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Collectif, Les guerres de Religion : une histoire de l’Europe au XVIe siècle, Passés composés | Ministère des Armées, 06/09/2023, 1 vol. (399 p.), 24€.

Montaigne a écrit que les guerres de Religion ont ceci de particulier qu’elles nous mettent en « échauguette » en sentinelle — en notre propre maison. « O quel temps deplorable qu’on ne saict à quy se fier, l’enfant ne se pouvant fier du pere, ni le pere le filz ! », se lamente Jean Burel dans son Journal d’un bourgeois du Puy. C’est cette insécurité aussi bien physique, psychologique et linguistique que l’ouvrage Les guerres de Religions sous-titré : Une histoire de l’Europe au XVIe siècle, coédité par le Ministère des Armées et les éditions Passé Composé, nous fait vivre et comprendre avec un contexte de bouillonnement intellectuel, de peste endémique (par exemple : 14 000 morts à Bordeaux en 1585 sur 50 000 habitants) et de grandes découvertes : l’imprimerie joue un rôle primordial dans la diffusion de la pensée et la vulgarisation de la Bible traduite en langues vernaculaires.
Les auteurs de cet ouvrage dirigé par Nicolas Leroux, professeur à l’Université Paris XIII, nous montrent chacun dans un chapitre comment se sont articulés ces affrontements que l’on appellera plus tard « guerres de Religion ».
Dans son introduction, Nicolas Leroux nous indique pourquoi la simonie, et en particulier le trafic des indulgences, a été le déclencheur de cette série de conflits. Très tôt dans son histoire l’Église catholique a plus ou moins monnayé ses services, titres ou positions. Mais c’est au début du XVIe siècle – en 1506 – que le pape Jules II fit bâtir sur à peu près l’emplacement de l’ancienne basilique, construite par l’empereur Constantin 1er, la basilique Saint Pierre actuelle. Et pour cela, il eut recours massivement aux Indulgences. Le but de l’indulgence est de raccourcir le temps de passage par le purgatoire d’un défunt. Ceci est obtenu en contrepartie de dons, prières, legs, pèlerinages… Et cela est devenu au fil du temps un commerce très lucratif. La construction de la basilique exigeait énormément de fonds… Il devenait donc facile de se payer le paradis si l’on disposait de moyens financiers, plutôt que de le mériter par une vie vertueuse faite de « foi sincère consciente de la condition pécheresse de l’homme ».
Tout a débuté dans le Saint Empire lorsque Martin Luther, le 31 octobre 1517, s’est élevé contre ce système qui promettait aux fidèles un salut financier de leurs âmes. À partir de là, tout s’enchaîne très vite : le pape Léon X excommunie Luther et Charles Quint le met au ban de l’Empire. Nicolas Leroux nous montre comment la rupture religieuse se transforme en conflit armé et embrase à la manière d’un feu de broussaille les pays d’Europe les uns après les autres.

La Réformation dans le Saint Empire

Naïma Ghermani est professeure en histoire moderne à l’université de Grenoble. Sa thèse de doctorat a porté sur les liens entre confession et politique dans le Saint Empire. Elle nous montre avec beaucoup de clarté comment à partir de 1517, Martin Luther et ses 95 thèses, défend que le salut ne peut s’obtenir que par la foi seule. Il n’est pas isolé, puisque suivi par d’autres théologiens comme Philippe Mélanchthon (1497-1560) qui devint son disciple dès 1519, Johan Bugenhagen (1485-1558) très actif dans le nord de l’Allemagne et le Danemark, Ulrich Zwingli (1484-1531) qui instaure une Réforme originale dans le canton de Zurich, suivi plus tard par Jean Calvin (1509-1564) en France et à Genève. Naïma Ghermani nous décrit les différents affrontements et les répressions qui s’ensuivirent et les succès de la Réformation dans l’Empire.

La Réformation anglaise

Olivier Spina est maître de conférences à l’université de Lyon, spécialiste de l’Angleterre du XVIe siècle.
Il nous livre une analyse serrée en nous montrant comment le moment Luther de 1517 a été l’étincelle lançant le mouvement de réforme religieuse en Angleterre. La volonté d’Henry VIII de faire annuler son mariage avec Catherine d’Aragon par le pape Clément VII, qui refuse sous la pression de Charles Quint oncle de Catherine, aboutit en novembre 1534 à l’Acte de Suprématie qui fait du roi « le chef suprême sur terre de l’Église d’Angleterre ». Les figures de Thomas More et Thomas Cromwell eurent un rôle important dans cette Réforme, mais ils finirent exécutés. Le fils d’Henry VIII et de Jeanne Seymour, Édouard VI, qui régna de 1547 à 1553, consolida l’œuvre de son père. Tandis que Marie 1re (Bloody Mary) fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon qui régna de 1553 à 1558, tenta au contraire de rétablir le catholicisme. Son surnom indique que ce ne fut pas sans faire couler le sang. Et c’est enfin Elisabeth 1re, fille d’Henry VIII et d’Anne Boleyn, qui imposa progressivement et énergiquement la religion réformée en Angleterre : l’Anglicanisme.

