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Stéphanie Perez, Le gardien de Téhéran, Plon, 02/03/2023, 1 vol. (235 p.), 20€.

Comme André Chamson pendant la Seconde Guerre mondiale avait caché les chefs-d’œuvre du musée du Louvre, un homme seul a veillé sur ceux du musée de Téhéran, restés cachés par son conservateur après la chute du Shah, redoutant des actes d’iconoclasme de la part de ceux qui se revendiquaient de la révolution islamique.

Un destin exceptionnel

Rien ne semblait prédestiner le jeune Cyrus, en dépit de son prestigieux prénom, à la vie qui devait être la sienne. Enfant né dans un milieu modeste, peu instruit, il avait été engagé comme chauffeur au service du musée de Téhéran. Un musée voulu par l’impératrice Farah Diba et dirigé par son cousin Kamran.
Au cours de son travail le jeune homme croise de multiples spécialistes de l’art qui l’initient aux œuvres, comme Donna Stein. Le musée sous leur influence s’enorgueillit d’achats fabuleux : Monet, Gauguin, Degas, Max Ernst, Braque, Dufy, Picasso, Bonnard, Magritte, Warhol, Pollock, etc. C’est en faisant l’expérience de l’émotion esthétique que Cyrus commence à les aimer et à les comprendre. Azadeh, sa voisine et amie, en revanche, passionnée de photographie, suit une direction différente avant d’être arrêtée par la Savakh, la police politique du Chah.
Mais survient la révolution islamique. Le souverain est renversé. Lui et sa famille s’émigrent au Maroc, tandis que d’autres suivent le chemin de l’exil ou repartent en Occident. Cyrus reste le seul gardien du musée. Il protège les œuvres au péril de sa vie et négocie avec les représentants du régime pour qu’elles ne soient ni détruites, ni vendues à l’étranger.

Une plongée dans l'histoire de l'Iran contemporain

Le livre commence par le couronnement du Shah, que Cyrus enfant regarde à la télévision, et s’achève aujourd’hui. L’auteur journaliste connaît bien l’Iran. Grand reporter à France Télévisions depuis plus de Vingt-cinq ans, elle s’y est rendue à diverses reprises pour couvrir divers conflits. Elle s’est documentée pour écrire ce livre, son premier roman, et considère Cyrus comme l’une de ses plus belles rencontres. Le titre le gardien de Téhéran pourrait résonner ironiquement en opposition avec celui de gardiens de la révolution islamique.
L’auteur met en parallèle l’époque du Shah et celle des ayatollahs. Le livre s’ouvre sur les fastes du couronnement qui émerveillent Cyrus, issu d’un quartier misérable et sans commodités. Par contraste le mode de vie des puissants et des Occidentaux le fascine. La richesse qui s’y étale et la liberté de mœurs lui semblent aux antipodes de la vue de sa rue, même si son amie arbore fièrement des shorts et des décolletés. Azadeh décide par la suite de porter le voile pour manifester son opposition au pouvoir, sans saisir toutes les implications de ce geste. La mère de Cyrus, couturière, copie pour ses clientes les créations de Dior ou de Chanel que portent les femmes riches. Mais, loin de tout ce glamour et cette insouciance apparente, l’auteur évoque aussi le climat de suspicion qui règne à Téhéran, les dénonciations, les tortures et les exécutions perpétrées par la police politique.
En dépit des espoirs de la population, l’arrivée des ayatollahs n’empêche pas les violences, bien au contraire. Le livre met l’accent sur la vague de répression morale qui s’abat sur le pays. Interdits vestimentaires, refus des loisirs et des distractions, cinéma, danse, musique, censure des livres et destruction des œuvres d’art. Cyrus survit tant bien que mal et retrouve Mona, une amie artiste connue au moment de la création du musée, qui avec d’autres tente de résister.
La fin du récit montre un adoucissement des mesures et la réhabilitation du musée, même si certaines œuvres jugées impies restent dans ses réserves. Désormais l’Iran est fier de ce patrimoine d’abord perçu comme d’un prix prohibitif, qui attise la convoitise de l’Occident.

Un texte émouvant

Facile et agréable à lire, Le gardien de Téhéran séduit d’abord par son sujet. Le courage et la force morale du héros nous émeuvent d’autant plus qu’il s’agit d’une histoire vraie. Contrairement à André Chamson, écrivain et chartiste, Cyrus est un personnage ordinaire, dépourvu de culture, mais qui face à l’adversité, fait montre d’un comportement extraordinaire. Modeste, touchant, il incarne la force que l’art peut exercer sur les individus. C’est un beau témoignage sur ce que certains hommes ou femmes peuvent faire en période troublée, sans éclat ni recherche de la moindre reconnaissance. La simplicité et l’humilité de Cyrus, confronté à des œuvres qui le dépassent, est une vraie leçon de vie. Avec constance et passion, il a contribué à sauver l’œuvre de peintres comme Warhol ou Monet. La discrétion de son existence, si loin de celle des artistes dont les œuvres se vendent très cher sur le marché de l’art, et qu’on montre se gavant de succès et de caviar iranien, renforce l’image de sincérité et d’abnégation qu’il délivre. Il ne crée pas lui-même, mais a voué sa vie aux œuvres. Il ne peut rivaliser avec les collectionneurs, du fait de la modestie de ses, mais n’a pas hésité à courir des risques pour défendre des toiles que d’autres ont les moyens de s’offrir.
Une belle figure pleine d’humanité, que le livre contribue à nous rendre proche.

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Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne

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