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Monique Zerdoun, L’éclat singulier du lapis-lazuli : étincelles de mémoires juives jaillies de cette terre qui devenait l’Algérie, Auteurs du monde, 27/05/2022, 1 vol. (479 p.), 17€.

Pour nous raconter l’histoire de l’Algérie du XIXe siècle, et la vie quotidienne des Juifs qui l’habitaient, Monique Zerdoun semble nous transporter au pays des contes. On y voit un village perdu au milieu de nulle part, une source sur laquelle règne un lion mythologique, ainsi qu’un petit d’Homme qui, au début de ce récit, manque de peu la fermeture des murailles du hameau qui cherche à se protéger du fauve dès la fin du jour. Le jeune homme se retrouve à passer la nuit à l’extérieur, en équilibre dans une cabane suspendue pour ne pas finir avalé, ni perdre la précieuse marchandise qu’il transporte. Heureusement, les chiffres des années au cours desquelles les événements se déroulent servent de titres aux différents chapitres et nous permettent ainsi de nous réancrer dans la réalité. Réalité qui, de prime abord, n’est d’ailleurs pas aussi éloignée de nous qu’on aurait pu le penser.

Raphaël ben Israël, 14 ans, originaire de Ksenteïna-Constantine, est rêveur et c’est bien la raison de son retard. Il était loin d’imaginer qu’un si petit concours de circonstances aurait pour incidence de lui faire rencontrer, à la suite de douloureuses mésaventures, le cadi du minuscule village d’Aïn-el-Kelma. Ce dernier lui fait découvrir un manuscrit à l’encre merveilleuse. La curiosité du jeune scribe en formation est piquée au point de le lancer dans une quête de connaissances qui le mènera hors des frontières de son pays afin de résoudre l’énigme de la composition de ce produit fantastique, ainsi que d’autres questions qui le taraudent.

Raphaël grandit sous nos yeux. Il voyage, évolue, comprend le monde auquel il s’ouvre, et celui qu’il a quitté avec les sacrifices consentis par ses proches pour lui permettre de répondre à l’appel de la connaissance. Il se fait des amis, se parfait dans son métier, tente d’assouvir sa soif de savoirs, parvient à l’objectif qu’il s’est fixé en quittant son pays, fonde une famille et trouve quel rôle jouer dans la communauté juive du village où il décide de l’installer une fois de retour en Algérie. Toute cette histoire n’est pourtant qu’un prétexte pour l’auteure qui – sans pouvoir échapper à sa nature d’universitaire – profite de ce cadre pour transmettre la mémoire d’un monde révolu, et instiller auprès de ses lecteurs une foule d’indications dans maints domaines. Ce dernier peut alors découvrir les rapports entre les communautés juive et musulmane dans l’Algérie du XIXe siècle, ce qu’implique le statut de dhimmi au quotidien, les différences entre la vie juive des toshavim – Juifs autochtones – des petits villages et celle de plus grandes villes. C’est aussi l’occasion de notices philologiques et étymologiques, sorte d’initiation au parler propre au judaïsme algérien. Parallèlement, de nouveaux mots, comme de nouveaux noms de villes, viennent désigner de nouvelles situations. Les diverses notions explicitées témoignent d’une réalité qui se transforme.

Le récit offre des remarques anthropologiques ou ethnographiques, conduit des réflexions sur l’accès à la culture et la façon dont un accès limité peut influencer certaines vies. Mais aussi sur les risques inconsidérés et les trésors d’ingéniosité déployés par d’autres pour qui seul l’impératif de s’affranchir des barrières qui les empêchent de savoir et de comprendre compte. Le roman fait également voyager son principal protagoniste afin de comparer la vie des Juifs d’Algérie à celle de leurs contemporains Juifs italiens et l’on rencontre en sus les rabbins du consistoire qui débarquent de France pour évaluer leurs confrères du Maghreb. On traverse ainsi l’Histoire à partir du début des frictions entre les Ottomans installés en Algérie et les Français en l’année 1827 jusqu’aux lendemains du décret Crémieux en 1871, une fois que les Juifs autochtones se sont vus accorder automatiquement la nationalité française. Les changements historiques qui concernent le pays dans son ensemble ouvrent une fenêtre par laquelle le lecteur est invité à s’imprégner de l’influence qu’ils ont sur la vie quotidienne des Juifs algériens, à observer la façon dont ces derniers accueillent ou comprennent les bouleversements qui leur tombent dessus sans avertissement, et sans qu’ils n’aient aucune maîtrise des décisions qui sont prises les concernant.

On ne peut qu’être reconnaissant à l’auteur de nous faire découvrir, ou redécouvrir, mais en tout cas de préserver en les faisant revivre, les souvenirs d’un genre de vie rarement raconté et qui n’existe plus.

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Chroniqueuse : Stéphanie Binder

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