Les guerres de Religion en France

Ces importants chapitres sont traités par Nicolas Leroux (déjà cité) et Jean-Pierre Souriac qui est spécialiste de l’histoire religieuse et enseigne à Lyon III – Jean Moulin. Ils nous montrent que les premiers troubles entre les calvinistes et les fidèles à Rome et au Roi, ont commencé sous François 1er avec l’Affaire des placards en 1534, puis se sont poursuivis par une vaine répression sous son fils Henri II. Cela prépara la véritable guerre de Religion, officiellement commencée sous Charles IX, en 1562. Celui-ci avait alors 12 ans, et sa mère Catherine de Médicis régnait en son nom. Malgré les conseils avisés de Michel de l’Hôpital, la Régente ne parvint pas à réconcilier les Guise (catholiques) et les Bourbon Condé (protestants). La guerre commença véritablement le 1er mars 1562 à Wassy, où François de Guise et son escorte tuèrent ou blessèrent plus d’une centaine de protestants.
Il y eut huit guerres ponctuées d’autant de traités de paix dont l’utilité principale fut d’établir ce qui devait être amnistié dans les deux camps. Les deux partis se répondirent en cruautés, exécutions massives et exactions diverses, chacun étant persuadé, en matière de religion, de détenir la vérité. Ces atrocités durèrent 36 ans avec en point d’orgues : le massacre de la Saint Barthélémy du 24 août 1572 où les Guise tuèrent au moins 3 000 protestants parisiens. Il est suivi de massacres identiques dans une vingtaine de villes dont Bordeaux, Orléans, Lyon, qui firent de 5 000 à 30 000 victimes selon les sources. Le traité de Saint-Germain-en-Laye signé le 8 août 1570 servira de modèle à tous les autres : « la mémoire de toutes choses passées demeurera éteinte ». Ce n’est qu’en 1598 qu’est signé à Nantes un Édit qui, grâce à l’autorité d’Henry IV, est enfin appliqué.

La stratégie européenne du parti huguenot

Hugues Daussy est professeur d’histoire moderne à l’université de Franche-Comté et entre autres, président de la société Henri IV. Dans cet ouvrage passionnant, il s’est chargé de nous présenter comment les réformés français ont montré leur détermination et inscrit leur combat dans un contexte européen, tout en étant conscient de leur infériorité numérique et militaire.
La politique internationale menée par les réformés à partir de la décennie 1550 a joué un rôle important sinon essentiel dans leurs capacités à résister et à finir par obtenir le bi confessionnalisme. L’auteur nous montre comment les protestants se sont organisés en réseaux transnationaux à partir de la paix d’Augsburg (25 sept 1555), qui établit la règle du « cujus regio, cujus religio », (tel prince, telle religion) afin de prendre attache avec des États du Saint empire officiellement protestants. De même les contacts avec l’Angleterre d’Élisabeth 1re, qu’elle favorisa par sympathie confessionnelle sans doute, mais plus encore soucieuse de ses intérêts. Ou encore avec Guillaume d’Orange après que celui-ci s’est converti au calvinisme. Mais toutes les tentatives d’unification des Églises réformées butèrent sur une différence majeure du dogme : la présence effective du corps du Christ dans l’Eucharistien au moment de la cène pour les uns, une présence symbolique pour les autres. À cause de ce différend insurmontable et d’autres causes de nature plus politique détaillées dans ce chapitre, la constitution d’une grande coalition protestante est restée lettre morte. Mais à n’en pas douter, « si le parti huguenot s’était replié sur lui-même, sans placer son combat dans une perspective transnationale, ses capacités militaires se seraient avérées notoirement insuffisantes pour inscrire son histoire dans la durée ». L’auteur nous montre comment la diplomatie des huguenots a favorisé par la suite l’alliance de la France avec les États protestants d’Europe contre les Habsbourg.

La monarchie espagnole dans les guerres de Religion européennes

Bertrand Haan est Maître De Conférences à Paris Sorbonne, spécialiste de l’Histoire politique de la monarchie espagnole et de l’Histoire des guerres de Religion aux XVIe et XVIIe siècle.
L’auteur nous montre comment la monarchie espagnole devient l’un des principaux protagonistes des guerres de Religion. Son vaste territoire incluant les Pays Bas, la Franche-Comté, une partie de l’Italie et le Portugal à partir de 1580, en révèle la dimension pleinement européenne. Mais cet ensemble est composite, et ne permet pas à la Monarchie catholique de défendre un projet commun. Pour les protestants d’Angleterre, des Provinces Unies et la France dont le roi Henri IV s’est converti au catholicisme, la haine anti espagnole a été le ferment d’une unité retrouvée.
Le traité de Vervins signé le 2 mai 1598 (peu après l’Édit de Nantes du 15 avril) met fin aux guerres et marque le transfert de puissance de l’Espagne vers la France qui va entrer dans son « Grand Siècle ».

