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Anne Ibos-Augé, Les Femmes et la musique au Moyen Âge, Éditions du Cerf, 09/01/2025, 285 pages 22€

Comment évoquer l’histoire des femmes musiciennes du XII° jusqu’au début du XV° siècle sans parler d’abord de leur condition ? C’est le propos liminaire que pose Anne Ibos-Augé dans son introduction.
« Le Moyen Âge est presque unanime : créée à partir d’une côte d’Adam, la femme est émanation inférieure, redevable à l’homme de son existence même. » Et si Odon de Cluny entend faire de la Madeleine pécheresse une messagère du salut, « par la main de la femme la mort, mais par sa bouche l’annonce de la résurrection », que dire des enlumineurs médiévaux qui représentent immuablement la luxure ou le serpent tentateur d’Ève sous les traits féminins ?
Preuve que si être une femme au Moyen-Âge est loin d’être simple, être musicienne s’avère une vraie gageure. Il n’est qu’à se référer aux écrits pour le constater.
De l’Ecclésiastique qui recommande d’éviter de fréquenter la femme musicienne sous peine de tomber sous sa coupe, en passant par la synagogue où la voix féminine étant nudité, partant jugée sexuellement stimulante, jusqu’à saint Jérôme pour qui la jeune fille chrétienne doit être sourde aux instruments et ignorer à quels desseins orgue, lyre et cithare furent produits, les exemples sont plus qu’éloquents.
De fait, force est de le constater, la musique médiévale, telle qu’on la connaît encore de nos jours est le plus souvent affaire masculine. Un constat patent qui n’obère cependant pas la part qu’y ont tenu quelques pionnières, tant en qualité de compositrices que de trouveresses ou de copistes.

Dans un strict univers de clôture

C’est la raison d’être de cet ouvrage qui, au travers de la vie des actrices du monde religieux de l’époque, dresse le rôle important qu’ont pu jouer ces musiciennes oubliées.
Un récit d’autant mieux construit, qu’avant de mettre en exergue la part dévolue à ces religieuses, l’autrice s’attache à définir l’environnement dans lequel elles évoluaient.
Ainsi, pour mieux stigmatiser le mérite de ses devancières comme Herrade de Hohenburg ou Isolda Cayvill, la rédactrice de l’essai nous convie à pénétrer dans leur rude univers. Celui des nonnes en l’occurrence où la stricte clôture est de rigueur.

Qu’aucune ne sorte du monastère jusqu’à sa mort, affirme l’évêque Césaire dans sa règle destinée aux vierges. En outre, personne ne doit entrer dans le couvent, et ni les mères ou les sœurs des religieuses (pourtant femmes) ne pourront les visiter. Aucune moniale ne possède de cellule personnelle et à plus forte raison de servante. Les 77 chapitres de la règle de Donat de Besançon sont particulièrement sévères. Ils incluent divers châtiments corporels, notamment en cas de non-respect du silence.

Et il en va quasiment de même pour les béguines au sein d’un ordre controversé dès l’origine, qui ne vont cesser de provoquer menaces et suspicions. Ce qui n’empêchera pas l’éclosion de compositrices comme Mechtilde de Magdeburg ou Marguerite Porete.

Hildegarde de Bingen, femme multiple

Mais la figure protée à laquelle est consacré tout un chapitre demeure Hildegarde de Bingen. Canonisée par Benoît XVI en 2012 avant d’être déclarée cinq mois plus tard, docteur de l’Église, cette femme multiple, tout à la fois abbesse théologienne, visionnaire, compositrice, poétesse et même médecin, cumule toutes les qualités comme le souligne l’autrice.

Une femme intransigeante avec les imposteurs malfaisants qui pervertissent la foi mais ouverte d’esprit invitant les deux Églises – Synagoga la juive et Ecclésia la chrétienne — dans son Scivias. Une femme intraitable avec la discipline requise dans son couvent mais douce et maternelle avec ses filles. Surtout la première compositrice à laisser une œuvre attribuée d’envergure, comme les soixante-dix-sept compositions de la Symphonie céleste, avec sa notation musicale.

Si cette mystique bénédictine est la plus célèbre, bien d’autres religieuses ont œuvré dans divers domaines à l’émancipation du courant musical féminin.
C’est ce que l’autrice va s’attacher à démontrer dans plusieurs chapitres relatifs au travail des copistes, des poétesses et des ménestrelles. Celui joué par sœur Élisabeth de Lünen par exemple dans le rôle de scribe enlumineuse en 1358, mais aussi de poétesse profane à l’instar de la trouveresse d’Oc, Azalaïs de Porcairagues dont la chanson « Voici venu le temps du froid » fit les beaux soirs de bien des cours d’Occitanie.
Ajouté au rôle des mécènes, ces protectrices de trouvères comme le fut Marie de Champagne, c’est tout un patrimoine, certes non exhaustif, tel que le stipule l’autrice, qui est ainsi répertoriée dans l’ouvrage.
Un remarquable essai complété par un glossaire et la chronologie des intervenantes qui constitue une plongée inédite et passionnante au cœur de ce Moyen Âge musical au féminin.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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