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Précis de l’aide au développement en Afrique ou plutôt, ode au rapprochement entre humains de cultures différentes.
La grande qualité de l’auteur, frappante dès les premières lignes de son livre, est son incontestable humilité.
Voilà en effet un homme qui, depuis plus de trente ans, se démène pour venir en aide à d’autres hommes vivant dans un petit village du Burkina-Faso, et ce par le biais d’une association humanitaire, « École Sans Frontières 66« , créée à cette fin. Il dit d’emblée au lecteur : « vous ne trouverez ici ni leçons, ni recettes. Tout au plus, le récit d’expériences, de réussites mais aussi d’échecs accumulés pendant tout ce temps. Puisse ce récit vous aider dans votre propre réflexion sur la manière dont on peut aider des gens qui en ont besoin à s’aider eux-mêmes. Avec un petit coup de pouce de notre part… »
En réalité, ce n’est pas un précis de l’aide au développement que nous livre Maurice Piferrer, mais le modeste récit de ces efforts. Et par-delà ce récit, la philosophie qui sous-tend cette approche qualifiée par l’auteur de « coopération décentralisée », ou de « partenariat de développement », simples expressions techniques du rapprochement entre les hommes, dans une volonté de construction et d’apports mutuels.
Surtout pas d’assistanat, malsain pour l’assisté, autant que pour celui qui apporte l’assistance. Il a raison : après tout, l’argument choc de ceux qui ont défendu la colonisation des XVIIIe et XIXe siècles ne consistait-il pas justement à dire : « Nous les aidons, ces pauvres gens. Car ils sont incapables de construire des routes, des dispensaires, des écoles etc. »
« L’Eau de l’étranger » promeut surtout l’idée d’échanges humains et culturels en vue d’une amélioration de la situation dans ce coin d’Afrique. Par ailleurs, l’Occident est plus riche et plus avancé technologiquement que l’Afrique et peut donc aider sur ces deux plans. Mais surtout pas se substituer aux intéressés : les briques de banco (adobe), ce sont eux qui doivent les façonner…
Et Maurice Piferrer n’hésite pas à énoncer quelques échecs liés à une mauvaise compréhension des besoins, de la culture, du lien social des populations concernées. Quelques exemples, relevés au fil des pages de ce livre :

  • Faut-il apporter des fournitures scolaires, ou est-il préférable de les acheter sur place ?
  • Faut-il faire des cadeaux aux décideurs locaux ?
  • Était-il judicieux d’offrir des téléphones portables recyclés ? Des plants d’arbres destinés à une action de reforestation ?
  • Était-ce une bonne idée de promouvoir la création d’une sécherie de mangues ?
  • Faut-il apporter des vêtements dans un pays où la culture du coton est l’une des principales industries ?
  • Etc…

L’auteur en vient ainsi à ce constat terrible : si elle est mal conçue, si elle ne prend pas en compte les aspects culturels et sociaux, en plus des besoins financiers et techniques, si l’on veut jouer les pygmalions, les justiciers, les experts en tout : « notre aide n’aide pas, au contraire… »
À ce stade apparaît alors le deuxième aspect que j’ai retenu de la lecture de ce livre : son caractère profondément humain. Un peu à la manière de grands écrivains-voyageurs qu’il évoque dans son livre, tels que Ryszard Kapuscinsky ou Sylvain Tesson, l’auteur fait vivre ce village d’Afrique : odeurs, couleurs, nourriture, paysages, traditions, divertissements (« prendre le maquis » par exemple, qui signifie là-bas aller au bistrot) Mais aussi le statut des personnes âgées, politique sociale empirique, relations entre les diverses ethnies du pays etc. Tout cela par touches impressionnistes, celles-là même ressenties par Maurice Piferrer et qu’il partage avec le lecteur, non sans humour, tact et pudeur.
Et puis surtout, il parle des hommes. Et des femmes aussi : ces femmes vêtues de boubous bigarrés (le Burkina-Faso est passé maître dans l’art du batik.) Ces femmes qui sont l’ossature, le ciment — le pisé plutôt — de la vie des villages ; debout à l’aube, direction la corvée de bois ou d’eau (30 litres sur la tête), en chantant. Ces femmes que Léopold Sédar Senghor a célébrées avec des accents baudelairiens dans son poème : « femme nue, femme noire, vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté… »
L’eau, justement : vient ici le seul « reproche » amical que je ferais à ce très joli livre : son titre. Car « L’eau de l’étranger » dit beaucoup plus, montre beaucoup plus, fait beaucoup plus vibrer le lecteur que ne le laisse supposer ce titre trop réducteur.

Sur la page de couverture figure un splendide baobab. Grâce à Maurice Piferrer et à l’association qu’il anime, l’ombre bienfaisante de cette splendeur de la nature paradoxalement installée dans un pays qui a un problème d’eau, s’étend depuis le village de Founzan, province de Tuy, région des Hauts Bassins, « pays des hommes intègres » (c’est la traduction des mots Burkina-Faso) jusqu’à la commune de Saint-Estève, dans les Pyrénées-Orientales.
Qu’ils en soient remerciés. Et que « L’Eau de l’étranger » rencontre chez nous de nombreux lecteurs !

Guillaume SANCHEZ
contact@marenostrum.pm

Piefferer, Maurice, « L’Eau de l’étranger », Car Béar éditions, « Documents », 11/2020, Disponible, 1 vol., 13,00€.

Retrouvez cet ouvrage sur le site de L’ÉDITEUR

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