sont pas prescriptives. Il nous montre au contraire que, peut-être plus que bien d’autres nations, la France possède déjà tous les outils nécessaires pour relever le défi d’une identité commune. La passionnante conclusion, que nous ne voudrions pas dévoiler, donne envie d’éprouver, après celle de l’historien, la plume de Raphaël Doan essayiste ; mais après tout, ce n’est sans doute plus là le propos de l’historien…

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Doan, Raphaël, « Le Rêve de l’assimilation : de l’Antiquité à nos jours », Passés composés, 13/01/2021, 1 vol. 22,00€

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