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Larrea, Maria, Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, Grasset, 17/08/2022, 1 vol. (215 p.), 20€.

Roman autobiographique sur la quête des origines, Les gens de Bilbao naissent où ils veulent commence dans le Bilbao déchiqueté des 1940. Une ville ouvrière, industrielle, fièrement républicaine tombée, quelques années auparavant, entre les mains souillées des franquistes. Une ville abîmée, divisée, qui accueillera deux âmes non désirées, Victoria et Julian. Deux enfants de la guerre dont les destins ne pouvaient que s’entremêler.

Elle, Victoria Maria Bernarda, voit le jour le 7 janvier 1947 dans un village de Galice. Abandonnée à la naissance par sa mère, Dolores, elle est recueillie chez les sœurs. Trop belle pour être adoptée, Victoria est finalement récupérée dix ans plus tard par sa génitrice qui ne lui manifestera, à jamais, que mépris et indifférence. « Ce sourire, le premier d’une enfant à sa mère, allait rester sans réponse toute sa vie durant ». Victoria est la mère de Maria, la narratrice.
Lui, Julian, est mis au monde le 28 juin 1943, dans une Espagne prenant ses distances avec les puissances de l’Axe pour se recentrer vers un régime autoritaire, national-catholique et corporatiste. Il est l’enfant non désiré de Josefa, une prostituée aussi vénale que pieuse, obnubilée par son apparence physique. « En dépit des décoctions d’armoise ou de sabine, des injections vaginales de Coca-Cola ou de laminaires, rien n’y faisait, elle ne parvint pas à s’en débarrasser ». Placé chez les Jésuites, il ne se découvre « fils de pute » qu’à l’adolescence, après avoir fait le mur pour se dépuceler. Un traumatisme qui le bousillera et lui ôtera toute illusion envers la gent féminine.
Difficile pour ces deux êtres brisés, enfantés dans le désamour populeux d’une Espagne Une, grande et libre – pour reprendre la devise franquiste –, de se faire une place dans ce monde. Abandonnés à leur sort, sans repère parental (ni moral, tout bien considéré), ils errent puis finissent par se rencontrer le jour de l’an 1966. Un coup de foudre qui annonce, pour Julian, la fin de l’ingénuité. « Arrivé à la vingtaine, il n’avait jamais ensemencé qui que ce soit à part son slip ». Rapidement, la passion anime les deux amants qui désirent, plus que personne, fonder une famille. Le mariage ne tardera guère mais l’enfant, lui, se fera désirer, faisant prendre peu à peu conscience à Victoria qu’elle ne portera jamais un enfant dans son ventre.

Chaque fois, elle s'accrochait à la pensée magique qu'elle allait tomber enceinte. Tomber. Rien d'autre ne tombait vingt-huit jours plus tard, que des menstruations douloureuses, les reins rompus. La déception coulait entre ses jambes. Écarlate, le long de sa fine peau blanche.

Julian peine, quant à lui, à se résoudre à l’évidence, jusqu’à ce que le verdict ne tombe. Clinique. Il est stérile. « Il se dépêcha d’allumer sa clope puis de recracher sa première bouffée pour planquer son déshonneur d’homme stérile derrière un écran de fumée ». Le couple s’engage alors dans le long et douloureux chemin de croix de ceux auxquels la nature a ôté le pouvoir de procréation. Une pénitence qui sabordera leurs illusions et les conduira à Paris, comme si l’éloignement géographique pouvait alléger leur désespoir.
Lorsque Maria entre enfin dans leur vie, grâce à un médecin espagnol peu scrupuleux (« Les médecins accoucheurs arrosaient les huiles stériles du pays ou revendaient les bébés à des couples désespérés »), la flamme de l’abattement a déjà bien consumé leur couple. Victoria, devenue femme de ménage, se fait taciturne ; Julian, alors gardien du célèbre théâtre parisien de la Michodière, trouve refuge dans la picole. Et cogne sa femme, pour conserver un brin de masculinité, lui le Basque bafoué fasciné par « la violence et la rébellion ».
Maria, la tant désirée, l’enfant chérie de ces écorchés vifs, ignore tout de sa naissance, de son histoire, de son adoption. Elle grandit avec insouciance dans les entrailles du théâtre, dans « un autel dressé à (s)on effigie ». Sa condition sociale et ses origines espagnoles lui valent bien les railleries et les humiliations, ces quolibets imbéciles qui esquintent l’âme. Mais elle est forte, fière, avance, grandit et goûte la vie avec gourmandise. La savoure, parfois avec excès, comme pour mieux en jouir.

Parfois, je mentais, mes parents devenaient directeur du théâtre et femme au foyer. Pour oublier ce paternel violent, cette mère esclave et notre douleur commune et inexplicable, je sortais toutes les nuits et me droguais autant.

Enfance raillée, adolescence abîmée. Maria pénètre dans l’âge adulte avec la volonté tenace – une promesse envers elle-même – de devenir réalisatrice. Un sacerdoce guidé par un impérieux besoin d’écrire son histoire pour raconter « la grappe humaine » qu’elle forme avec Victoria et Julian, « trois orphelins d’une même nation ».
Lorsqu’elle met au monde son premier enfant, à vingt-cinq ans, dans des conditions difficiles, son instinct lui suggère subrepticement qu’un mystère pourrait entourer ses origines. « Je pressens que cette complication possède un sens caché ». Ce n’est que deux ans plus tard, après avoir consulté une tarologue, que sa mère lui confesse qu’elle a été adoptée. « J’avais vingt-sept ans, je suis morte une première fois ce jour-là ». Maria entreprend alors une quête obsessionnelle sur ses origines (« La question de l’origine envahissait chacun de mes actes et la moindre de mes pensées ») qui la conduit dans son Bilbao natal, un Bilbao de la fin des années soixante-dix tout juste émancipé du franquisme mais encore empêtré dans ses dérives.

Maria Larrea nous offre, avec Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, un éblouissant premier roman sur le destin des origines. Dans un style direct et très soigné (« Va te faire foutre Bilbao, tes adoptés, tes bébés volés. Ou pas volés »), elle narre la délicate reconquête de sa naissance, enfouie dans des secrets de famille inavouables. Une quête d’identité qui lui fera passer au crible les errements de l’Espagne franquiste et aborder, avec une profonde tendresse, le désir d’enfant. Un désir qui transcende la seule biologie pour se nicher au plus profond du cœur et de l’être. « Et je sais désormais ce que je dois à ma mère biologique : avoir rencontré Victoria. C’est peut-être la seule chose dont je lui sois reconnaissante, m’avoir abandonnée ». Maria Larrea voulait réaliser un documentaire sur son histoire. On ne peut que la remercier de ne pas avoir porté ce projet à son terme, car elle nous prouve, avec Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, qu’une écrivaine est née.

Chroniqueur : Florian Benoit

Chroniqueur : Florian Benoit

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