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Voilà un réjouissant manifeste que nous offre Boualem Sansal en cette rentrée marquée par un climat social décidément bien morose ; un texte audacieux et frondeur qui ne laissera pas indifférent et – on peut l’espérer – offrira un sursaut salutaire chez ceux qui le liront. En 2006, le grand romancier algérien adressait déjà une « lettre de colère et d’espoir » à ses compatriotes, dans laquelle il dénonçait les travers qui gangrenaient son pays. Quinze ans plus tard, son indignation n’a pas faibli, mais vise désormais une audience plus large : celle de tous les « peuples et nations de la Terre ».
En exergue, la célèbre formule de la Boétie : « les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux », donne le ton de l’ouvrage. Boualem Sansal n’est pas un homme politique, et sa liberté d’intellectuel et d’écrivain engagé lui permet de s’adresser aux citoyens du monde sans chercher à les « brosser dans le sens du poil ». Il n’y va pas par quatre chemins ; l’aveuglement et la soumission sont les causes premières des maux qui les accablent :

Pourquoi les humains sont-ils si bêtes ? Pourquoi se laissent-ils mener par le bout du nez ? […] Est-ce si compliqué d’être des individus libres et de se regrouper en peuples et nations libres ?

L’auteur adresse sa longue lettre à l’Organisation des Nations Unions accompagnée d’un projet de « Constitution du Futur État Mondial ». Avec humour, il imagine à l’avance la réponse compassée que le secrétaire général ferait à son appel, aveu d’impuissance à peine maquillé. Pour qu’un monde meilleur advienne, conclut Boualem Sansal, il faut cesser de remettre ses destinées entre les mains d’autrui. Ce sont les peuples eux-mêmes qui détiennent la clé de leur libération, encore faut-il qu’ils prennent conscience de l’état de sujétion dans lequel ils se trouvent plongés.
Comprendre. Remonter le fil jusqu’aux origines des malheurs qui nous menacent. Les principaux « destructeurs » de l’humanité ne sont pas des individus de chair et d’os, mais des concepts d’autant plus pernicieux qu’ils sont protéiformes et instrumentalités par les puissants :

J’en vois quatre qui totalisent 90 % de la mortalité humaine globale : l’Argent, la Religion, le Fast-Food et les Jeux d’arène.

Boualem Sansal les détaille l’un après l’autre. Son ton n’est pas celui, académique, de l’essayiste démontrant minutieusement sa thèse, mais bien d’un poète emporté par la « furor » de son indignation. Il sait qu’il risque de choquer, notamment lorsqu’il parle de religion, mais il n’hésite pas à se livrer à des critiques dont le lyrisme ironique et sombre ne fait que renforcer la virulence de la charge :

La religion fait des hommes de hasard qui ne cherchaient rien, leur chemin peut-être, une occasion de faire le larron ou le luron, des croyants grandiloquents, des foules béates, des gendarmes ivres […] Pour un saint tous les trois siècles, le déchet est immense, combien de fous au jour le jour, d’assassins en rut, de crétins hurlants, de bigots avides, de prélats vicieux, le rendement est dérisoire.

L’islam politique est aujourd’hui, selon lui, « la chose la plus dangereuse au monde », car il regroupe la religion et les « jeux d’arène » formule employée pour désigner les « jeux de guerre » qui ensanglantent depuis les origines une humanité incapable de coexister en paix.

En introduction, l’auteur s’interroge sur la pertinence de sa démarche. Il n’est pas dupe de l’impact réel qu’aura sa lettre, mais s’autorise néanmoins à poser sans ambages les données du problème. Reliant sa trajectoire personnelle à celle de son pays, il invite tout un chacun à accomplir ce travail d’introspection et de remise en perspective. Il faut que les yeux se dessillent pour ressentir l’urgence d’agir. Et quoi de mieux que la littérature pour accomplir cette mission, vecteur immortel de communication entre les peuples :

La littérature est une rumeur, quelque chose de volatile, de pandémique quand l’art s’y mêle, qui chemine par les airs, au gré du vent, à travers l’insaisissable bouche-à-oreille. Interdire un livre c’est appeler les curieux à vouloir se le procurer par tous les moyens.

Jean-Philippe GUIRADO
articles@marenostrum.pm

Sansal, Boualem, « Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre : aux bons soins de monsieur le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies : New York, NY 10017, USA », Gallimard, « Hors-série connaissance », 07/10/2021, 1 vol. (100 p.), 12€.

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