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Yasmine Ghata, Le testament du prophète, Bouquins, 05/01/2023, 1 vol. (169 p.), 18€.

Un écrivain n’est pas toujours le bienvenu dans sa ville d’origine ! Le 8 juin 1925, l’artiste et écrivaine reconnue, Colette, fut conviée à l’inauguration d’une plaque de marbre rose apposée sur la façade de sa maison natale à saint Sauveur-en-Puisaye. Elle s’y rendit en voiture avec quelques amis. Mais elle avait fait un tel portrait des habitants de ce bourg, à travers ses romans, qu’elle préféra rester dans son véhicule, pour éviter les insultes et les jets de pierres !

Il en est de même pour la narratrice et protagoniste du roman de Yasmine Ghata, Le testament du prophète, qui nous mène bien loin du village de Bourgogne !
Après une cinquantaine d’années d’absence, une enfant pauvre devenue une écrivaine de renom, revient vers ses racines, accompagnée d’un chauffeur, d’un guide et d’une équipe de tournage. Dans l’élégance d’une septuagénaire se dessine sa silhouette, où l’âge semble s’évanouir, car les ans ont à peine laissé leurs marques sur sa maigreur et sa chevelure sombre et mystérieuse. Dès les premiers chapitres se dessine la trame d’une tragédie classique bâtie sur la règle des trois unités.
D’abord, une unité de lieu : l’action se déroule sur les flancs du Mont Liban, longue chaîne calcaire aux contreforts rocheux : “montagne lourdement urbanisée, traversée de câbles et de pylônes.” Le périple de la narratrice et protagoniste nous conduit à Bcharré, où naquit le poète visionnaire mystique Gibran Khalil Gibran, en 1883. Il y revint après sa mort à New York en 1931. Son cercueil repose dans la vieille chapelle du monastère de Mar Sarkis situé à la périphérie de son village natal. On notera Bcharré est aussi le lieu de naissance de Vénus Khoury-Ghata, mère de l’autrice et elle-même écrivaine de renom. Le groupe nominal retenu comme titre pour le livre de Yasmine Ghata qui se revendique de son influence spirituelle, nous renvoie à un opus de Gibran, paru en 1915.
Ensuite, unité de temps, elle est revendiquée dès la page 18 : “Ici, en une seule journée, on tentera de percer le mystère tout entier de l’écriture.” Enfin, une unité d’action : si le but avoué est d’effectuer un reportage sur la vie d’une auteure célèbre, en filigrane se dessine l’idée d’un geste de justice, dont les dernières pages révéleront le mobile. Pour y parvenir, il faudra à la protagoniste affronter l’hostilité des anciens du village qui se manifeste dans un crescendo de malveillances : insultes, crachats, menaces… Elle est même contrainte, par la violence, à assister à l’autodafé de l’intégralité de ses œuvres !
Simultanément, se mettent en place des indices qui, dans le labyrinthe des allers-retours entre présent et passé, esquissent une sorte de thriller au dénouement à la fois libérateur et brutal : un escalier au garde-corps forgé, des escarpins rouges, des grottes au décor fascinant, un peigne en écaille surmonté de perles de corail rose, une concrétion blanche qu’accompagne une date gravée, et un prénom qui contient à la fois le vide, l’absence, et tout l’amour d’une sœur : Nada !
Yasmine Ghata est une écrivaine accomplie. Dès son premier roman, La nuit des calligraphes, consacré à l’histoire de Rikkat Kunt, artiste ottomane (1903-1986) elle a rencontré le succès. Depuis, il ne se dément pas. Chacun de ses romans tisse le lien entre sa propre histoire familiale et les influences des cultures orientales et chrétiennes. Son écriture très fluide est acérée comme la lame du silex. Ses mots sont choisis pour dénoncer des maux, et d’abord l’assourdissant silence qui boucle le destin des vierges déflorées dans les civilisations orientales. Elle explore un passé comme on pénètre une grotte avec autant de précautions que d’entêtement à en rechercher l’issue.
Pour elle : “écrire, c’est se débattre dans l’obscurité pour apercevoir enfin une lueur, cet espoir fou d’aller dans la bonne direction.” Et : “Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit.” (Gibran Khalil Gibran).

Ce 18 avril 2023, Le testament du prophète s’est vu attribuer le Prix de la Closerie des Lilas par un jury exclusivement féminin, présidé cette année par Dominique Bona. Ce prix récompense annuellement une femme influente du monde culturel et artistique, dont l’action ou l’œuvre constitue un modèle inspirant. C’est largement mérité, car la plume inspirée de Yasmine Ghata illumine le firmament littéraire et ce Liban que nous aimons tant.

Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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