Maurice-Ruben Hayoun, Les voies du judaïsme, Éditions du Cerf, 29/08/24, 921p. 39€.
Le précédent livre de Maurice-Ruben Hayoun, La philosophie juive, chroniqué dans ces mêmes colonnes, était une somme des plus exhaustives sur la pensée juive à travers les âges, tant elle faisait autorité. Mais il faut croire qu’en dépit de sa vaste exploration du sujet, ce philosophe, exégète et historien, n’avait pas pleinement livré sa réflexion sur le sujet, comme l’atteste son nouvel opus, qui non content d’aborder les divers aspects de la philosophie juive médiévale aborde l’ensemble des évolutions de la pensée juive depuis trois mille ans !
Car de l’essence du judaïsme, à son exégèse en passant par son historiographie et sa liturgie, c’est un vaste panorama du vécu et du penser juifs à travers les âges que délivrent Les voies du judaïsme.
Un long parcours aux allures de métahistoire répondant aux seules injonctions divines au secret difficile à percer, dont l’auteur se plaît à analyser la quintessence dans un pertinent avant-propos.
S’interrogeant sur la question de l’essence et de l’histoire, il souligne :
À quoi ressemblerait le judaïsme contemporain, si les ancêtres des juifs d’aujourd’hui n’avaient pas subi la sanglante défaite de l’an 70 par les légionnaires romains ? Sans cette catastrophe nationale d’une ampleur inégalée, les Judéens seraient restés chez eux, dans les limites de leur mère patrie. Leurs sages auraient continué d’être des prophètes, des prédicateurs, des prêtres et des psalmistes… Sans la destruction du Temple de Jérusalem, les juifs seraient restés ce qu’ils étaient, récepteurs de la révélation du Mont Sinaï et non pas adeptes d’une religion biblico-talmudique. Ce qui signifie que le christianisme n’aurait peut-être jamais existé ou qu’il n’aurait pas connu un tel essor ni réussi une si fructueuse évangélisation du monde païen.
Un long héritage biblique
Ce préalable souligné, Maurice-Ruben Hayoun va d’emblée établir dans ses Prologomènes les contours de la littérature rabbinique, à savoir la confluence de la tradition écrite – les 24 livres de la Bible hébraïque — et de la tradition orale – le talmud et le midrash — qui constituent l’épine dorsale de la religion d’Israël.
Tout un héritage biblique qui sera disséqué et explicité dans les deux premiers chapitres autant par l’origine des sources rabbiniques que par la définition des références scripturaires, la mishna et la tosefta ainsi que les divers genres de talmud, de Jérusalem, de Babylone ou les Midrashim.
Un volet essentiel qui sera suivi de l’influence majeure tenue par la philosophie juive au Moyen-Âge. Car, c’est au Moyen-Âge, moment charnière d’échange des idées que la pensée philosophique juive va connaître un grand essor grâce aux bouleversements provoqués par le surgissement de l’Islam.
Dans un premier temps, entre le IX° et le X° siècle, c’est en effet dans la langue arabe que s’élaborent les prémisses de la philosophie juive. La réflexion de Maïmonide qui a baigné dans le milieu idéologique de cette mouvance musulmane, avait en effet été tôt influencée par les œuvres d’Averroès d’Al Farabi et d’Ibn Badja.
Mais l’auteur ne limite pas son éclairage au seul domaine historique. En deux grands chapitres, il entraîne le lecteur vers la partie pratique de la foi juive que sont la prière et la liturgie.
Ces deux volets qui ont toujours servi à la fois la ferveur religieuse et l’étude dans l’environnement de la synagogue distinctement appréhendée au gré des époques tel qu’il le souligne opportunément :
La synagogue, au regard de l’histoire de l’architecture, est bien plus un programme qu’un type architectural spécifique, car elle se révèle d’une plasticité étonnante, comme le peuple juif lui-même s’adaptant à des conditions de vie et aux cultures les plus diverses.
C’est ainsi qu’après avoir défini l’âme de la synagogue, il détaillera le sens des diverses prières quotidiennes, Shaharit, Minha, Maariv, et celles des grandes fêtes, Tichri, Sukkot, Pessah, Kippur ou Hannouka qui constituent les principaux moments de l’oraison.
Un ouvrage aussi stimulant qu’accessible
De façon aussi chronologique que pédagogique, l’auteur nous fait ainsi voyager des origines à aujourd’hui en nous dévoilant les voies empruntées par la judéité dans sa traversée de l’Exil, de la période judéo-grecque à la période judéo-allemande, en passant par la période judéo-arabe.
Une manière pertinente de dresser un panorama complet du vécu juif à travers les siècles, qui n’a d’égal que sa galerie de portraits de ses plus éminents penseurs.
Ainsi de Maïmonide, sur son autorité et ses controverses, sans oublier ses commentaires sur le récit de la Création ou du livre de Job et son discernement philosophique. Et il en va de même d’Averroès, l’éminent penseur musulman, commentateur par excellence d’Aristote, aussi compétent en matière de métaphysique, que de médecine, d’éthique ou de politique.
Sans parler de l’influence qu’aura l’Avérroïsme sur la pensée scolastique ou universitaire du Moyen-Age, d’Isaac Albalag et Moïse de Narbonne jusqu’à Dante Alighieri.
Des lumières de Cordoue, l’auteur abordera ensuite celles de Berlin avec la même sagacité en mettant en lumière le rôle des penseurs allemands – Moïse Mendelssohn, Ben Mendel, Lessing et Léopold Zunz qui ont ouvert les avancées du judaïsme médiéval à celles des temps modernes.
Tout un panel encyclopédique d’écoles et de penseurs, chacun différent et tous unis, qui montre la fécondité intellectuelle ayant permis au judaïsme de ne jamais être en retard d’une modernité dans un attachement indéfectible à l’identité d’Israël. Une historiographie de courants attestant en même temps d’une face trop souvent méconnue de la genèse conceptuelle et spirituelle des civilisations occidentales et orientales qui, sans cet apport, ne seraient pas devenues ce qu’elles sont.
Bref, un livre, stimulant autant qu’accessible et bien compartimenté, qui s’impose comme un ouvrage de référence, à l’heure où le bruit et fureur de l’histoire tendent à nous confiner au conflit comme à l’ignorance…
Chroniqueur : Michel Bolasell
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