Révolte et guerre de Religion dans les anciens Pays Bas

Thierry Allain enseigne à l’université Paul Valéry de Montpellier III. Il est spécialiste de l’histoire de la république des Provinces Unies.
L’auteur nous décrit de belle manière l’histoire mouvementée des 17 Provinces. Ces territoires disparates sont officiellement réunis par Charles Quint avec la « Pragmatique Sanction » en 1549, et légués à son fils Philippe II roi des Espagne en 1556, et deviennent les Pays Bas espagnols.
Il s’ensuivit une guerre avec l’Espagne connue sous le nom de guerre de « Quatre-vingts ans » ou « Révolte néerlandaise » dont le but était d’obtenir l’indépendance et la liberté de religion. Nous y voyons les figures des réformés Guillaume d’Orange et de son fils Maurice d’Orange-Nassau combattre le Roi Catholique Philippe II jusqu’à obtenir l’indépendance.

La révolte des Pays Bas contre le pouvoir espagnol a représenté une séquence historique exceptionnelle.(...) le facteur religieux y a joué un rôle important du début à la fin (...) De fait, catholiques et réformés ont accepté de défier ensemble Philippe II à partir de la défense des libertés locales et d'un rejet commun de l'Inquisition.(...) Cet événement hors du commun s'est révélé…être une affaire européenne.(...)L'étranger à constamment influencé le cours des affaires aux Pays Bas, qu'il s'agisse de l'Espagne, de la littérature monarchomaque ou des interventions anglaises ou françaises.

En ce sens on peut dire que si les guerres de Religion aux Pays Bas, ont mis aux prises les principales puissances de l’Europe de l’époque, elles ont abouti à ce que l’on a appelé le Siècle d’or néerlandais.

Les puissances Italiennes face aux guerres de Religion en France

Fabrice Micallef qui est Maître De Conférences à l’Université de Nantes, expose d’une manière passionnante l’importante interaction de l’Italie dans ces guerres. Celle-ci est alors largement sous domination espagnole, Philippe II étant roi de Naples et Duc de Milan. L’affaiblissement des Valois est vu, par les États indépendants comme le grand-duché de Toscane ou même le Vatican, comme le signe d’une possible hégémonie espagnole en Italie. Mais à Florence, Venise, et Rome on redoute une victoire des huguenots. C’est aussi le cas du duc de Savoie dont les possessions se situent aux frontières françaises. L’auteur nous montre comment Charles Emmanuel 1er duc de Savoie, manœuvra pour devenir roi de France. Mais en face il y avait Henri IV…
Est montrée également l’influence souvent prégnante, parfois balancée des six papes, qui se sont succédé de 1559 à 1592, entre Philippe II et les Valois, puis le premier Bourbon. L’auteur nous précise que c’est jouée ici la redéfinition des rapports entre politique et religion.

Le vécu pendant les guerres de Religion

Jérémie Foa Maître De Conférences à Aix Marseille, s’est chargé de la réflexion sur ce que furent les exils, les violences, les persécutions, les guerres entre voisins, les « passages de troupes », les délations, les exécutions sommaires et autres massacres de ce siècle épouvantable et pourtant si riche à bien des égards. « Mentir, se déguiser, soudoyer, louvoyer. Telle est peut-être la seule expérience utile des guerres de Religion. Tel est le savoir-faire qu’apprennent les enfants des guerres civiles ». Après la révocation l’Édit de Nantes en 1685 par Louis XIV, Il faut attendre 1787 et Louis XVI, qui par un édit de Tolérance concède aux protestants la liberté de leur culte. Et la moitié du XXe siècle pour que catholiques et protestants s’ouvrent progressivement les uns aux autres dans une démarche œcuménique. Cette Histoire en rappelle d’autres pour lesquelles il faut espérer que les bonnes volontés (s’il y en a,) et le temps amèneront la paix.

En conclusion, il s’agit d’un ouvrage d’une grande érudition et donc pour le lecteur, d’un formidable outil de culture générale. Les auteurs de ce livre proposent une approche globale à la fois nationale et transnationale, et soulignent le poids des échanges à travers l’Europe, en cela ils offrent une nouvelle histoire du continent européen au XVIe siècle.

Image de Chroniqueur : Dominique Verron

Chroniqueur : Dominique Verron

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