Le dernier ouvrage de Luc Ferry est un plaidoyer vigoureux pour la seule option écologiste qui lui paraisse sérieuse, et dont l’ambition soit à la hauteur du problème. Selon lui, la dégradation de la mince coquille de vie d’où l’espèce humaine est issue et dont elle dépend, ne fait plus débat : la dégradation est factuelle, avancée, dangereuse ; il n’est pas question de mettre la tête dans le sable, il faut agir. La préoccupation écologique est légitime, indispensable, urgente. En revanche, elle doit orienter l’action sur des voies concrètes, quantitativement et qualitativement adéquates, pratiquement et politiquement accessibles.
Or la plupart des mouvances écologiques qu’il observe lui semblent passer à côté de la question.
Les « effondristes » (Yves Cochet par ex) pensent qu’il est déjà trop tard : les défenses immunitaires du système sont si affaiblies, qu’il peut s’écrouler à la moindre perturbation significative ; à horizon de dix ans la moitié de la population mondiale peut disparaître. Inutile d’agir, seule fait sens la réflexion sur l’après.
Les « décroissants » (Jean Marc Jancovici par ex) voient la solution dans une attrition radicale des consommations humaines, énergie, nourriture, mobilité : thèse pessimiste, punitive, impossible à accepter tant par les populations aisées d’Occident, que par les trois milliards d’humains qui attendent leur part du confort.
Les « réformistes » (qui se manifestent à chaque COP) parlent de croissance verte ou de développement durable ; c’est la façon dont les États réunis en collège affirment leur conscience du problème, et affichent quelques cibles qui restreignent l’évolution d’indicateurs de dégradation de la biosphère (réchauffement, pollution, raréfaction des ressources) ; en gros l’idée revient à limiter les dégâts ; un corpus théorique se développe : les COP se succèdent, mais peu de choses changent.
Les « véganes » qui prônent l’abandon de toute forme d’utilisation des animaux, qui d’une part néglige leur souffrance, d’autre part implique une pollution significative de l’air comme de l’eau.
D’autres courants apparaissent, comme « l’éco-féminisme » ou les « décoloniaux », qui rattachent cette domination abusive de l’espèce humaine sur la nature à d’autres modes de domination, sur les femmes ou les races, amalgamant la question écologique avec d’autres courants sociaux ou politiques, condamnant par exemple la préemption des progrès technologiques par les forces aveugles du capitalisme.
Aucun de ces courants ne trouve grâce aux yeux de l’auteur, qu’ils repoussent la question à l’après de l’hypothétique catastrophe, qu’ils soient inaccessibles hors systèmes politiques tyranniques et planétairement coordonnés, ou encore qu’ils soient inefficaces et inadaptés en ordres de grandeur.
À l’inverse, le septième courant, « l’éco-modernisme », (Michael Shellenberger, William McDonough) lui paraît pertinent, car il conserve les principes (et l’efficience) du capitalisme, il mobilise les volontés sur la croissance (inévitable tropisme de l’humanité présente), et fonde sa réalisation sur la puissance de la créativité technologique (par ailleurs irrépressible). En bref, il utilise les trois grands moteurs de l’humanité, les aspirations à avoir plus, être mieux, et créer, polarisées par un grand projet.
Quel est ce projet ? L’idée est de s’organiser pour une croissance qui ne laisse aucune empreinte négative. On a l’habitude d’opposer les deux, et c’est ce qu’illustre le courant des adeptes de la décroissance : décroître pour diminuer l’empreinte. Peut-on faire les deux à la fois, croître et diminuer l’empreinte, voire l’annuler ?
Une telle problématique est bien connue dans l’industrie ; on y a, par exemple, longtemps opposé la productivité des usines à la sécurité des personnes ; certes, à un instant donné les deux souhaits s’opposent, comme si le produit de l’un par l’autre était constant, comme un mur infranchissable, et qu’améliorer l’un, inévitablement détériore l’autre. Mais en fait il « suffit » de vouloir, et d’innover. Le vrai progrès, c’est de déplacer le mur. Et c’est exactement ce qui a été fait par les industriels (nord de l’Europe notamment) pour la sécurité des personnes dans les usines, à productivité croissante.
Il s’agit ici du même type de progrès, et l’auteur rapporte de manière assez convaincante un ensemble de voies possibles, proposées par les tenants de l’éco-modernisme dans des domaines aussi divers que l’organisation de l’espace (urbanisme progressivement revu : villes du quart d’heure), de la production énergétique (fission nucléaire puis fusion – projet ITER), de la conception des voitures les rendant totalement recyclables avec la logistique financière et physique adéquate, des modes de nourriture préservant les animaux, (mais en mangeant tout de même de la viande… ). Un projet gigantesque, apte à mobiliser l’humanité et ses décideurs. Bien plus encore que la conquête de l’espace.
La nature n’a pas de poubelles. Tout s’y recycle. Au terme d’une évolution de ce type, très radicale, et technologiquement survitaminée, l’homme aura alors rejoint, par un mécanisme d’adaptation anticipée, (selon ses propres spécificités), la nature même dont il est le produit, et qui n’a pas de poubelles…
Une seconde étape serait de dessiner les premiers jalons politiques et économiques susceptibles d’enclencher la démarche.
Pierre BAQUÉ
contact@marenostrum.pm
Ferry, Luc, « Les sept écologies », Éditions de l’Observatoire, 07/04/2021, 1 vol. (273 p.), 20,00€
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