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Le dernier roman d’Alain Llense nous séduit dès les premières pages et nous tient en haleine jusqu’à la fin ; une intrigue captivante servie par un style juste et une écriture fluide. « J’ai passé ma vie à t’attendre » entraîne le lecteur, pressé de connaître l’identité de ce « je ».
Le titre pourrait évoquer un roman d’amour, or il n’en est rien, ou très peu. Dès le premier chapitre on penche plutôt pour un roman policier. Il y a du Simenon dans ces personnages solitaires et anonymes conduits à commettre un crime pour un détail lourd de conséquences, une amourette qui tourne au vinaigre… Les quais de la Seine, les rafales d’automne, les badauds traînant parmi les kiosques des bouquinistes, une femme grisonnante dissimulant un revolver sous son imper, voilà qui nous plonge dans l’ambiance d’un bond polar. Un flash-back provoqué par la menace de mort imminente du héros nous rappelle à son tour l’ambiance des romans sociaux et d’enfance, tels « Vipère au poing ». Le lecteur prend aussitôt parti pour cet enfant éduqué dans une famille bourgeoise des années 1930 : une mère castratrice, une tante vieille fille, un père absent (comme on le comprend !), une famille engoncée dans des règles strictes et désuètes, privant l’enfant d’amour et de compréhension.
Obligé de se dissimuler dans les toilettes pour laisser libre cours à son imagination, le héros fera plus tard de ce lieu trivial l’objet commercial de sa réussite. Seul être bienveillant, son père lui transmet la passion des cartes postales. La maladie étant la seule issue possible pour fuir la cruauté de ses camarades d’école, il en fait son rempart contre la violence à répétition. Tenu d’échapper à la censure maternelle, le jeune homme ne connaîtra de l’amour que de fugaces escapades dans une maison close. L’enfant malheureux est devenu un adolescent handicapé du cœur, un infirme ambitieux et rancunier. Dans ce contexte, la disparition de sa famille lors d’un bombardement apparaît presque comme une délivrance. Saisissant sa chance, Dompierre parvient à remonter l’entreprise familiale et à triompher socialement. À ce stade, le regard du lecteur a changé, encouragé par la voix du narrateur ; « vous commencez à ne plus m’aimer », nous glisse-t-il entre deux lignes, « n’ajoutez pas, s’il vous plaît, la misogynie aux défauts dont vous commencez à m’accabler ».
Au fil des pages, ce garçon maltraité s’est transformé en adulte austère, cynique, coupable et condamnable, avant même que son méfait ne soit dévoilé. Pendant les quelques minutes que dure l’attente de la vengeance portée par la femme au revolver surnommée Mathilde, le narrateur examine sa vie à la loupe pour tenter d’identifier son assassin. Il ne lui en veut pas, ne cherche pas à le fuir, ne demande pas pardon. Il veut juste retrouver sa mémoire. Mathilde devient son fil d’Ariane ; elle l’aide à faire son examen de conscience en déroulant les moments forts de sa vie : son enfance sans amour, les frustrations de son adolescence, sa carrière fulgurante, son ascension sociale au mépris des autres. « Je n’avais pas mon pareil pour écraser et pour contraindre ». Seule sa passion pour les collections de cartes postales peut provoquer notre indulgence : grâce à ces tranches de vie offertes à la vue de tous que sont les quelques mots griffonnés au dos des cartes, il s’approprie une part de rêve, vole un bonheur fugace, s’offre une tendresse anonyme. Mais peut-on s’emparer de l’intimité des autres sans faire de dégâts ?

À la fin du roman, le lecteur n’est pas au bout de ses surprises ; accompagné par la plume fine du narrateur, il ne peut que s’incliner devant la cohérence de ce récit de vie où la tendresse, l’humour, et la distance se côtoient tour à tour, portés par des images évocatrices.

Marie-José DESCAIRE
contact@marenostrum.pm

Llense, Alain, « J’ai passé ma vie à t’attendre », Le Lys bleu éditions, 22/12/2020, 1 vol. (172 p.), 18,00€

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