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Mity, Isabelle, Les actrices du IIIe Reich : splendeurs et misères des icônes du Hollywood nazi, Perrin, 25/05/2022, 1 vol. (358 p.-8 pl.), 22€

D’emblée, le titre attise la curiosité et séduit par son sujet, inédit et passionnant, et par son ampleur, plus de mille films entre 1933 et 1945 ; le sous-titre, à l’image de l’Âge d’or du cinéma nazi, annonce le star-system nazi et la gloire et la déchéance de ses déesses bellissimes mais éphémères et oubliées de l’écran. Si le cinéma nazi est connu des cinéphiles, les stars allemandes et nazies des années 1930-1945 sont complètement ignorées du grand public francophone, contrairement aux actrices étasuniennes et françaises, voire italiennes, fort en vogue. En réalité, ces actrices nazies – à l’instar des stars hollywoodiennes – étaient des idoles adulées et surpayées. Elles faisaient rêver des générations d’Allemands, de civils et de militaires, et participaient activement à l’effort de guerre. Faisant œuvre de propagande politique et de distraction massive, elles réconfortaient et faisaient s’évader les esprits dans une période économique et sociale difficile et totalitaire.

Goebbels et les actrices du III° Reich, un vivier de rêve...

Dès 1933, Joseph Goebbels, ministre de la Propagande et du Peuple, instaure le boycott antisémite et germanise le cinéma qui ne doit plus être corrompu par la judéité. Certains acteurs ont pris les devants et se sont exilés (Peter Lorre, le M. de Fritz Lang et le bandit homosexuel dans Le Faucon maltais (1941) de John Huston ; Conrad Veidt, le Cesare dans Le cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Vienne et le major nazi Stresser dans Casablanca (1942) de Michael Curtiz, non juif mais marié à une Juive). S’ensuit une hémorragie de cinéastes : Robert Siodmak, Billy Wilder, Max Ophuls, Wilhem Thiele, Fritz Lang… Mais l’aryanisation s’étend bien vite et frappe aussi les filiales autrichiennes et tchèques. Le passeport d’ancestralité s’impose au monde du cinéma et les acteurs célèbres mariés à une Juive (Hans Albers, Heinz Rühmann) doivent divorcer s’ils veulent continuer leur carrière ou accepter des rôles imposés : Otto Wernicke, le commissaire de M. le maudit, devient un abject responsable de camp de concentration pour Boers dans Le président Kruger (1941) afin de préserver sa femme juive. Robert Dorsay, dénoncé pour s’être moqué du Führer à la cantine du Deutsches Theater, est arrêté, jugé et exécuté. Son nom disparaît même du générique de ses films. Goebbels manie les listes secrètes connues de rares initiés : liste 1 des acteurs et actrices préférées d’Hitler, liste 2 du gros des troupes inscrites à la Chambre du cinéma, liste 3 de starlettes (Goebbels y piochant amplement pour son plaisir personnel) qui décochent directement des rôles, liste 4 de pestiférés… Si Goebbels dirige le cinéma, la censure ou l’autorisation d’un film passe prioritairement par Hitler qui décide et contrôle tout, et même la vie de ses sujets. Ainsi, Goebbels tombe éperdument amoureux de Lida Baarova, une Tchèque de 22 ans (il a 17 ans de plus qu’elle), il s’affiche ouvertement avec elle (sa femme proposant même un ménage à trois pour le garder) et il est disposé à abandonner sa famille et ses ambitions, mais Hitler lui ordonne de la quitter afin qu’un divorce ne ternisse pas l’image de la famille allemande dont il doit être le modèle.

Des divas allemandes peu germaniques...

