Être une enfant au Maroc dans un milieu modeste. Jouer dehors avec les garçons du quartier. Le soir être repue de jeux, d’exercices, de rires, aller au lit heureuse et détendue. Et puis un jour remarquer sans comprendre des taches rouges sur sa culotte. Avoir mal au ventre. Ne plus avoir le droit de jouer dehors avec les garçons. Avoir l’impression d’être sale. Et ce corps qui se modifie, ces seins qui prennent forme et que la mère tente de masquer en enserrant le torse de sa fille dans un tissu. Être promise au labeur, à la fatigue, aux vapeurs de la cuisine. À l’ombre.
Et un jour ce voisin, Omar, qui demande la main de la jeune fille à son père. Et cette nuit de noces qui ne se passe pas comme elle le devrait, car l’époux n’arrive pas à pénétrer sa jeune mariée. Cette blessure que Meryem doit s’infliger afin que le sang coule sur le voile de la mariée pour attester la consommation du mariage.
Suivront d’autres nuits, toutes identiques, sans pénétration. Cette impuissance atteint Omar dans son orgueil. Il se déchaîne alors contre Meryem. La maltraite, l’insulte, l’oblige à dormir par terre, et le sol même est un répit pour cette jeune femme livrée à la violence de son époux. Il finit par la chasser mais dit à qui veut l’entendre que c’est elle qui l’a abandonné, lui fermant ainsi la porte de ses propres parents et lui refusant le divorce – la liberté, donc. Elle se réfugie chez sa tante puis décide de rejoindre sa sœur Aïcha en France. Elle gagne Tanger, se cache là-bas un certain temps puis prend la mer avec un passeur.
Aïcha l’accueille à Paris dans son petit deux-pièces au huitième étage d’un immeuble sans ascenseur. Mais sans papiers comment travailler pour rembourser sa sœur qui a payé le prix du passage et comment aider sa famille ? Aïcha qui travaille en tant que femme de ménage pour une agence désire à présent aider Brahim son ami qui possède une épicerie. Elle propose donc à Meryem de se faire passer pour elle. Elles se ressemblent et le voile fera illusion. Meryem devient donc Aïcha. De là à dire que toutes les silhouettes de femmes immigrées, souvent courbées vers le sol, ployées dans les gestes du ménage, sont pareilles ou livrées aux regards indifférents de la société, il n’y a qu’un pas. Mais le subterfuge sera-t-il découvert ? Meryem sera-t-elle démasquée ?
Le livre nous entraîne à sa suite d’un employeur à l’autre, tous vivants et intéressants. Mme Dubois et ses petits chiens. Ibtissem, la prostituée et son enfant Nadir auquel Meryem s’attache – Ses grands yeux malicieux, ses boucles de jais, cette manière de ne pas vouloir donner divers emplois à un mot donné. Ainsi si l’on dit « ouvrir une porte » on ne peut dire selon lui « ouvrir un livre ». Il a des difficultés à l’école car sa mère, qui l’aime pourtant, a des lacunes sur le plan éducatif, mais Meryem l’aidera à progresser, lui achètera des livres, l’emmènera se promener au Luxembourg où il découvrira les jeux, les pigeons, les marionnettes. Il y a aussi Michel et Youssef, le couple d’homosexuels, qui écoutent Oum Kalthoum et La Callas.
Meryem travaille beaucoup afin de rembourser sa sœur et d’envoyer aux siens de l’argent mais aussi, grâce au car qui se rend chaque semaine à Casa, des paquets de vivres, de vêtements, de médicaments. Elle se rend au taxiphone régulièrement pour appeler sa mère ou sa tante. Elle se bat auprès de celle-ci pour que sa jeune cousine s’épanouisse, prenne des cours d’athlétisme.
“Il me fallait persuader ma tante Aya d’inscrire ma cousine au club d’athlétisme de Casablanca. Elle me traita de folle la première fois que je lui en parlai. Mais cette petite valait bien la peine que je me démène un peu. Je souhaitais lui ouvrir d’autres horizons que ceux que mon conformisme de jeune fille bien sage avait dessinés pour moi. Le sport n’était pas que pour les garçons !”
Au cœur du livre, ce subterfuge, cet échange de prénom entre Aïcha et Meryem. Ce glissement d’identités entre les deux sœurs mènera très loin, plus loin que la mort d’Aïcha dont on ne révélera pas ici la cause, jusqu’à un échange muet avec la Vierge dans Notre-Dame. Dialogue inattendu entre une musulmane et Marie. Instant d’ouverture aussi complexe et empreint de tolérance que le personnage de Chérif, philosophe égypto-palestinien, apatride qui risque l’expulsion et passe son temps avec les pigeons du jardin du Luxembourg à lire ou à méditer. Meryem vient s’asseoir près de lui sur le banc tous les mercredis, accompagné du petit Nadir qui fait s’envoler de toute part les oiseaux. Chérif lui parle de son foyer où la police fait parfois des descentes :
“La police est venue chercher un homme au foyer où je passe mes nuits. C’était il y a deux jours, à l’aube. Le pauvre a juste eu le temps de faire un balluchon de ses maigres affaires et ils l’ont emmené… Le drap de son lit a été retiré. Il ne reste plus qu’un matelas sur le sommier de fer, avec un creux au milieu. C’est tout ce qu’il a laissé, un creux.”
Mais Meryem et Chérif, malgré la menace d’expulsion, tous les mercredis sur ce banc du Luxembourg, trouvent des chemins de traverse, tissent des liens salutaires.
Meryem après avoir été maltraitée, malmenée par Omar a trouvé en Chérif un compagnon aux longues et fines mains, à la culture raffinée et qu’elle pourra aider. Son parcours volontaire de femme qui veut se relever – ne plus être emprisonnée dans les rets de son mariage avec Omar – est éclairé de reflets de lumière. On imagine la lumière orangée du crépuscule au jardin du Luxembourg alors que les pigeons roucoulent et s’envolent dans l’air frais, la lumière dans les yeux du petit Nadir, dans la clémence de certains jours :
“J’avais profité de ma matinée de liberté pour préparer des légumes farcis et des cornes de gazelle. Une brise légère tempérait la chaleur apportée par le soleil qui baignait la table revêtue de formica installée devant la fenêtre où nous prenions nos repas. J’ai une grande nouvelle à t’annoncer… !”
Kabira Beniz, l’auteure de ce livre captivant, bien qu’un peu scolaire par moments, est née à Casablanca où elle a été professeur d’éducation physique. Elle a voyagé dans le monde entier avant de s’installer en France où elle exerce le métier de journaliste régionale. “Mon engagement, dit-elle, est la cause des femmes arabes…”. À lire ce livre, cela est évident.
Yasmine KHLAT
contact@marenostrum.pm
Beniz, Kabira, “Le Voile de la mariée”, Le Chant des voyelles, 01/03/2020, 1 vol. (182 p.), 17,00€
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