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Iouri Riabinkine, Le siège de Leningrad : journal d’un adolescent (1941-1942), Edition des Syrtes, 08/09/2022, 16€.

Mesdames et messieurs, préparez vos mouchoirs ! Vous devrez ensuite impérativement lire ce livre, non seulement parce qu’il est un témoignage unique et d’une charge émotionnelle sublimée mais également pour l’intérêt historique majeur qu’il représente. Il vous fera ensuite relativiser vos petits soucis quotidiens, tels que les coupures d’électricité de quelques minutes dans votre foyer douillet, vos factures de chauffage qui augmentent et les cinq marques de riz déréférencées des magasins alors qu’il en reste encore quinze autres.
Le siège de Leningrad est le journal écrit par Iouri Riabinkine, un jeune adolescent que la vie n’a déjà pas épargné et qui est confronté à une des pires catastrophes humanitaires de l’histoire. Lorsque les hordes allemandes attaquent son pays, un de leurs objectifs majeur est de s’emparer de l’ancienne capitale de Pierre de Grand et des derniers tsars de Russie, quitte à réduire ce joyau à l’état de gravats. Mais le peuple russe et une Armée rouge d’une ténacité inouïe en ont décidé autrement.
Le jeune Iouri vit dans un monde privilégié, s’il en est, dans cette Russie soviétisée où toute incartade se traduit par la déportation, au mieux, la mort dans la plupart des cas. Son père a disparu dans les purges staliniennes et son quotidien, studieux mais en partie gâché par de gros problèmes de santé bénéficie de la protection que l’état octroie à sa mère en tant que membre du Parti Communiste. Il vit, ce qui est rare, dans un appartement avec sa mère, sa petite sœur Irina et sa tante, médecin. Après tout, il y a pire.
Mais voici Leningrad mise en état de siège en juin 1941. Arque boutés face à la déferlante nazie, les Russes ne lâchent pas un bout de terrain malgré la faiblesse de leur armement et l’absence de cadres compétents, liquidés à partir de 1938 dans des procès où tout était joué d’avance. Qu’à cela ne tienne ! Les Allemands, grâce à leur supériorité aérienne et à leur puissante artillerie, écrasent la ville des tsars où vit un million de personnes. Lentement mais sûrement, ils enveloppent Leningrad jusqu’à l’encercler presque complètement. Dans ce terrifiant chaudron de la Mort, six cent mille civils perdront la vie dans des circonstances apocalyptiques.
Si ces faits sont à peu près inconnus du grand public, la situation personnelle des habitants est renvoyée aux mystères insondables des effets de la guerre à laquelle personne ne peut échapper.
Dès le début, Iouri décide de s’imposer la rédaction d’un journal. D’une écriture appliquée et y joignant des photos de sa vie antérieure, il résume au jour le jour le quotidien implacable d’un peuple voué à la Faucheuse, sans imaginer une autre issue que la fin lamentable.
Faisant montre d’une lucidité à vous remuer les tripes, il expose les difficultés croissantes de sa famille et de lui-même, attendant avec impatience des lettres de sa tante qui a été envoyée au front pour soigner les blessés. La situation militaire se dégrade, les conditions de vie deviennent désastreuses. En effet, il faut travailler à organiser des défenses alors que l’apport alimentaire diminue drastiquement. Il se réduira bientôt à la portion congrue. Pour Iouri et les siens, ainsi que pour les voisins et colocataires imposés par le Soviet, la course à la nourriture devient un enjeu vital au cours duquel les bassesses les plus abjectes jaillissent pour se procurer de quoi ne pas mourir tout de suite. Le jeune homme, au cours de ses écrits, narre ses propres limites face à l’honneur qu’il tente par tous les moyens de s’imposer.
Dégoûté parfois devant ses faiblesses, somme toute compréhensibles, Iouri voit sa mère et sa petite sœur devenir des fantômes, quelquefois des harpies, alors qu’un autre ennemi s’ajoute aux obus qui dévastent la cité : le froid. Sans électricité, sans le secours d’une nourriture adéquate, sans combustible pour remplir le poêle, Iouri et sa famille ne vivent que dans l’espoir d’une évacuation sans cesse ajournée. Alors qu’à Noël, la température atteint 25 au-dessous de zéro et que des milliers de cadavres jonchent les rues, l’adolescent transcrit sa propre psychanalyse sur ses cahiers, passant d’une rare logique, pour un garçon de son âge, à une acceptation de sa condition. Au fil de ses impressions, il fait preuve d’un discernement impitoyable sur la personnalité des adultes, sur les étapes de sa « vie d’avant » et, fil ténu, sur le mince espoir d’une survivance et d’un bonheur retrouvé.

Nous ne dévoilerons pas le destin de Iouri Riabinkine dans ces lignes. Ce serait un affront au courage et à l’abnégation de tous les instants du jeune écrivain. Nous resterons, en refermant son journal, avec le souvenir d’un homme, car la guerre lui aura enlevé trop tôt son enfance, qui donnerait des leçons de vie à beaucoup d’entre nous. Nos larmes seront la seule récompense que nous pouvons lui remettre.

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Chroniqueur : Renaud Martinez

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