Sous le nazisme, le cinéma allemand connaît une ère de prospérité et multiplie les genres filmiques qui s’inspirent des comédies romantiques, mélodrames, spectacles musicaux, films policiers d’Hollywood, l’usine à rêves et à illusions. De même, les divas allemandes copient ouvertement les vamps étasuniennes. On peut citer Marianne Hope, la Katherine Hepburn allemande, Liliane Harvey, la Carole Lombard anglo-allemande, Kirsten Heiberg, la Rita Hayworth du Nord, Lil Dagover, l’actrice préférée d’Hitler, Brigitte Hornay, la voix érotique, Camilla Horn, la chipie, Lilian Harvey, l’anachronique, Marika Rökk, la reine de la revue, Kristina Söderbaum, la noyée du Reich, Jenny Jugo, la petite rigolote, Magda Schneider (la mère de l’actrice Romy Schneider), la reine de bluettes, Paula Wessely, le charme de la solidité, Ilse Werner, la moderne, Hannelore Schroth, la fausse ingénue…
Toutes ces stars usent et abusent de paillettes et de glamour, séduisent et aveuglent les hommes, et consolident – sciemment ou non – un régime criminel. De la pléiade de déesses des salles obscures, il appert que la majorité n’est pas d’origine germanique : Marta Eggerth, Käthe von Nagy et Marika Rökk sont Hongroises, Kirstein Heiberg Norvégienne, Lilian Harvey Anglaise, Pola Negri Roumaine, Rosita Serrano Chilienne, Kristina Söderbaum Suédoise, Olga Tschekowa Russe. Cela est riche de sens et souligne les contradictions d’un cinéma qui affiche des idéaux aryens mais qui assouplit ses règles pour produire un cinéma rentable et pour mieux séduire les foules. Deux exemples, à travers les deux plus grandes divas du III° Reich, confortent cette pensée. Zarah Leander, Suédoise parfaitement germanophone, devient le chaînon manquant entre Garbo et Dietrich et incarne la femme fatale, sensuelle et séductrice. Elle se pare de mille toilettes dispendieuses pour chanter l’amour et l’attente et toucher l’oreille et le cœur des hommes et des femmes. Elle possédait une voix rauque et un étrange côté masculin, et, paradoxalement, la vedette numéro 1 du cinéma nazi est devenue une icône gay. Sybille Schmitz, considérée comme une des plus belles actrices allemandes des années 1930 – qui a inspiré le film Le Secret de Veronika Voss (1982) de Rainer Werner Fassbinder – apparaît notamment dans Le journal d’une fille perdue (1929) de Georg Wilhelm Pabst, Vampyr (1932) de Carl Theodor Dreyer et Titanic (1943) de Herbert Selpin et Werner Klingler. Femme mystère, elle joue des personnages décalés et non conformes, apparait parfois travestie en homme et véhicule une ambiguïté sexuelle qui correspond à sa vraie vie, car elle était bisexuelle et dotée d’un fort appétit en matière de femmes.

Un cinéma national empreint d’une nostalgie ?

Même s’il ne brille pas souvent par sa légèreté et sa finesse, le cinéma de l’UFA conserve un éternel pouvoir ludique qui ravit toujours les foules allemandes. Pour preuve, Ce diable de garçon (1944) de Heinz Rühmann est un indéboulonnable classique de Noel qui, comme The Rocky Horror Picture Show (1975) de Jim Sharman, draine toujours dans des amphithéâtres universitaires des étudiants qui trinquent avec du vin chaud comme dans le film, récitent en cœur et miment les scènes culte. Les musiques et les ritournelles des stars font partie du patrimoine culturel allemand – les Français connaissent aussi l’air de Lili Marleen, hymne de propagande du régime nazi, d’abord chanté par Lale Andersen et Marlene Dietrich, puis par Hanna Schygulla dans le film éponyme (1981) de Rainer Werner Fassbinder – et Nina Hagen la punk et Conchita Wurst le travesti s’y sont même essayés. Stanley Kubrick, cinéaste juif, préparait un film sur Veit Harlan, le réalisateur du film nazi de propagande violemment antisémite Le Juif Süss (1940), ce qui n’est pas étonnant si l’on sait que sa femme, Christiane Harlan, n’était autre que sa nièce.  

Isabelle Mity, agrégée d’allemand et docteure en études germaniques, enseigne la langue et la civilisation allemandes à l’université Paris Dauphine. Chroniqueuse régulière à Historia, elle se passionne pour le roman policier et la culture populaire et préside le prix Historia du roman policier historique. On n’est donc pas étonné qu’elle décrive avec force d’anecdotes riches et vivantes un univers politique et sociétal sombre et dérangeant, mais aussi fascinant et spectaculaire, envoutant et attirant comme ses égéries fatales. Cet opus docte et instructif, déjà classique – enrichi par un précieux petit livret photographique central, abondant et, qui plus est, largement commenté – vient fermer le triptyque sur le cinéma allemand nazi avec les incontournables Pierre Cadars et Francis Courtade, Histoire du cinéma nazi (Losfeld 1971), et Klaus Kreimeier, Une histoire du cinéma allemand : la UFA (1917-1944) (Flammarion, 1993).

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Chroniqueur : Albert Montagne

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