Temps de lecture approximatif : 4 minutes

Rahmani, Slimane & Rhamani, Jamil, illustrations Mélodie Hojabr Sadat, Les contes berbères de mon grand-père, Orients Editions, 09/09/2022, 1 vol. (254 p.), 22€.

Comment passer sous silence le rôle de la tradition orale dans la culture africaine ?
Depuis des temps immémoriaux, ce vaste continent, lieu où se côtoient démons, sorciers et animaux sauvages n’a cessé de susciter l’intérêt de poètes et conteurs qui se sont efforcés d’intégrer leurs us et coutumes pour élaborer des récits transmis depuis lors, de génération en génération. Ainsi des griots, gens de la parole, animateurs des sociétés ethniques et tribales qui ont joué un rôle prépondérant dans l’environnement sénégalais auxquels Léopold Sédar Senghor s’est maintes fois référencé.
Cela pour l’ouest de l’Afrique subsaharienne, et il en va de même pour les pays du Maghreb, du Maroc et de l’Algérie notamment avec les conteurs kabyles qu’Orients éditions ont eu la judicieuse idée de remettre au goût du jour.
Tirés de l’imaginaire de l’anthropologue Slimane Rahmani, ces Contes berbères de mon grand-père font bien mieux que nous restituer des histoires venues du fond des âges, ils permettent de découvrir l’écheveau d’une immense culture ô combien rafraîchissante au sein d’une pseudo-modernité.
Sont-ce les tumultes des événements faisant rejaillir les persistances de l’authentique, tel que le souligne Jacques Berque dans la préface ou le besoin d’identités culturelles de plus en plus menacées de dilution dans l’actuel courant d’uniformisation qui accentuent l’attrait de ces témoignages oraux ? Sans doute un peu des deux, tellement ces récits de fragments de vie séduisent autant qu’ils divertissent.
Tels quels en tout cas, ces contes émanant de la région d’Aokas en Kabylie, recueillis par Slimane Rahmani aux alentours des années cinquante et réécrits par son petit-fils Jamil, sont aussi lumineux que singuliers. Surnaturels pourrait-on dire aussi, tellement ces récits d’un monde ancien où les djinns, les ogres, les magiciens et divers animaux rôdant autour des villages rivalisaient d’attraction pour petits et grands.

Quarante contes au total, caractéristiques de l’âme kabyle où le descriptif bucolique n’a d’égal que le romanesque qui offrent étonnamment bien de similitudes avec leurs homonymes occidentaux. Ainsi pêle-mêle, retrouve-t-on des histoires comparables à Cendrillon, la Belle au bois dormant ou celles analogues aux Fables de la Fontaine. L’essentiel étant cependant puisé dans l’univers musulman où le pittoresque se conjugue au merveilleux comme aux rudes conditions d’alors. S’ils sont parfois caricaturaux, destinés à éduquer voire à effrayer les enfants et les informer des risques de l’existence, ces contes n’en préservent pas moins un volet amusant comme en témoigne la troisième histoire de l’ouvrage.
« C’étaient du temps où les animaux parlaient », est-il précisé en liminaire.

Un renard et une renarde n’eurent de leur union qu’un petit qu’ils élevèrent jalousement. Devenu grand, en âge de se marier, le père et la mère discutèrent du choix d’une épouse à lui donner. Comme le renardeau assistait au débat, il eut la hardiesse de leur demander quel genre de compagne ils allaient choisir. Les parents surpris de l’effronterie de leur progéniture répondirent : - Mais une renarde comme tes aïeux ! Nous la choisirons belle et vertueuse. - Je ne veux pas de renardes, répliqua-t-il, il est temps de changer nos mœurs et d’évoluer. Je ne me marierai qu’avec une lionne !

Mais le reste des contes n’a pas qu’un volet facétieux. Empreintes – ou pas – de moralité, ces petites nouvelles que les aïeux racontaient souvent au coin du feu, abordent aussi bien le domaine du merveilleux que des situations de vie sociale perceptibles à chacun des oreilles.
Dans la présentation qu’il rédige, le petit-fils de Jamil Rahmani, met en garde le lecteur sur les excès de misogynie et de duretés patriarcales, véhiculant la pensée dominante d’une époque où les épouses devaient être soumises et vertueuses. Remarque légitime, bien que les femmes aient une part méritoire, sinon valorisante dans d’autres contes où le héros n’est pas toujours le plus favorisé.
Ainsi, en témoigne la séduisante histoire de Baba-Bejghit. Connu sous différentes variantes dans de nombreux pays arabes, Bejghit est un sobriquet désignant un être de petite taille, naïf, un peu simple d’esprit mais qui sait déborder d’astuce pour parvenir à ses fins. Entre mégères et ogresses avides de le confondre, il rivalisera de subtilité et de hardiesse afin d’échapper à leur malédiction.

Une bien jolie fable à l’image des Aventures de Salah, des Farces de Mh’and et de l’Histoire du bûcheron mettant en relief tout le bien-fondé de l’instruction.
De surcroît, remarquablement mis en lumière par les dessins de l’artiste iranienne, Mélodie Hojabr, ces contes virevoltant de couleurs et de poésie sont un vibrant hommage à l’âme kabyle autant qu’une découverte de l’univers oriental.

Picture of Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

NOS PARTENAIRES

Faire un don

Vos dons nous permettent de faire vivre les libraires indépendants ! Tous les livres financés par l’association seront offerts, en retour, à des associations ou aux médiathèques de nos villages. Les sommes récoltées permettent en plus de garantir l’indépendance de nos chroniques et un site sans publicité.

Vous aimerez aussi

Voir plus d'articles dans la catégorie : Littérature méditerranéenne

Comments are closed.